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Projet Elyssa : Des avancées concrètes

Sur 116 candidatures, cinq projets sont retenus pour les musiques et huit pour les arts visuels. Nous avons profité de cet évènement pour échanger avec les artistes et découvrir leurs démarches.

La Presse — Au mois d’octobre 2024, l’Institut français de Tunisie a annoncé le lancement d’un fonds d’aide pour la création et le soutien des artistes, baptisé « Elyssa ». Le principe est de lancer des appels à candidature  afin de sélectionner, accompagner et mentorer les créations de qualité des artistes tunisiens émergents et confirmés.

Une rencontre a eu lieu le 9 mai, à mi-parcours, réunissant lauréats, partenaires, coachs formateurs et journalistes, afin de faire une mise au point des étapes franchies jusqu’à présent. Nous sommes partis à la rencontre des lauréats et de l’équipe qui chapeaute ce projet.

Un projet qui vise le marché international

M. Fabrice Rousseau, directeur de l’IFT, a rappelé dans son mot de bienvenue que « Elyssa »  est un fonds d’aide à la création qui aspire à dynamiser la scène culturelle tunisienne et aider les artistes à être plus visibles sur le marché international. Deux catégories sont au centre de l’intérêt : les musiques et les arts visuels.

Le volet logistique a été assuré avec le soutien actif de partenaires de terrain tunisiens. Fany Roland  attachée culturelle de l’IFT, a souligné dans son intervention que les artistes sélectionnés par des comités d’experts bénéficient actuellement d’un accompagnement personnalisé avec des séances de coaching et une résidence artistique de création. Le programme inclut également la mise en réseau et la diffusion des œuvres abouties à travers des concerts et des expositions. Saima Samoud, cheffe de projet, a annoncé la liste finale des lauréats. Sur 116 candidatures, cinq projets sont retenus pour les musiques et huit pour les arts visuels. Nous avons profité de cet évènement pour échanger avec les artistes et découvrir leurs démarches.

« Hor el Ensen-Walk free » de Broua

Broua est un ensemble musical réunissant des artistes venus de Tunisie, de France et des Pays-Bas. Leur musique propose une fusion originale entre les sonorités traditionnelles tunisiennes et des genres, tels que le jazz, le blues et la musique latine.Le projet est porté par Wissem Zaidi, musicien, auteur et compositeur tunisien.

À travers ses morceaux, Broua aborde des thématiques profondes, telles que l’identité, la nostalgie et la quête de soi, invitant le public à un voyage empreint de récits personnels et de métissages culturels. « La collaboration au projet Elyssa nous a offert le premier fonds qui nous ouvrira de nouveaux horizons. La résidence live à Hammamet sera une occasion pour nous réunir et travailler davantage sur le projet. Ce qu’il y a de plus intéressant, c’est surtout la possibilité d’une tournée en Europe», nous a confié Wissem Zaidi. « Nous sommes en train de travailler sur un album qui verra le jour en septembre prochain. Deux titres sont déjà dans les bacs».

« Dendri fel Midane » par le groupe Dendri-Stambeli Movement

Dirigé par Mohamed Khachnaoui, ce groupe aspire à dépoussiérer le stambeli, rituel musical et thérapeutique ancien, et le remettre au goût du jour avec une vision artistique moderne qui lui apporte un vent de fraîcheur. Enseignant universitaire à l’Ismt, Mohamed Khachnaoui a démarré ses recherches depuis 2008 dans le cadre de son parcours académique.

« Ce projet est l’aboutissement de mon engagement avec des musiciens curieux qui partagent avec moi cette passion », nous explique-t-il. «  C’est une musique riche artistiquement et esthétiquement. Nous travaillons à la réinventer, la rejouer avec des instruments modernes : basse électrique, guitare électrique… ». 

L’aventure dans le design vestimentaire de Wadi Mhiri

En artiste pluridisciplinaire, Wadi Mhiri a commencé depuis 2004 par pratiquer la photographie, puis la céramique, la vidéo et l’installation…  Styliste de formation, depuis 2004, il collectionne photos, vidéos, céramique, installations.. « Ce projet sur lequel je réfléchis sérieusement depuis 4 ans est une rétrospective, un hommage à ma famille qui est dans le monde du textile et de l’habillement. Je suis moi-même styliste de formation», nous a-t-il indiqué. 

