Eclairages â Les effets contre-productifs des taux dâintĂ©rĂȘt rĂ©els Ă©levĂ©s en Tunisie
Les taux dâintĂ©rĂȘt rĂ©els positifs Ă©levĂ©s (taux dâintĂ©rĂȘt moins taux dâinflation), souvent instaurĂ©s pour lutter contre lâinflation, peuvent engendrer des consĂ©quences nĂ©fastes tant pour lâĂtat tunisien que pour les entreprises et les consommateurs. En Tunisie, comme dans dâautres Ă©conomies, les dĂ©fis liĂ©s Ă ces taux Ă©levĂ©s sont multiples et prĂ©occupants.
La spirale inflationniste et ses conséquences
La rĂ©cente flambĂ©e des prix des produits alimentaires en Tunisie a Ă©tĂ© causĂ©e par un dĂ©sĂ©quilibre entre lâoffre de biens et services et une demande solvable. Ce qui a conduit Ă une spirale inflationniste. Nous avons constatĂ© que pour sortir de cette spirale, il existe principalement deux voies.
La premiĂšre implique une destruction de la demande, souvent provoquĂ©e par lâinsolvabilitĂ© croissante des consommateurs incapables de faire face Ă des prix en hausse. La seconde, plus souhaitable, consisterait Ă augmenter lâoffre pour stabiliser les prix.
La voie de la destruction de la demande est particuliĂšrement douloureuse. Les consommateurs, dĂ©jĂ affectĂ©s par une baisse de leur pouvoir dâachat, voient leurs Ă©conomies se rĂ©duire. Les ajustements des salaires observĂ©s, bien quâils aient apportĂ© un rĂ©pit temporaire, se rĂ©vĂšlent insuffisants face Ă une inflation persistante. En effet, les salaires « sâajustent », mais la rapiditĂ© des hausses de prix Ă©rode leur pouvoir dâachat.
Une augmentation de lâoffre : une solution idĂ©ale
Ă lâinverse, la solution permettant dâaugmenter lâoffre serait bĂ©nĂ©fique pour tous les acteurs Ă©conomiques. Si lâĂ©conomie tunisienne pouvait accroĂźtre sa production, elle bĂ©nĂ©ficierait dâun cercle vertueux : plus de production engendrerait plus dâemplois. Ce qui stimulerait la consommation et stabiliserait les prix. Dans un tel scĂ©nario, tous les acteurs, des travailleurs aux Ă©pargnants, en passant par les entrepreneurs, en sortiraient gagnants.
Cependant, cette augmentation de lâoffre ne peut se rĂ©aliser sans investissements. Malheureusement, la politique monĂ©taire actuelle, marquĂ©e par des taux dâintĂ©rĂȘt Ă©levĂ©s, dĂ©courage ces investissements productifs. Les entreprises hĂ©sitent Ă investir dans de nouveaux projets, par crainte de ne pas atteindre un rendement suffisant pour couvrir le coĂ»t de lâargent.
Les obstacles Ă lâinvestissement
Les taux dâintĂ©rĂȘt Ă©levĂ©s ont un impact sur le paysage de lâinvestissement en Tunisie. En offrant des rendements sur les placements sans risque supĂ©rieurs Ă ceux de nombreux projets industriels, les institutions financiĂšres dĂ©couragent lâinnovation et lâinvestissement. Par exemple, il est peu attrayant pour un entrepreneur de dĂ©velopper une nouvelle chaĂźne de production avec un retour sur investissement modeste de 4 % quand il peut placer ses fonds dans des obligations dâĂtat offrant 6 %.
Cette situation crĂ©e alors un paradoxe : alors que les taux Ă©levĂ©s sont censĂ©s stabiliser lâĂ©conomie, ils finissent par lâĂ©touffer. La capacitĂ© dâinvestissement des entreprises et des mĂ©nages est limitĂ©e, ce qui freine la croissance Ă©conomique. Selon certaines analyses, des taux dâintĂ©rĂȘt rĂ©els Ă©levĂ©s pourraient contribuer Ă une contraction significative du PIB tunisien. Cela se traduit par une rĂ©duction de la production de richesses, affectant ainsi le niveau de vie des citoyens, mĂȘme si cela reste masquĂ© par la hausse globale nominale du PIB Ă cause de lâinflation.
Les enjeux de la demande incompressible
Traditionnellement, les banques centrales ont utilisĂ© la hausse des taux dâintĂ©rĂȘt pour tempĂ©rer une demande jugĂ©e trop forte. Cependant, en Tunisie, la situation est diffĂ©rente. Si lâoffre est insuffisante et que la demande est incompressible, la stratĂ©gie des taux rĂ©els positifs Ă©levĂ©s devient totalement inadaptĂ©e. En rĂ©alitĂ©, lâĂ©conomie tunisienne ne se trouve pas dans une phase dâeuphorie irrationnelle nĂ©cessitant une intervention pour la freiner.
Depuis plusieurs années, la croissance du PIB est restée faible, avec des augmentations marginales. Les entreprises et les ménages ont déjà réduit leurs dépenses et optimisé leurs budgets, rendant ainsi difficile toute destruction de la demande sans conséquences douloureuses.
Le contre-sens des dirigeants
La hausse des taux dâintĂ©rĂȘt est souvent perçue comme une maniĂšre de « taxer lâinvestissement ». Cela rend difficile la mise en Ćuvre de projets, mĂȘme ceux qui pourraient ĂȘtre bĂ©nĂ©fiques pour lâĂ©conomie tunisienne. Nos dirigeants espĂšrent Ă©quilibrer lâoffre et la demande en freinant lâinitiative Ă©conomique, une approche qui se rĂ©vĂšle inefficace.
En somme, les taux dâintĂ©rĂȘt rĂ©els Ă©levĂ©s en Tunisie posent un dĂ©fi majeur Ă la croissance Ă©conomique. En dĂ©courageant lâinvestissement et en aggravant lâinflation, ces politiques nuisent Ă la fois aux entreprises et aux consommateurs.
Les dirigeants tunisiens ne devraient-ils pas prendre conscience de ces dynamiques afin de mettre en place des mesures qui favorisent rĂ©ellement la relance Ă©conomique sans freiner lâinnovation et lâinvestissement?
Une approche plus équilibrée, qui tiendrait compte des réalités économiques, ne pourrait-elle pas permettre à la Tunisie de sortir de cette impasse et de favoriser une relance inclusive pour tous?
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-EconomĂštre.
Ancien Enseignant-Chercheur Ă lâISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de lâInstitut Africain
DâEconomie FinanciĂšre (IAEF-ONG)
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