Lâhistoire, dit-on, ne se rĂ©pĂšte pas, mais elle bĂ©gaie. En 2003, les Ătats-Unis envahissent lâIrak au nom dâun danger imminent : Saddam Hussein dĂ©tiendrait des armes de destruction massive (ADM). Vingt ans plus tard, le monde assiste au bombardement de lâIran par IsraĂ«l et les Etats-Unis, justifiĂ© par la crainte que la RĂ©publique islamique soit sur le point dâacquĂ©rir lâarme nuclĂ©aire. Dans les deux cas, les faits sont contestĂ©s, les preuves fragiles, et les consĂ©quences dĂ©vastatrices.
Dr. Sadok Zerelli *
Deux guerres, un mĂȘme mensonge
AprĂšs les attentats du 11 septembre 2001, lâadministration Bush lance la «guerre contre le terrorisme ». LâIrak est rapidement dĂ©signĂ© comme cible prioritaire. Les justifications officielles abondent : liens supposĂ©s entre Saddam Hussein et Al-QaĂŻda, mais surtout, accusations de possession dâarmes chimiques, biologiques et nuclĂ©aires.
MalgrĂ© les inspections de lâOnu qui nâont trouvĂ© aucune preuve tangible, la machine de guerre sâemballe. Colin Powell, alors secrĂ©taire dâĂtat, brandit des fioles supposĂ©es remplies de produits chimiques et bactĂ©riologiques dangereux et des schĂ©mas douteux Ă lâOnu.
Le 20 mars 2003, les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s envahissent lâIrak. La suite est connue : aucune arme de destruction massive ne sera jamais trouvĂ©e. Le rĂ©gime est renversĂ©, mais le pays sâenfonce dans le chaos, donnant naissance Ă une guerre civile et Ă des groupes terroristes comme Daech.
Lâobjectif rĂ©el ? Redessiner le Moyen-Orient, contrĂŽler les ressources pĂ©troliĂšres, affirmer la domination amĂ©ricaine. Le mensonge dâĂtat devient outil de guerre.
LâIran, nouvelle cible du mensonge dâEtat
Le 13 juin 2025, IsraĂ«l lance une sĂ©rie de frappes contre des sites iraniens. Motif officiel : empĂȘcher lâIran de fabriquer une bombe nuclĂ©aire. Pourtant, toutes les sources indĂ©pendantes, y compris des services de renseignement occidentaux et mĂȘme la CIA, confirment que lâIran ne possĂšde pas dâarme nuclĂ©aire et nâest pas Ă quelques semaines de lâavoir. LâAgence internationale de lâĂ©nergie atomique (AIEA) nâa trouvĂ© aucun indice de militarisation active du programme iranien.
Comme en 2003, les avertissements diplomatiques sont ignorĂ©s. Le rĂ©cit dominant est imposĂ© par une minoritĂ© de faucons politiques et militaires. Une peur orchestrĂ©e lâemporte sur les faits. A nouveau, le monde dĂ©couvre, trop tard, que les raisons invoquĂ©es relĂšvent davantage de lâidĂ©ologie que de la vĂ©ritĂ©.
Un mĂȘme schĂ©ma basĂ© sur la peur, la dĂ©sinformation et la crĂ©ation dâun ennemi absolu.
â En 2003, Saddam Hussein prĂ©sentĂ© comme un tyran fou prĂȘt Ă utiliser ses ADM contre lâOccident.
-En 2025, le régime iranien décrit comme messianique, irrationnel, et résolu à détruire Israël avec une bombe nucléaire fictive.
Dans les deux cas, on assite Ă une marginalisation des organismes internationaux.
En Irak, lâOnu est contournĂ©e, ses inspecteurs discrĂ©ditĂ©s.
En Iran, lâAIEA est ignorĂ©e malgrĂ© ses rapports rassurants.
La mise en scÚne médiatique est identique.
En 2003, les grands mĂ©dias relayent les assertions amĂ©ricaines sans enquĂȘte sĂ©rieuse.
En 2025, de nombreuses chaßnes occidentales reprennent les éléments israéliens sans vérification, noyant les avertissements contradictoires.
Le dogme de la guerre préventive
Les bombardements par IsraĂ«l depuis le 13 juin des sites nuclĂ©aires et civils en Iran suivis par des bombardements encore plus dĂ©vastateurs il y a quelques jours de trois sites nuclĂ©aires par les B-52 amĂ©ricains, illustrent parfaitement la mentalitĂ© de «cowboy» de Donald Trump, un grand amateur du sport de combat MMA dont il ne rate pas les grands matchs, et quâil a rĂ©sumĂ© lui-mĂȘme ainsi : «Lorsque la bataille est inĂ©vitable, il faut frapper le premier ». Il nâhĂ©site pas Ă appliquer le mĂȘme principe de combat dans les relations internationales comme si le monde est une vaste arĂšne oĂč celui qui frappe le premier et de prĂ©fĂ©rence par surprise gagne le match.
Ce faisant, il oublie que lââinvasion de lâIrak a Ă©tĂ© un dĂ©sastre humanitaire, politique et moral et que le bombardement de lâIran, sous un faux prĂ©texte nuclĂ©aire, pourrait mettre en danger la paix mondiale et engendrer un cataclysme bien plus vaste pour toute lâhumanitĂ©.