Le projet de design écologique de Mohamed Ali Ouertani

Architecte de formation, Mohamed Ali Ouertani est aussi designer de céramique. Il a son propre atelier et sa propre marque. Sa collaboration avec Elyssa allie à la fois l’architecture et le design. « C’est un système de ventilation naturel qui va être installé dans les bâtiments existants avec une approche écologique. Je suis en train de développer le prototype par les recherches et les tests en vue de le commercialiser en Tunisie et à l’étranger », explique l’auteur du projet.

Le management artistique par Mohamed Ben Saïd

 Le manager d’Acacia Production a tenu à souligner l’importance de l’accompagnement des  artistes pour mener à bon port les projets sur lesquels ils travaillent actuellement. « Le profil de manager musical existe en Tunisie. C’est l’industrie proprement dite qui fait défaut. Le plus difficile pour un artiste émergent, c’est de décrocher des opportunités pour se produire dans de grands évènements culturels.

Nous avons des centaines de festivals en Tunisie, mais  ce sont les mêmes noms qui s’en emparent. Les jeunes artistes ont peu de chance de se faire programmer, à part quelques exceptions qui ont eu un succès commercial fulgurant. Nous avons de jeunes talents et de la bonne musique dans tous les coins de la Tunisie. Il faut les encourager à la création, valoriser leurs œuvres et surtout les encadrer pour qu’ils puissent construire leur avenir autour de leur musique. »

Mohamed Ben Saïd travaille principalement sur ce volet.  Ramener des coachs tunisiens et étrangers, des programmateurs de festivals, des experts en droits d’auteur. Ils apprennent aux artistes et aux managers artistiques les bases du métier : l’organisation d’un concert, la signature des contrats, le volet fiscal. 

Notons que les résidences artistiques dans le cadre du projet Elyssa sont actuellement en cours. Un concert est prévu au mois de juin, à l’occasion de la fête de la musique, avec les lauréats à l’affiche. Des expositions auront lieu bientôt  pour les arts visuels.

L’écrivaine Cécile Oumhani à La Presse : « Il y a toujours une résonance avec moi-même dans ce que j’écris »

L’écrivaine d’origine franco-britannique  Cécile Oumhani  a été en Tunisie pour la présentation de son roman « Les tigres ne mangent pas les étoiles » paru aux éditions Elyzad. En lice pour de nombreux prix littéraires à l’étranger, ce livre évoque la condition tragique des rescapés de la guerre d’Afghanistan et un parcours de vie entre l’Inde, l’Afghanistan et l’Allemagne.

À travers cet entretien, elle nous dévoile des détails captivants sur son roman et de sa vocation.

La Presse — Vous avez publié récemment en Inde un livre intitulé « Likebirds in the sky ». On sait que votre mère est née là-bas. L’Inde est également au centre du roman « Les tigres ne mangent pas les étoiles ». Nous avons l’impression que vous poursuivez une méditation sur les traces du passé. Est-ce qu’il y a une part de vous-mêmes, de vos propres souvenirs dans ce roman ?

Il y a toujours une résonance avec moi-même dans ce que j’écris. Ça ne veut pas dire que j’ai vécu tous ce qui est évoqué dans mes livres, mais il y a des éléments qui me hantent, qui ont un tel écho en moi que je ne cesse d’y penser. Pour moi, un livre mène à un autre, comme pour la période où mes écrits avaient un lien fort avec la Tunisie. Cette fois, ce sont les traces de ma mère qui m’ont interpelée. Ce n’est pas un choix conscient, comme dans un essai. Je tire le fil et je vais là où il me conduit.

Est-ce qu’il y a un évènement particulier ou une rencontre qui vous a inspiré les personnages de la narratrice et de Meena ?

J’ai rencontré une femme afghane à l’aéroport du Bahreïn. J’ai raté une correspondance, tout comme la narratrice, et je venais de perdre mon père. Je me suis retrouvée face à cette dame voilée qui m’a demandé de s’asseoir à ma table. À partir de ce moment, la ressemblance s’arrête. Tout ce qu’elle m’a raconté, je ne suis pas autorisée à l’utiliser dans un roman.

Votre roman « Le café d’Yllka » évoque une rencontre dans un aéroport avec une victime de la guerre de Sarajevo. Dans « Les tigres ne mangent pas les étoiles », la narratrice croise une Afghane dans un aéroport et transmet son destin tragique. Est-ce que c’est la continuité d’une ligne directrice pré-établie pour raconter des guerres à travers un regard féminin ?

Pour « Le café d’Yllka », c’était une femme croisée à Budapest et j’ai inventé les traits du personnage. C’est après avoir écrit « Les tigres ne mangent pas les étoiles » que je me suis aperçue qu’il commence comme l’autre roman. Actuellement, je pense que j’ai un travail littéraire à faire en rapport avec l’Inde.

