Tunisie │ Les défis de l’abattement des taux d’intérêts sur les crédits à long terme
L’auteur revient sur la loi 2024-41 et principalement l’article 412 qui impose aux banques la réduction des taux d’intérêt sur les crédits à long terme, surtout les défis qu’elle soulève pour le secteur bancaire.
Nasreddine Montasser *

En Tunisie, la situation économique difficile des ménages, marquée par une inflation persistante et un pouvoir d’achat en baisse, a conduit le législateur à adopter la loi 2024-41, dont l’article 412 vise à encadrer les taux d’intérêt sur les crédits à long terme. Cette mesure, présentée comme un outil de protection des emprunteurs contre les taux jugés excessifs, suscite parmi les acteurs économiques l’espoir pour les uns et l’inquiétude pour les autres.
Contexte et objectifs de la réforme
Face à une inflation atteignant 7% en 2024 et des taux directeurs élevés (7,5 % en 2025), de nombreux ménages tunisiens se retrouvent en situation de fragilité financière, avec des mensualités de crédit représentant parfois plus du tiers de leurs revenus.
L’article 412 de la nouvelle loi impose un plafonnement des taux d’intérêt sur les prêts à taux fixe sur des durées supérieures à 7 ans, principalement ceux destinés aux particuliers pour le financement de l’acquisition des logements et de la construction. Cette loi cherche donc à soulager les ménages en réduisant le poids des remboursements, à stimuler la consommation, principal moteur de l’économie tunisienne, et à éviter une vague de défauts de paiement qui pourrait déstabiliser le système financier.
Cette réforme s’inscrit dans une tendance internationale visant à protéger les emprunteurs contre l’impact et les fluctuations brutales des taux. Elle entre dans le même ordre d’idée que la directive européenne sur les crédits immobiliers (MCD 2014/17/UE), qui impose une révision périodique des conditions des prêts, ou la loi marocaine 103-12, qui encadre strictement les crédits à la consommation et immobiliers.
Les défis pour le secteur bancaire
Si la mesure est socialement justifiée, elle pose des défis majeurs aux établissements financiers. En effet, les banques tunisiennes doivent désormais composer avec :
– une complexité accrue dans la gestion des prêts : les banques doivent désormais gérer plusieurs tableaux d’amortissement pour un même crédit, suivre les demandes d’abattement, et adapter leur comptabilité et leur mesure du risque en conséquence;
– une tendance objective de rationnement du crédit : si la rentabilité des prêts à long terme diminue trop fortement, les établissements pourraient être tentés de restreindre leur offre, ce qui aurait un effet contraire sur l’économie à celui escompté;
– un manque à gagner significatif : les simulations montrent que pour un prêt de 100 000 DT sur 15 ans à un taux fixe de 10%, la réduction des intérêts peut atteindre 49%, ramenant le taux effectif équivalent (TEE) à environ 6,07%. Un niveau qui, selon les professionnels du secteur, ne couvre pas le coût des ressources et les charges opérationnelles. Le TEE, et contrairement au taux nominal affiché, intègre l’impact cumulé des réductions successives imposées par la loi et offre un indicateur utile pour évaluer le coût réel du crédit.
Les défis sont assez conséquents pour continuer à offrir des crédits à long terme à taux fixe en Tunisie et il est illusoire de penser que les banques continueraient à offrir ce genre de financement s’il pourrait leur occasionner des pertes insupportables.
Perspectives et ajustements nécessaires
Pour que cette réforme atteigne ses objectifs sans fragiliser le système bancaire, plusieurs ajustements à cette loi pourraient être envisagés, par exemple :
– introduire un taux plancher en dessous duquel les réductions successives ne s’appliqueraient plus, afin de préserver une marge minimale pour les banques;
– limiter le nombre de révisions autorisées sur la durée du prêt (par exemple, un ou deux ajustements) pour faciliter la gestion des crédits;
– privilégier des baisses graduelles et prévisibles, sur les taux d’intérêt en points de base plutôt qu’en pourcentage, pour permettre aux banques d’anticiper leurs risques;
– administrer un TEE qui ne devrait pas descendre au-dessous d’un taux garantissant la couverture minimale des coûts du crédit pour le secteur bancaire.
La loi 2024-41 représente une réponse à une urgence sociale, mais son succès dépendra de sa mise en œuvre équilibrée. Sans mesures d’accompagnement pour les banques, elle pourrait réduire l’accès au crédit à moyen terme. À l’inverse, en l’absence de régulation, le surendettement des ménages risquerait de peser davantage sur une économie déjà fragile. L’enjeu, pour les autorités tunisiennes, sera donc de trouver le juste équilibre entre protection des emprunteurs et stabilité financière.
* Cadre de banque.
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