LâEtĂ© de toutes les peurs
La riposte immĂ©diate de lâIran aux bombardements dâIsraĂ«l et des Etats-Unis a Ă©tĂ© jusquâĂ maintenant une pluie de missiles et de drones sur les villes israĂ©liennes et mĂȘme une base amĂ©ricaine dans la rĂ©gion.
Cependant, le Liban, la Syrie et mĂȘme certains Etats monarchiques du Golfe tels que le Qatar ou lâArabie Saoudite risquent dâĂȘtre aspirĂ©s dans le conflit. Les prix du pĂ©tole vont flamber Ă la suite de la fermeture Ă©ventuelle par lâIran du dĂ©troit dâOrmuz. Les marchĂ©s paniquent et la rĂ©cession Ă©conomique et lâinflation seront mondiales, obligeant dâautres puissances telles que la Chine ou la Russie ou lâEurope dâintervenir : lâembrasement rĂ©gional deviendra mondial, avec le risque dâutilisation en dernier recours dâarmes nuclĂ©aires tactiques ou balistiques, ce qui provoquera la disparition Ă plus ou moins brĂšve Ă©chĂ©ance de lâhumanitĂ© et de toute vie sur terre.
Ce scĂ©nario catastrophe rejoint malheureusement les conclusions du âBulletin of the Atomic Scientists Doomsday Clockâ , un modĂšle symbolique Ă©laborĂ© par un grand nombre de scientifiques du monde entier qui mesure la «proximitĂ© de la fin du monde » en minutes avant minuit et qui intĂšgre les risques de guerre nuclĂ©aire, changement climatique, IA non contrĂŽlĂ©e, etc. En 2024, il a Ă©tĂ© placĂ© à «90 secondes avant minuit », le plus proche jamais atteint.
Lâimpact sur la Tunisie
Je ne suis pas particuliĂšrement superstitieux, mais je ne peux pas ne pas relever la succession de catastrophes internationales depuis cinq ans qui se traduisent par des «chocs extĂ©rieurs» subis par la Tunisie : Covid-19 avec rĂ©cession mondiale, guerre en Ukraine avec flambĂ©e du coĂ»ts des produits Ă©nergĂ©tiques et alimentaires, Ă©lection de Donald Trump avec imposition de nouveaux droits de douanes supplĂ©mentaires de 28% sur le produits tunisiens exportĂ©s aux Etats-Unis, et maintenant la guerre entre IsraĂ«l et lâIran avec risque dâun embrasement du Moyen-Orient dont la Tunisie fait partie intĂ©grale, si elle nâengendrera pas une troisiĂšme guerre mondiale.
Certes, la Tunisie ne serait pas directement impliquĂ©e militairement, mais elle subirait des consĂ©quences politiques, Ă©conomiques et sociales importantes, qui viendront aggraver la rĂ©cession Ă©conomique, le chĂŽmage et lâinflation quâelle endure dĂ©jĂ depuis 2011, et rĂ©duiront pratiquement Ă nĂ©ant les faibles espoirs de reprise de la croissance Ă©conomique et de la paix sociale.
MĂȘme si le prĂ©sident KaĂŻs SaĂŻed chercherait probablement Ă maintenir une position de neutralitĂ©, toutefois, une pression populaire anti-israĂ©lienne pourrait surgir, avec manifestations, voire troubles, en particulier si des images de civils iraniens massacrĂ©s circulent massivement.
Sur le plan de la politique interne, la guerre entre IsraĂ«l et lâIran pourrait rĂ©activer des de vieux clivages idĂ©ologiques : certains mouvements islamistes ou panarabes (comme Ennahdha ou dâanciens milieux nassĂ©riens) pourraient exprimer un soutien implicite Ă lâIran, vu comme une puissance antisioniste, tandis que dâautres courants pourraient appeler Ă la modĂ©ration ou au soutien indirect Ă IsraĂ«l, par hostilitĂ© Ă lâaxe chiite.
Sur le plan de la politique internationale, un soutien tunisien â mĂȘme diplomatique â Ă lâIran serait immĂ©diatement perçu par Donald Trump comme inacceptable et risque dâĂȘtre qualifiĂ© de «soutien Ă une puissance terroriste» . Avec son tempĂ©rament fougueux et imprĂ©visible, il ne se contenterait pas de critiques verbales mais pourrait immĂ©diatement ordonner le gel des aides Ă©conomiques amĂ©ricaines, lâextension des sanctions financiĂšres internationales via la pression amĂ©ricaine sur Fonds monĂ©taire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM), ou de nouveaux tarifs douaniers sur les exportations tunisiennes vers les Etats-Unis encore plus Ă©levĂ©s que les 28% quâil a dĂ©jĂ dĂ©cidĂ© dâinstaurer en mars dernier. Pire, il pourrait utiliser son rĂ©seau social Social Truth pour sâen prendre personnellement Ă KaĂŻs SaĂŻd, en le qualifiant de «sympathisant de lâennemi» et exercer mĂȘme des pressions sur ses alliĂ©s du Golfe (Arabie Saoudite, Ămirats, Qatar) pour quâils isolent diplomatiquement et Ă©conomiquement la Tunisie, davantage quâelle ne lâest dĂ©jĂ .
Bref, Ă part les retombĂ©es directes et indirectes de la guerre entre lâIran et IsraĂ«l, la Tunisie risque de payer cher les affinitĂ©s prĂ©sumĂ©es de Kais SaĂŻd avec le rĂ©gime iranien.
Que Dieu nous protĂšge !
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