Il y a beaucoup de détails sur la vie, les paysages et la littérature en Afghanistan dans ce roman. Ces informations émanent-elles de vos connaissances générales ou s’agit-il d’un travail de recherche fait spécialement pour l’écriture du livre ?

Il y a à la fois l’imaginaire et la documentation. L’écriture est pour moi une expérience humaine qui porte sur mes rencontres, mes rêves, tout ce que je vois autour de moi.

Il y a de nombreux vers traduits qui ponctuent votre roman.

Quels effets cherchez-vous à apporter à votre texte en mêlant les extraits de poèmes au récit ?

En janvier 2023, les Talibans ont interdit l’écriture de la poésie. La poétesse afghane Somaia Ramish a lancé un appel à des dizaines de poètes du monde entier pour une anthologie parue en français. J’étais surprise de leur réactivité, de cette solidarité entre poètes de beaucoup de pays et de langues différentes. Il y a même une traduction japonaise. Il y a des interstices entre les langues. La poésie ne résoudra pas seule  les problèmes du monde. Mais, elle nous redonne de l’espoir.

Est-ce qu’on peut établir un rapport entre les thèmes de la guerre et de l’exode dans ce roman et l’actualité mondiale ?

Quand j’ai commencé l’écriture du roman, je n’étais pas dans un projet conscient de dénoncer quelque chose. Je voulais montrer que la terre est traversée par les mêmes problématiques qui se définissent différemment selon les époques. On a l’impression qu’on n’avance pas. On ne peut pas empêcher les évènements de se reproduire. Situer le parcours des personnages sur plusieurs endroits permet de résonner ce qu’on voudrait nous faire oublier, tout ce que l’humanité a en commun. La mémoire, c’est important. Garder la mémoire de l’Histoire, c’est développer la conscience de chacun. 

Quelles idées ou quelles images souhaitez-vous que le lecteur retienne des années après la lecture de ce roman ?

Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question car le livre appartient à celui qui le lit. Je suis convaincue que le lecteur réécrit le texte à sa façon. Il le ressent et raisonne en fonction de son chemin à lui, de ce qu’il a vécu. Il lui donne un sens en fonction de ses références personnelles.

« Les tigres ne mangent pas les étoiles », de Cécile Oumhani : Les mémoires d’un exode

Meena, une Afghane résidant en Allemagne, ouvre son cœur à la narratrice et lui fait part du passé qui la hante. Un passé individuel, mais également collectif…

La Presse — L’écrivaine franco-britannique Cécile Oumhani a été invitée à l’Institut français de Sfax pour la présentation de son dernier roman paru aux éditions Elyzad « Les tigres ne mangent pas les étoiles ». Poétesse romancière et essayiste, elle se définit comme étant « une citoyenne du monde ». Ses récits sont nourris de voyages et de rencontres. Mariée à un Tunisien, elle a à son compte de nombreux livres imprégnés aux couleurs de notre pays, dont « Une odeur de Henné », « Tunisie-carnets d’incertitude » et « Tunisian Yankee ». Elle a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Prix littéraire européen de l’ADELF (Association des écrivains de langue française) et le Prix européen francophone Virgile en 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

À l’Institut français de Sfax, communément appelé Maison de France, le public était essentiellement composé d’enseignants universitaires et d’étudiants, tous âges confondus. « Les tigres ne mangent pas les étoiles » est le récit d’une rencontre fortuite de deux dames dans la cafétéria d’un hôtel au Bahreïn. Meena, une Afghane résidant en Allemagne, ouvre son cœur à la narratrice et lui fait part du passé qui la hante. Un passé individuel, mais également collectif.

Entre les confidences de Meena qui a décidé de retourner chez elle, au chevet de son père agonisant, en dépit du danger, et la narratrice qui a laissé son chez-soi pour toujours, le roman repose sur deux thèmes principaux : l’exode et l’exil. Le récit est dressé sur une toile de fond historique qui nous ramène en Inde aux années 20, à l’époque où le père de Meena était encore un « kabuliwala ». Il faisait partie des marchands ambulants qui font des voyages périlleux à travers la montagne, à dos de chameaux, et qui se guidaient avec les étoiles.

