«L’État tunisien est gouverné par ses lois et ses institutions, et non par des publications sur les réseaux sociaux», a lancé Kaïs Saïed, retournant ainsi à ses auteurs cette critique qui lui est souvent faite par ses opposants sur ces mêmes réseaux sociaux.
Le président de la république, qui parlait lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau gouverneur de Ben Arous, Abdelhamid Boukaddida, mercredi 14 mai 2024, au Palais de Carthage, a ajouté que ces publications «sont préparées depuis l’étranger avec des relais à l’intérieur du pays», évoquant, au passage, la thèse du complot ourdi de l’étranger avec des complicités locales dont il n’a de cesse d’accuser ses opposants, dont beaucoup sont déjà incarcéré et poursuivis en justice pour… «complot contre la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat».
«La Tunisie est unie, toutes ses institutions doivent œuvrer en harmonie selon la politique définie par le président de la république dans le cadre de sa fonction exécutive, et conformément à la législation et à la constitution», a aussi déclaré Saïed, au cas où certains responsables publics n’ont pas bien saisi la portée hyper-présidentielle de la Loi fondamentale qu’il avait fait promulguer lui-même en 2022.
«Ceux qui agissent à rebours de cette vision devront céder leurs places à des personnes dignes de la responsabilité de hisser haut le drapeau tunisien et de servir les Tunisiens dans l’équité, loin du favoritisme et des tentatives de déstabilisation», a encore souligné Saïed.
«Notre pays est un État indépendant, où la souveraineté appartient au peuple. Et ceux qui s’opposent à la volonté du peuple seront relégués pour trahison et tentative de diviser l’État», a encore martelé le chef de l’Etat, en appelant le nouveau gouverneur à traiter tous les citoyens sur un pied d’égalité et conformément à la loi. Il a aussi souligné la nécessité de «libérer la Tunisie de ceux qui complotent contre elle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur».
Il a, par la même occasion, donné ses instructions pour prendre les mesures nécessaires contre les lobbies et les intrus qui se sont infiltrés dans l’administration.
«La Tunisie appartient aux Tunisiens, et ceux qui veulent la ramener en arrière se leurrent, malgré les pages qui diffusent des rumeurs, qui ne trompent plus un peuple déterminé à poursuivre la marche de la libération nationale», a-t-il dit.
À l’occasion de sa présence au Festival de Cannes, qui a débuté aujourd’hui dans la ville de Nice, le créateur de contenu tunisien Samy Chaffaï a rencontré la célèbre famille de youtubeurs d’origine syrienne The Anasala Family. Installée à Los Angeles, cette famille est devenue une véritable icône des réseaux sociaux, récompensée notamment par le […]
Khaoula Slimani, célèbre instagrameuse, actrice et chroniqueuse tunisienne, s’est récemment livrée avec sincérité dans l’émission Al-Burhan sur son cheminement spirituel, profondément marqué par le décès tragique de son amie proche, l’instagrameuse Farah El Kadhi. Elle a évoqué une transformation intérieure amorcée par une série de questionnements existentiels sur la foi, le sens de la vie […]
Le rappeur Balti a annoncé avec une profonde tristesse le report de son concert prévu le 11 mai 2025 à l’Espace Lumen à Bruxelles, suite au décès de son ami et collaborateur proche, le rappeur Kafon. Très touché par cette perte soudaine, Balti a exprimé son incapacité à assurer le spectacle dans un moment aussi […]
Dans cette tribune, l’auteure, psychanalyste, réagit à l’article de Sadok Zerzeri «La 3e guerre mondiale ou quand l’histoire se répète». Pour elle, les conflits armés ne naissent pas du jour au lendemain; ils mûrissent longtemps dans l’inconscient collectif. Aussi la véritable paix se construit-elle d’abord dans les esprits : l’empathie sociale, l’éducation, la culture, le dialogue et le débat contradictoire. (Ph. Demeter de Walid Zouari, 130*150, 2025).
Manel Albouchi *
À travers l’histoire, les guerres n’ont jamais surgi par hasard : elles sont l’aboutissement d’un lent processus intérieur, à l’échelle collective. Dans les sociétés, comme dans les individus, des émotions profondes (peurs, humiliations, frustrations, blessures identitaires) s’accumulent silencieusement et agissent comme des braises sous la cendre : elles semblent éteintes, mais peuvent raviver l’incendie au moindre souffle. Car avant la guerre, il y a toujours l’incendie «psychique».
La psychologie des foules, mise en lumière par Gustave Le Bon (1895), montre que sous certaines conditions (crise économique, perte de repères, peur de l’avenir) l’individu cesse de penser par lui-même. Pris dans la masse, il devient plus suggestible, plus impulsif, perdant son discernement rationnel.
