Face Ă la famine qui tue Ă Gaza, une diplomatie lĂąche et ronronnante
Face Ă la dĂ©gradation dramatique de la situation Ă Gaza â sur le plan humanitaire, sanitaire, sĂ©curitaire et moral â certains pays europĂ©ens, dont la France, ainsi que le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies, semblent sâĂȘtre rĂ©fugiĂ©s dans le confort grammatical du futur simple. (Ph. A Gaza, les affamĂ©s se font tirer dessus par lâarmĂ©e israĂ©lienne).
Khemais Gharbi *

Le prĂ©sent de lâindicatif, pourtant temps de lâaction concrĂšte et urgente, a disparu de leur vocabulaire. Il a Ă©tĂ© remplacĂ© par des promesses lointaines : «Nous allons reconnaĂźtre lâĂtat de Palestine»; «Nous allons organiser une confĂ©rence»; «Nous allons Ćuvrer pour un cessez-le-feu»; «Nous allons amĂ©liorer lâacheminement de lâaide humanitaire.»
Cette conjugaison de lâattente est accompagnĂ©e dâun appauvrissement sĂ©mantique. Les mots qui condamnent ont Ă©tĂ© gommĂ©s. On ne «dĂ©nonce» plus. On ne «condamne» plus. On «dĂ©plore», on «regrette», on «sâinquiĂšte», on «exprime une Ă©motion».
Le futur simple contre la faim immédiate
Ainsi, face Ă une famine organisĂ©e, Ă des civils affamĂ©s abattus en file indienne, le langage diplomatique prĂ©fĂšre lâĂ©lĂ©gance molle des euphĂ©mismes Ă la clartĂ© courageuse des accusations.
Le ministre français Jean-NoĂ«l Barrot a dĂ©clarĂ© rĂ©cemment que la France, tout comme lâEurope, Ă©tait «prĂȘte Ă contribuer Ă garantir une distribution sĂ©curisĂ©e de la nourriture Ă Gaza», sans en prĂ©ciser ni les modalitĂ©s ni le calendrier. Il reconnaĂźt nĂ©anmoins la gravitĂ© de la situation : des centaines de Palestiniens sont tombĂ©s, fauchĂ©s par les balles de lâarmĂ©e israĂ©lienne alors quâils tentaient de rĂ©cupĂ©rer un sac de farine. Il parle dâun «scandale» et dâune «atteinte Ă la dignitĂ© humaine»⊠sans oser nommer lâEtat gĂ©nocidaire auteur de ces crimes contre lâhumanitĂ©. Et lĂ encore, aucune annonce dâaction immĂ©diate. Le mot «colĂšre» est lĂąchĂ©, mais ne se transforme ni en sanction, ni en pression rĂ©elle.
Selon le ministĂšre de la SantĂ© de Gaza, environ 550 personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es et plus de 4 000 blessĂ©es lors de rassemblements autour des centres de distribution de vivres, depuis le dĂ©but des opĂ©rations de la trĂšs controversĂ©e Fondation humanitaire de Gaza, un machin créé par IsraĂ«l et les Etats-Unis pour servir les desseins sordides de lâarmĂ©e israĂ©lienne.
De son cĂŽtĂ©, AntĂłnio Guterres, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâOnu, a affirmĂ© que «chercher de la nourriture ne devrait pas Ă©quivaloir Ă une condamnation Ă mort», dĂ©nonçant â enfin â un systĂšme de distribution qui tue. Mais lĂ encore, les Nations unies sont tenues Ă lâĂ©cart.
Mourir de faim ou mourir sous les balles
Depuis le 27 mai, les Ătats-Unis et IsraĂ«l ont instaurĂ© un nouveau mode de distribution de lâaide humanitaire, hors du contrĂŽle des agences internationales. LâarmĂ©e israĂ©lienne y supervise directement la foule, et tire Ă balles rĂ©elles sur ceux qui osent approcher.
Les Palestiniens sont ainsi acculés à un choix inhumain : mourir de faim ou mourir sous les balles.
Et pendant ce temps, lâOccident conjugue au futur. Il va faire quelque chose. Il prĂ©pare une rĂ©ponse. Il sâengagera un jour. Mais Gaza, elle, saigne au prĂ©sent.
* Ecrivain et traducteur.
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