On lit alors une description imagée des paysages de villages indiens avec les champs, les rizières, les cascades et le tigre qui attaque les habitants. Pourtant, « les tigres ne mangent pas les étoiles. C’est impossible. Ils seront toujours là à veiller sur nous », dit un sage dans le roman. Et, le choix de l’Inde comme cadre spatial du récit n’est pas fortuit. La mère de Cécile Oumhani, elle-même, y a vécu jusqu’à l’âge de sept ans avant de partir étudier en Ecosse. 

De son pays natal, l’Afghanistan, Meena, la protagoniste du roman, garde le souvenir de scènes sanglantes qui la hantent : les manifestations, tout comme les rafles, se terminent dans un bain de sang, « des familles qui volent en éclats, des avions qui déchirent le ciel et sèment la mort ». Comme « l’univers était une interminable suite d’espaces dont personne ne soupçonnait l’étendue », la décision de fuir a été inéluctable.

Elle évoque alors les passeurs, les voyages à pied, le froid sibérien jusqu’à la terre d’exil, l’Allemagne. Or, c’était un « pays coupé en deux », à l’époque du Mur. Les gens y vivaient encerclés. Cet exil n’était qu’une continuité de la tragédie avec des humiliations à essuyer et « tellement de choses à apprendre, à accepter ». D’un malheur à un autre, il était dur de « trouver les mots pour combler l’absence et resserrer les liens sans cesse distendus par les séparations imposées »« Qu’est-ce qui subsiste de nous, de l’enfance après tant d’années ? », se demande-t-elle ? En effet, les drames et les incertitudes de la guerre poursuivaient Meena et son mari Ahmed, même s’ils n’entendaient plus ni cris ni détonations. « Fuir ne servait donc à rien ou si peu » avec toutes ces plaies béantes.

Ces maux qu’on hérite deviennent par la suite un legs qui transcende les générations. « Là où son début de racines avait été tranché net, une sorte d’ulcère s’était enkysté. Il était mort avec, et moi, je restais figée face à son passé, incapable de regarder devant moi, suspendue en plein vide », dit la narratrice vers la fin, en évoquant son père décédé en Inde. Face au récit de Meena qui lui a confié un fragment de son histoire et les souvenirs d’un univers qui continue d’exister très loin, elle questionne ses propres souvenirs. Difficile de ne pas s’émouvoir du sort de ces deux femmes tiraillées entre passé et présent, vouées à « l’exil, la solitude, la mémoire impossible à partager ».

Cécile Oumhani a fait le choix d’insérer des poèmes traduits de l’Afghan, dont des extraits de Ahmad Zahir et Soumaia Ramish, ainsi que des textes en bengali, en allemand, et même en arabe en citant Rumi et Badr Shakir al-Sayyab. Des vers ponctuent ainsi le début des chapitres de son roman. 

La présentation du roman « Les tigres ne mangent pas les étoiles » de Cécile Oumhani a été suivie d’un débat actif avec le public. Au fil des questions posées, les participants se sont montrés particulièrement intéressés par le récit de la guerre et la structure poétique du livre. L’écrivaine a partagé les coulisses de l’écriture du roman ainsi que les expériences personnelles et les témoignages qui ont nourri son œuvre. En fin de la rencontre, des membres du club littéraire « La pharmacie de l’écriture » ont récité des vers qu’ils ont écrits et traduits de l’arabe au français. Ce club qui œuvre au sein de la Maison des jeunes de Sfax, en partenariat avec la maison de France, organise régulièrement des ateliers d’écritures et des rencontres dans le but de cultiver le goût de la lecture et de stimuler la créativité des jeunes. Il vise ainsi à encourager l’expression personnelle et le développement de l’esprit critique.

« La Traviata » au Théâtre de l’Opéra de Tunis : Un chef-d’œuvre tunisien acclamé

La salle était comble pour les deux soirées, preuve que l’opéra attire et séduit le public tunisien. Il se montre dans cette version de La Traviata comme un art vivant, vibrant, capable de faire résonner des émotions universelles. Une autre réalisation exceptionnelle du Théâtre de l’Opéra tunisien et de ses partenaires qui œuvrent depuis des années pour populariser ce genre de musique. 

La Presse — Dans l’écrin majestueux du Théâtre de l’Opéra de Tunis, les rideaux se sont ouverts sur une œuvre magistrale : la Traviata de Giuseppe Verdi dans une version portée par des artistes tunisiens sous la direction musicale de Nicoletta Conti et une mise en scène par Stefano Vizioli. Deux dates ont été programmées : le 9 et le 11 mai. La deuxième représentation a été donnée en présence de la ministre des Affaires culturelles et de nombreux diplomates. Après le succès de « Carmen » présenté l’année dernière, cet opéra est, en effet, le fruit d’une nouvelle collaboration entre la Tunisie et l’Italie, à travers le Pôle Ballets et Arts Chorégraphiques et le Pôle Musique et Opéra, avec le soutien du ministère des Affaires culturelles et en partenariat avec l’Institut culturel italien de Tunisie. Retour sur une réussite artistique et émotionnelle éclatante.