Sigmund Freud, dans Psychologie collective et analyse du moi (1921), approfondit cette idée : quand l’individu s’identifie à un leader ou à un idéal collectif, il suspend son propre sens critique. Le surmoi (l’instance morale qui nous freine intérieurement) est comme absorbé par le groupe, libérant des pulsions archaïques souvent régressives, violentes, irrationnelles.
Des bombes émotionnelles à retardement
Dans toute société, les émotions individuelles ne restent jamais isolées : elles s’agrègent, se propagent, se renforcent mutuellement : une contagion émotionnelle.
Quand la peur, la colère, la haine ou l’humiliation se multiplient sans être traitées, elles forment des dynamiques psychiques collectives, de véritables bombes émotionnelles à retardement.
Daniel Kahneman (2011), dans Système 1 Système 2, montre que sous l’effet de la polarisation cognitive, les groupes humains ont tendance à radicaliser leurs croyances et leurs émotions, en rejetant toute pensée nuancée.
Les réseaux sociaux modernes amplifient ce phénomène : ils enferment chacun dans des bulles émotionnelles qui renforcent les divisions.
Pour Carl Gustav Jung (1959), l’inconscient collectif contient des archétypes puissants (le héros, l’ennemi, la guerre, le sacrifice) qui peuvent resurgir à l’échelle collective dès que les tensions émotionnelles atteignent un certain seuil. Quand ces charges affectives saturent l’espace psychique sans trouver d’issue civilisée (dialogue, réforme, sublimation artistique…), la pression devient insupportable. La société explose alors sous forme de révoltes, de guerres ou de chutes brutales d’institutions. Ces dynamiques sont largement inconscientes, ce qui les rend d’autant plus dangereuses.
L’effondrement d’une civilisation ne se produit jamais brutalement : il est presque toujours précédé d’une lente érosion psychique collective.
À mesure que les tensions internes (sociales, morales, émotionnelles) grandissent sans trouver de réponse adaptée, la structure même de la société se fragilise de l’intérieur, jusqu’à s’effondrer sous son propre poids. Ce processus est notamment décrit par Michel Onfray dans son ouvrage Décadence.
La chute de Rome est la conséquence d’une désagrégation intérieure : perte de valeurs fondatrices, corruption, désillusion collective, incohérence entre l’idéal romain et la réalité vécue. L’empire ne s’est pas écroulé en un jour et sa chute de Rome n’est pas seulement due aux invasions extérieures. La corruption, la perte de repères, la dissonance entre l’idéal civique romain (vertu, devoir, honneur) et la réalité quotidienne ont lentement miné la cohésion interne. Les «barbares» n’ont fait que pousser un édifice déjà pourri de l’intérieur.
Les Croisades, derrière le vernis religieux, ont servi de soupape psychologique. Plutôt que d’affronter les tensions internes (surpeuplement, conflits de pouvoir, pauvreté), l’Europe a projeté sa violence vers l’extérieur, en la justifiant par une cause sacrée. C’est un mécanisme inconscient de projection : l’ennemi devient le miroir de nos propres tensions.
La révolution française de 1789 n’est pas née d’un simple caprice politique. Des décennies d’injustices, de frustrations et d’humiliations avaient saturé l’inconscient collectif français. Faute de réformes réelles pour libérer ces tensions, la violence est devenue l’issue inévitable.
S’agissant des deux guerres mondiales, Freud y a vu l’expression tragique de la pulsion de mort (Thanatos) à l’échelle collective. Montée des nationalismes, sentiments d’humiliation (notamment en Allemagne après 1918), la crise économique, et les replis identitaires ont alimenté une dynamique d’autodestruction. Incapables de sublimer leur souffrance (par l’art, la pensée, ou la réforme sociale), les sociétés ont bifurqué vers l’auto-anéantissement.
En résumé, quand une civilisation échoue à traiter ses blessures internes, elle prépare elle-même les conditions de son effondrement. L’ennemi extérieur n’est souvent que l’ultime révélateur d’un processus d’autodestruction déjà enclenché.
Fabriquer la haine en temps réel à l’ère numérique
Cela a commencé avec la télévision. Puis avec l’avènement des réseaux sociaux, les dynamiques émotionnelles collectives sont entrées dans une phase d’accélération sans précédent. Chaque émotion, chaque indignation, chaque peur trouve un écho immédiat et démultiplié, créant un climat émotionnel instable et inflammable.
En plus les réseaux sociaux fragmentent le temps de concentration et privilégient l’instantanéité émotionnelle sur la réflexion critique.
Comme le montre Kahneman, le système 1 (pensée rapide, impulsive) est sollicité en permanence, au détriment du Système 2 (pensée lente, réfléchie). Le résultat : des réactions impulsives, jugements hâtifs, montée rapide des affects négatifs.
