« La Traviata » au Théâtre de l’Opéra de Tunis : Un chef-d’œuvre tunisien acclamé
La salle était comble pour les deux soirées, preuve que l’opéra attire et séduit le public tunisien. Il se montre dans cette version de La Traviata comme un art vivant, vibrant, capable de faire résonner des émotions universelles. Une autre réalisation exceptionnelle du Théâtre de l’Opéra tunisien et de ses partenaires qui œuvrent depuis des années pour populariser ce genre de musique.
La Presse — Dans l’écrin majestueux du Théâtre de l’Opéra de Tunis, les rideaux se sont ouverts sur une œuvre magistrale : la Traviata de Giuseppe Verdi dans une version portée par des artistes tunisiens sous la direction musicale de Nicoletta Conti et une mise en scène par Stefano Vizioli. Deux dates ont été programmées : le 9 et le 11 mai. La deuxième représentation a été donnée en présence de la ministre des Affaires culturelles et de nombreux diplomates. Après le succès de « Carmen » présenté l’année dernière, cet opéra est, en effet, le fruit d’une nouvelle collaboration entre la Tunisie et l’Italie, à travers le Pôle Ballets et Arts Chorégraphiques et le Pôle Musique et Opéra, avec le soutien du ministère des Affaires culturelles et en partenariat avec l’Institut culturel italien de Tunisie. Retour sur une réussite artistique et émotionnelle éclatante.
À l’origine, une tragédie, La Dame aux camélias
L’opéra de Giuseppe Verdi qui allie la profondeur des sentiments à l’efficacité dramatique d’une partition de génie est une adaptation d’un roman écrit par Alexandre Dumas fils, publié en 1848. L’écrivain a fait une deuxième version pour le théâtre. Le drame se déroule à Paris, à l’aube des années 1850. Alfredo Germont, un jeune bourgeois, s’éprend de Violetta, la courtisane qui mène une vie mondaine. Le rôle d’Alfredo a été interprété par le célèbre ténor tunisien Hassen Doss lors de la première soirée, puis par le ténor japonais Haruo Kawakami à la deuxième représentation.
Quant à Violetta, elle a été campée par la soprano tunisienne Lilia Ben Chikha, dont la photo est à l’affiche du spectacle. Giorgio Germont, le père d’Alfredo brillamment joué par Haythem Hadhiri, la presse de mettre fin à leur relation jugée incompatible avec les bonnes mœurs. C’est à contrecœur que Violetta accepte ce sacrifice. Aveuglé par la colère et l’incompréhension, Alfredo la rejoint à une fête et il l’humilie publiquement.
Violetta, souffrante de tuberculose, se retrouve seule et abandonnée dans sa chambre en fin de vie. Alfredo parvient à la rejoindre quand il ne lui reste pourtant plus que quelques heures à vivre et elle rend son dernier souffle quelques instants après ces retrouvailles. Une histoire tragique fait alors la trame de cet opéra d’ensembles, où la musique est au service de la théâtralité. Une bonne maîtrise du jeu d’acteur s’impose, en plus des capacités vocales qu’implique d’habitude tout opéra. S’appuyant sur le livret de Francesco Maria Piave dans l’édition Ricordi de 1964, il a été joué par des artistes qui lui répondent avec la même puissance émotionnelle.
Des interprètes au sommet de leur art
Pour un triomphe sur toute la ligne, attesté par une standing ovation prolongée, au moins 147 artistes ont été sur scène. Un nombre important vu que l’opéra comporte quatre actes, dont deux sont des fêtes bien animées. Il fallait donc montrer les invités sur scène, habillés en strass et paillettes, avec un travail remarquable sur les costumes et les décors assuré par Kamel Dkhil. Les chanteurs tunisiens ont fait preuve d’une excellente puissance vocale. Ils étaient aussi imprégnés des rôles, notamment d’un point de vue théâtral. Mention spéciale pour Maram Bouhbel, alias « Carmen » dans l’opéra, que le public a applaudi en 2024 et qui campe cette fois Flora.
L’Orchestre Symphonique Tunisien, sous la baguette de Chadi Garfi, a déployé toute la richesse expressive de la partition de Verdi avec maîtrise. Ce qui n’est pas dicible avec les mots a été exprimé par les instruments. Le Chœur de l’Opéra de Tunis, dirigé par Carlo Argelli, a un rôle majeur pour marquer l’intensité dramatique des moments forts.
L’expressivité des scènes où l’amour prend naissance et puis quand Alfredo a humilié Violetta étaient à la charge de l’orchestre. Le ballet de l’Opéra de Tunis, dirigé par Sihem Belkhodja avec une chorégraphie signée Pigi Vanelli, a su conjuguer intensité dramatique et délicatesse, accompagnant les différentes scènes qui vont de la joie la plus intense à l’agonie bouleversante à la fin de la pièce.
La salle était comble pour les deux soirées, preuve que l’opéra attire et séduit le public tunisien. Il se montre dans cette version de La Traviata comme un art vivant, vibrant, capable de faire résonner des émotions universelles. Une autre réalisation exceptionnelle du Théâtre de l’Opéra tunisien et de ses partenaires qui œuvrent depuis des années pour populariser ce genre de musique et instaurer un modèle à suivre pour les générations futures. Pour la deuxième soirée, en résumé, une soprano tunisienne et un ténor japonais ont été les vedettes d’un opéra italien inspiré d’une pièce française. Encore une preuve que la musique classique est un art qui peut transcender les limites de l’histoire et de la culture.
La prestation majestueuse de Lilia Ben Chikha
« La Traviata » a été une occasion pour le public tunisien de redécouvrir les compétences exceptionnelles de Lilia Ben Chikha en matière d’interprétation, de qualité vocale et d’expression artistique. Célèbre depuis son passage à Star Academy, il y a une dizaine d’années, elle chante dans différents styles et dans différentes langues. D’ailleurs, elle a été il y a quelques mois à l’affiche du spectacle « Hier encore » de Rafik Gharbi, en hommage à Charles Aznavour.
Pour cet opéra, elle a livré l’une de ses incarnations les plus fascinantes du personnage de Violetta. Un rôle intense qui a attiré toutes les sopranos du monde et qui réclame une grande actrice doublée d’une chanteuse à la voix riche, puissante et expressive. La prestation de Lilia Ben Chikha est à saluer pour sa voix, à la fois puissante et nuancée, qui a su porter la douleur et la passion du personnage de Violetta avec une sincérité désarmante.
Chantant des airs mélodramatiques d’amour, de joie, de désespoir et d’agonie, elle a été capable de transmettre toute l’émotion nécessaire pour incarner cette icône de l’opéra. De plus, la chanteuse a été en mesure d’appréhender les enjeux dramatiques du personnage imaginé par Dumas.
La jeune artiste a su briller, danser, montrer sa fragilité, sa sensualité, sa délicatesse et sa grâce au début de la pièce. Les scènes du désespoir et du sacrifice imposé et la mort de Violetta ont arraché une larme aux plus endurcis. En la voyant de près, Lilia Ben Chikha a été dans la peau du personnage par ses gestes et même ses expressions faciales. Une interprétation habitée, vibrante de vérité, contrairement à d’autres chanteurs qui se contentent de maîtriser le volet musical et livrent une prestation robotique. Par sa présence scénique saisissante, sans jamais forcer l’émotion, elle a captivé l’auditoire du premier au dernier souffle, jusqu’à son apparition angélique à la fin de la pièce.