À l’origine, une tragédie, La Dame aux camélias

L’opéra de Giuseppe Verdi qui allie la profondeur des sentiments à l’efficacité dramatique d’une partition de génie est une adaptation d’un roman écrit par Alexandre Dumas fils, publié en 1848. L’écrivain a fait une deuxième version pour le théâtre. Le drame se déroule à Paris, à l’aube des années 1850. Alfredo Germont, un jeune bourgeois, s’éprend de Violetta, la courtisane qui mène une vie mondaine.  Le rôle d’Alfredo a été interprété par le célèbre ténor tunisien Hassen Doss lors de la première soirée, puis par le ténor japonais Haruo Kawakami à la deuxième représentation.

Quant à Violetta, elle a été campée par la soprano tunisienne Lilia Ben Chikha, dont la photo est à l’affiche du spectacle. Giorgio Germont, le père d’Alfredo brillamment joué par Haythem Hadhiri, la presse de mettre fin à leur relation jugée incompatible avec les bonnes mœurs. C’est à contrecœur que Violetta accepte ce sacrifice. Aveuglé par la colère et l’incompréhension, Alfredo la rejoint à une fête et il l’humilie publiquement.

Violetta, souffrante de tuberculose, se retrouve seule et abandonnée dans sa chambre en fin de vie. Alfredo parvient à la rejoindre quand il ne lui reste pourtant plus que quelques heures à vivre et elle rend son dernier souffle quelques instants après ces retrouvailles. Une histoire tragique fait alors la trame de cet opéra d’ensembles, où la musique est au service de la théâtralité. Une bonne maîtrise du jeu d’acteur s’impose, en plus des capacités vocales qu’implique d’habitude tout opéra. S’appuyant sur le livret de Francesco Maria Piave dans l’édition Ricordi de 1964, il a été joué par des artistes qui lui répondent avec la même puissance émotionnelle.

Des interprètes au sommet de leur art

Pour un triomphe sur toute la ligne, attesté par une standing ovation prolongée, au moins 147 artistes ont été sur scène. Un nombre important vu que l’opéra comporte quatre actes, dont deux sont des fêtes bien animées. Il fallait donc montrer les invités sur scène, habillés en strass et paillettes, avec un travail remarquable sur les costumes et les décors assuré par Kamel Dkhil. Les chanteurs tunisiens ont fait preuve d’une excellente puissance vocale. Ils étaient aussi  imprégnés des rôles, notamment d’un point de vue théâtral. Mention spéciale pour Maram Bouhbel, alias « Carmen » dans l’opéra, que le public a applaudi en 2024 et qui campe cette fois Flora.

L’Orchestre Symphonique Tunisien, sous la baguette de Chadi Garfi, a déployé toute la richesse expressive de la partition de Verdi avec maîtrise. Ce qui n’est pas dicible avec les mots a été exprimé par les instruments. Le Chœur de l’Opéra de Tunis, dirigé par Carlo Argelli, a un rôle majeur pour marquer l’intensité dramatique des moments forts.

L’expressivité des scènes où l’amour prend naissance et puis quand Alfredo a humilié Violetta étaient à la charge de l’orchestre. Le ballet de l’Opéra de Tunis, dirigé par Sihem Belkhodja avec une chorégraphie signée Pigi Vanelli, a su conjuguer intensité dramatique et délicatesse, accompagnant les différentes scènes qui vont de la joie la plus intense à l’agonie bouleversante à la fin de la pièce.

La salle était comble pour les deux soirées, preuve que l’opéra attire et séduit le public tunisien.  Il se montre dans cette version de La Traviata comme un art vivant, vibrant, capable de faire résonner des émotions universelles. Une autre réalisation exceptionnelle du Théâtre de l’Opéra tunisien et de ses partenaires qui œuvrent depuis des années pour  populariser ce genre de musique et instaurer un modèle à suivre pour les générations futures. Pour la deuxième soirée, en résumé, une soprano tunisienne et un ténor japonais ont été les vedettes d’un opéra italien inspiré d’une pièce française. Encore une preuve que la musique classique est un art qui peut transcender les limites de l’histoire et de la culture.