Les algorithmes privilégient les contenus qui suscitent colère, peur, indignation, car ces émotions captent davantage l’attention et favorisent l’engagement. La haine est devenue un carburant économique.
L’exemple de Donald Trump est emblématique : son succès n’est pas seulement politique, il est affectif. Il a capté et amplifié des frustrations profondes, liées à la peur du déclin, à la nostalgie d’un âge d’or perdu, au sentiment d’exclusion des classes populaires. Les réseaux sociaux ont servi d’amplificateurs de ces ressentis, créant une polarisation émotionnelle extrême.
Les Égrégores (bien illustrés dans la toile Demeter de Walid Zouari), un terme que j’empreinte au langage symbolique, sont des entités psychiques formées par l’union d’émotions et de pensées collectives.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux fabriquent des égrégores instantanés, véritables masses émotionnelles autonomes, capables d’orienter des élections, de déclencher des émeutes, voire d’initier des guerres culturelles.
En bref, l’ère numérique a transformé la psychologie collective : ce qui autrefois mettait des années à fermenter explose désormais en quelques jours. La fabrication de la haine est devenue un processus technique, industriel et algorithmique.
Tunisie : des bombes émotionnelles à retardement
La Tunisie n’échappe pas à ces dynamiques psychiques collectives. Depuis 2011, le pays vit dans un état émotionnel instable, oscillant entre espoir, déception, colère et nostalgie d’un ordre perdu.
Derrière l’apparente résilience du peuple tunisien, des frustrations profondes s’accumulent : chômage, injustice sociale, perte de repères, sentiment d’abandon par les élites. Ce sont autant de bombes émotionnelles à retardement, prêtes à exploser si elles ne trouvent pas de voies d’expression pacifiques.
Les réseaux sociaux où les Tunisiens sont très actifs amplifient quotidiennement l’anxiété collective, à travers des flux constants de scandales, de discours haineux, de théories du complot. Ici aussi, l’attention est fragmentée, les affects négatifs dominent, et la réflexion est souvent court-circuitée.
Aujourd’hui, la Tunisie peine à construire un récit national positif post-révolution. L’absence d’un projet mobilisateur laisse place au repli identitaire, à la nostalgie d’un passé idéalisé ou à la méfiance généralisée. Comme dans l’histoire de Rome ou dans l’exemple d’autres révolutions étudiées, l’effritement de l’imaginaire commun est un signe précurseur de dangers plus profonds.
Heureusement, toutes les tensions collectives ne débouchent pas sur la destruction. Lorsqu’une société est capable de nommer ses blessures, de penser ses fractures et d’offrir des espaces d’expression, les tensions peuvent être sublimées plutôt que refoulées ou projetées sous forme de violence.
Sublimer signifie transformer une énergie émotionnelle brute (colère, peur, frustration) en création constructive : en revendications politiques menant à des réformes, en débats publics qui renforcent la cohésion sociale, en mouvements artistiques ou culturels qui permettent d’élaborer la souffrance collective.
Mais lorsque les mécanismes de régulation comme l’éducation libre, le dialogue social sincère et les institutions justes, s’affaiblissent ou s’effondrent, l’espace symbolique disparaît, et la violence devient le langage par défaut. C’est alors que les sociétés glissent vers la radicalisation, le conflit, ou l’autodestruction.
Michel Onfray montre bien comment une civilisation, en perdant ses fondements spirituels, moraux et esthétiques, devient incapable de transformer ses tensions autrement que par la destruction.
Sublimer ou exploser ? C’est ça la vraie question.
Le véritable front : l’esprit collectif
Le véritable champ de bataille n’est pas uniquement physique; il est avant tout psychique et émotionnel.
Pour comprendre (et prévenir) les guerres, il faut aller au-delà des apparences : il faut analyser les émotions collectives, les croyances, les frustrations sociales qui s’accumulent sous la surface. Les conflits armés ne naissent pas du jour au lendemain; ils mûrissent longtemps dans l’inconscient collectif.
Ainsi, pour prévenir la guerre, il ne suffit pas d’agir sur les lois ou les territoires : il faut éduquer, renforcer l’empathie sociale, et enseigner une pensée critique qui permette d’identifier et de désamorcer les dérives émotionnelles et idéologiques.
La véritable paix se construit d’abord dans les esprits.
* Psychothérapeute, psychanalyste.
Sources :
Sigmund Freud (1920). Au-delà du principe de plaisir. Payot.
Gustave Le Bon (1895). Psychologie des foules. Flammarion.
Carl Gustav Jung (1959). Psychologie de l’inconscient. Le livre de poche.
Daniel Kahneman (2011). Système 1 Système 2 les deux vitesses de la pensée. Flammarion.