La prestation majestueuse de Lilia Ben Chikha

« La Traviata » a été une occasion pour le public tunisien de redécouvrir les compétences exceptionnelles de Lilia Ben Chikha  en matière d’interprétation, de qualité vocale et d’expression artistique. Célèbre depuis son passage à Star Academy, il y a une dizaine d’années, elle chante dans différents styles et dans différentes langues. D’ailleurs, elle a été il y a quelques mois à l’affiche du spectacle « Hier encore » de Rafik Gharbi, en hommage à Charles Aznavour.

Pour cet opéra, elle a livré l’une de ses incarnations les plus fascinantes du personnage de Violetta. Un rôle intense qui a attiré toutes les sopranos du monde et qui réclame une grande actrice doublée d’une chanteuse à la voix riche, puissante et expressive. La prestation de Lilia Ben Chikha est à saluer pour sa voix, à la fois puissante et nuancée, qui a su porter la douleur et la passion du personnage de Violetta avec une sincérité désarmante.

Chantant des airs mélodramatiques d’amour, de joie, de désespoir et d’agonie, elle a été capable de transmettre toute l’émotion nécessaire pour incarner cette icône de l’opéra. De plus, la chanteuse a été en mesure d’appréhender les enjeux dramatiques du personnage imaginé par Dumas.

La jeune artiste a su briller, danser, montrer sa fragilité, sa sensualité, sa délicatesse et sa grâce au début de la pièce. Les scènes du désespoir et du sacrifice imposé et la mort de Violetta ont arraché une larme aux plus endurcis. En la voyant de près, Lilia Ben Chikha a été dans la peau du personnage par ses gestes et même ses expressions faciales. Une interprétation habitée, vibrante de vérité, contrairement à d’autres chanteurs qui se contentent de maîtriser le volet musical et livrent une prestation robotique. Par sa présence scénique saisissante, sans jamais forcer l’émotion, elle a captivé l’auditoire du premier au dernier souffle, jusqu’à son apparition angélique à la fin de la pièce. 

Le guitariste et compositeur Hedi Fahem à La Presse : « La transmission est un volet crucial dans notre métier »

Élu «meilleur guitariste Yamaha» en 2016, Hédi Fahem multiplie les collaborations à l’échelle internationale et incarne un modèle à suivre pour de nombreux jeunes musiciens. Pourtant, le chemin vers le succès n’a pas été facile. Dans cet entretien, il revient sur les grands moments de sa carrière et les défis affrontés.

La Presse — Comment cette passion pour la musique est-elle née ?

J’ai découvert les vinyles de mon père à l’âge de 5 ans. Il avait surtout des enregistrements de rock classique : Jimi Hendrix, Pink Floyd… C’était le coup de foudre pour moi et c’est ainsi que j’ai décidé de devenir guitariste. J’ai tout fait pour apprendre en autodidacte. J’ai grandi à Gabès où il n’y avait aucun guitariste. J’ai dû alors apprendre à la télé. Quand ils passaient des émissions de musique, j’enregistrais au VHS et puis je revenais faire pause sur les positions des doigts et les autres détails. A l’âge de 16 ans, je jouais déjà comme un grand. J’étais encore au lycée quand j’ai découvert le festival de Jazz de Tabarka. Je faisais donc des économies tout au long de l’année pour y assister, quitte à dormir même à la plage. C’est grâce à ce festival que j’ai rencontré de grands noms du jazz. Ils m’ont appris, au-delà du volet technique, une approche humaine de la musique qui me marque à jamais. 

Quand vous jouez sur scène, tout paraît naturel et spontané. Pourtant, il doit y avoir certaines difficultés que le public ne voit pas. Quel est le volet le plus dur à gérer ?

Le plus dur c’est de croire en soi, de percer et de passer à un niveau avancé. On peut apprendre à manipuler une guitare en quelques mois. Mais, pour devenir professionnel, c’est assez complexe. J’ai abandonné mes études de journalisme au dernier moment pour me consacrer à ma carrière de musicien. Quand j’ai été accepté à mes débuts au Conservatoire royal de Bruxelles, je n’ai pas pu m’inscrire, faute de moyens. Mais, en contrepartie, j’ai passé 6 ans à me former seul comme dans une école. Je me levais tous les jours dès 7h00 du matin pour étudier jusqu’à 14h00. J’avais même des cahiers pour apprendre le côté théorique et développer mes connaissances musicales. Il n’y a que le travail assidu qui paie. C’est ainsi que je suis passé de jeune guitariste intéressant à musicien confirmé. Maintenant, je fais les morceaux en 20 minutes alors que d’autres y mettent 3 heures. 

Pourquoi n’êtes-vous pas parti dans la voie du showbiz où le gain est plus facile ?

J’ai tourné avec des artistes très célèbres, mais j’ai toujours eu un penchant pour les musiques qui ne sont pas commerciales. J’ai fait du rock, du blues, du jazz… En parallèle, j’ai collaboré avec Lotfi Bouchnak, Saber Rebai, Latifa, Majda Al Roumi, Hussein Al Jasmi… Je fais également beaucoup d’enregistrements de musiques de films et de séries sur Netflix et Shahid. Quand un musicien est vraiment passionné, on le détecte facilement. Liz McComb, la diva du gospel, a été à Hammamet, il y a quelques années, et elle a eu besoin d’un guitariste pour jouer une seule chanson. Quand son agent m’a contacté, il ne m’a pas précisé laquelle parce qu’elle n’a pas un programme préétabli pour ses shows. Elle improvise. Comme Liz McComb a à son compte plus d’une centaine de titres, à part les standards qu’elle reprend, j’ai dû les apprendre tous avant le concert et ça l’a impressionnée. Donc, au lieu d’un seul morceau, je l’ai accompagnée durant tout le concert et j’ai même joué avec elle à l’étranger. C’était un grand moment quand elle m’a présenté au public et aux journalistes. En côtoyant des artistes comme elle, j’ai appris à soutenir, à mon tour, les talents en herbe par l’encadrement, les masterclass gratuites, la direction de projets. La transmission du savoir est un volet crucial dans notre métier.

Qu’est-ce qui fait que vous soyez sollicité autant ?

D’abord, le côté humain est plus important que la maîtrise technique. On ne peut pas mener un projet à bon port sans entente entre les musiciens. De plus, il faut savoir s’adapter à différents répertoires et comprendre l’esprit et le besoin de chaque collaboration. Quand je joue avec «Erkez Hip-hop», par exemple, je n’ai pas recours à mon background de jazz. Il y a une sorte d’intelligence artistique qui vaut plus que le niveau de jeu avancé. 

En 2016, vous avez été élu «Meilleur guitariste » par Yamaha. Comment avez-vous décroché ce prix ?

Je n’avais aucune idée sur le concours. Il portait sur tous les instruments et tous les genres. À l’époque, j’avais fait quelques morceaux avec Omar El Ouaer, le célèbre pianiste. C’est lui qui a déposé la participation au concours pour la catégorie piano, mais sans que je sois au courant. Les jurys ont finalement décidé de retenir notre musique pour la catégorie guitare. Quand j’ai vu le mail, j’ai cru que c’était un spam. On m’a écrit que j’étais élu «Meilleur guitariste au monde» et que le P.D.-G. en personne me recevra pour cette consécration. Ce n’est qu’on lisant des messages de félicitations et des articles publiés que j’y ai cru. Une semaine après, le P.-d.g. de Yamaha Japon est venu en Tunisie pour la cérémonie. C’était un grand push pour moi qui m’a beaucoup aidé pour mes projets à l’étranger. 

Vous avez collaboré à diverses initiatives pour soutenir les jeunes talents. Pouvez-vous nous en parler davantage?

Je travaille sur un projet intitulé «Crescendo» qui réunit «Wallah We Can» et «Tunisia 88» ainsi que d’autres associations éducatives. Il s’agit de solliciter des jeunes doués sur toutes les villes tunisiennes. Je leur ai écrit et arrangé des chansons qui sortiront bientôt. C’est un projet  qui me tient à cœur parce que je viens moi-même de l’intérieur du pays. Quand j’ai appris à maîtriser l’instrument, mes chances de me produire devant un vrai public étaient infimes. Je trouve que rien n’a changé aujourd’hui. Même quand on organise des événements dans les villes, on ne donne pas assez d’occasions aux artistes locaux de montrer ce dont ils sont capables et l’attention est portée sur les invités. Cette décentralisation qui fait l’esprit même de « Crescendo » offre l’occasion à ces jeunes talents de se lancer et de faire des spectacles. Ils sont encadrés dans des clubs de musique aux lycées indépendamment de leur niveau artistique. On les encourage à écrire leurs propres textes, à composer, à filmer des clips. En plus d’apprendre un instrument, cet encadrement les aide psychologiquement par rapport à la confiance en soi et ça change leur vie. J’aurais voulu voir plus d’initiatives étatiques et d’associations tunisiennes impliquées dans des projets pareils, surtout en dehors de la capitale où l’accès aux événements de qualité est réduit à des manifestations restreintes. Les jeunes en ont vraiment besoin. 

Vient de paraître – La marche des cierges « de Emna Louzir » : « Ce qu’il y a de meilleur en nous »

… Des thèmes poignants racontés au fil des 23 poèmes répartis en 4 chapitres; les textes sont courts, légers et intenses à la fois, avec un grand jeu d’images et des références littéraires de différents horizons.

La Presse — La journaliste et poétesse Emna Louzir vient de publier un nouveau recueil en langue arabe intitulé «La marche des cierges» (Massirat al-choumoua». Animatrice et productrice d’émissions littéraires et culturelles à Radio Tunis, chaîne internationale, elle a déjà cinq ouvrages à son compte : quatre recueils de poésie en arabe littéraire et «Tout un poème», un recueil inspiré d’une production radiophonique portant le même titre, en collaboration avec Moëz Majed. Lauréate du prix Zoubeida Bchir pour la poésie en 2009, ses poèmes ont été traduits en italien, en anglais et en espagnol. Certains ont été publiés dans des anthologies au Canada, aux UAE et au Royaume-Uni.
«La marche des cierges», édité par Pop Libris, fait partie d’une série de publications littéraires baptisée «Pulsation» qui assemble des voix marquantes de la poésie contemporaine. Le titre fait écho aux célèbres vers de Mahmoud Darwiche «Elle dit : c’est comme si tu écrivais un poème.
Il dit : Je suis le rythme de ma circulation sanguine dans le langage des poètes».


L’idée est de rassembler les poèmes dans un format de livre de poche à un prix abordable. Un concept qui colle parfaitement à la vision de Emna Louzir, comme elle l’a indiqué dans la préface de ce recueil. Si le célèbre poète palestinien estime que le texte bat au rythme de son cœur, cette collection annoncée par Pop Libris aspire à faire de chaque vers une pulsation, un battement d’âme.
«La marche des cierges» reprend le fil des réflexions passées depuis «Ranin» paru en 2003. «Jusqu’à ce jour, mes écrits n’ont cessé d’être en osmose avec chaque battement de l’âme humaine, ses préoccupations, ses doutes, ses chocs et avec tout ce que la vie peut apporter à l’être humain», écrit Emna Louzir dans sa préface. Elle a puisé son inspiration dans des rencontres au gré du hasard et des conversations avec des inconnus. Ses vers témoignent de la force de la poésie dans l’expression des émotions les plus profondes : les horreurs, les douleurs, mais aussi la résilience des individus confrontés à de tragiques événements. La guerre, l’exode, le tremblement de terre à Agadir en 1960, les espoirs déçus… Des thèmes poignants racontés au fil des 23 poèmes répartis en 4 chapitres : «Prisonnier d’une illusion» «Que deviennent les histoires de l’enfance ?», «Pluie d’algues vertes» et «Sur la route qui mène à toi». Les textes sont courts, légers et intenses à la fois, avec un grand jeu d’images et des références littéraires de différents horizons. «Photographie», «La tulipe noire», «Poupée», «Sabra» qui fait écho à son tout premier recueil et d’autres poèmes engagés reflètent les tourments de l’histoire, synonymes de destruction et de désolation. Entre cris étouffés par les bombes, murmures dans les ruines, prières dans la nuit, on décèle derrière chaque vers une expérience, un moment de vérité. Des réflexions et une profondeur émotionnelle portent les traces d’une mémoire collective et méritent d’être explorées pour mieux comprendre l’impact des conflits armés sur notre histoire et notre humanité. La poétesse observe, pleure, dénonce et parfois console. Qu’il s’agisse de conflits anciens ou contemporains, les textes nous incitent ainsi à questionner le monde, et même à se révolter. Au fil de la lecture, les paysages détruits deviennent des métaphores de l’âme, d’une réalité intime qui transcende les époques. C’est de cette tension entre violence et beauté qu’est né ce recueil. Peut-on croire au pouvoir des mots, même lorsque tout semble s’effondrer ? «La poésie révèle ce qu’il y a de meilleur en nous », écrit Emna Louzir dans «La marche des cierges». La guerre déchire, brise, bouleverse. Et pourtant, au cœur du chaos, la poésie survit par les mots qui éclairent nos zones d’ombre et mettent en lumière nos élans de bonté, notre sensibilité, notre capacité à rêver, à résister et à aimer.

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