Entre angoisse budgĂ©taire et quĂȘte de bien-ĂȘtre social, la Tunisie ne se trouve-t-elle pas Ă un carrefour dĂ©cisif ?
Dans un contexte Ă©conomique assombrissant oĂč la souverainetĂ© de lâĂtat est mise Ă mal par les marchĂ©s financiers, nâest-il pas crucial de se demander : « La rigueur budgĂ©taire est-elle vraiment une nĂ©cessitĂ© ou un prĂ©texte pour affaiblir notre tissu social » ?
Face Ă des mesures dâaustĂ©ritĂ© qui menacent lâessence mĂȘme de lâĂtat-protecteur, nâest-il pas temps de repenser notre approche Ă©conomique pour garantir un avenir inclusif et durable pour tous les citoyens ? »
Depuis une dĂ©cennie, le paysage Ă©conomique tunisien est marquĂ© par une crise budgĂ©taire profonde qui reflĂšte une perte significative de pouvoir de lâĂtat sur sa politique Ă©conomique. Ce phĂ©nomĂšne est accentuĂ© par lâabandon de la maĂźtrise des variables financiĂšres critiques.
Dans un monde oĂč les produits financiers complexes, les dĂ©rivĂ©s et les instruments dits « exotiques » ont pris le pas sur lâautoritĂ© des gouvernements, y compris ceux des puissances Ă©conomiques traditionnelles, la Tunisie se trouve dans une situation dĂ©licate.
Les marchĂ©s, de plus en plus exigeants, rĂ©clament des mesures de consolidation budgĂ©taire que le gouvernement tunisien peine Ă mettre en Ćuvre, notamment en raison de ses ressources limitĂ©es.
La mondialisation a agi comme un facteur dâaffaiblissement de la souverainetĂ© Ă©conomique tunisienne. Nos entreprises, souvent vulnĂ©rables et fortement dĂ©pendantes des fluctuations du marchĂ© international, se heurtent Ă des dĂ©fis accrus. Cela a conduit Ă une situation oĂč lâĂtat, censĂ© ĂȘtre le garant de la stabilitĂ© Ă©conomique et sociale, est de plus en plus dĂ©pouillĂ© de ses leviers dâaction. Le politique, face Ă cette rĂ©alitĂ©, semble dĂ©sarmĂ©, incapable de rĂ©pondre efficacement aux besoins croissants de la population, dâautant plus que les tensions sociales et les revendications citoyennes sâintensifient.
Dans ce contexte, est-il judicieux de se demander si lâon peut analyser le dĂ©ficit dâun Ătat de la mĂȘme maniĂšre quâon le ferait pour un budget familial ou le bilan dâune entreprise ?
Une telle approche nâest-elle pas non seulement rĂ©ductrice, mais ignore-t-elle Ă©galement la complexitĂ© et la responsabilitĂ© intrinsĂšques dâun Ătat souverain ?
Un Ătat nâa-t-il pas pour mission de stabiliser les conditions Ă©conomiques de son territoire afin de garantir le bien-ĂȘtre de ses citoyens ?
RĂ©duire les obligations dâun Ătat Ă celles dâun mĂ©nage ne risque-t-il pas de compromettre les services publics essentiels et dâaffaiblir le tissu social ?
En Tunisie, la question de la rigueur budgĂ©taire soulĂšve de vives inquiĂ©tudes. Accepter des mesures dâaustĂ©ritĂ© ne se limite pas Ă se plier Ă une orthodoxie financiĂšre, souvent dĂ©criĂ©e comme injustifiĂ©e et contre-productive, surtout en pĂ©riode de crise. Cela Ă©quivaut Ă consentir Ă une Ă©rosion des prĂ©rogatives de lâĂtat, rĂ©duisant ainsi nos propres droits et protections.
Le risque ne serait-il pas de laisser une large part de la population sans recours face aux difficultés économiques croissantes ?
La lutte rĂ©engagĂ©e depuis quelques jours, par les partisans de cette austĂ©ritĂ© est marquĂ©e par lâutilisation de « lâangoisse budgĂ©taire », une stratĂ©gie qui vise Ă persuader le public de soutenir des mesures dâaustĂ©ritĂ© en prĂ©sentant des scĂ©narios catastrophiques. Cette approche est dangereuse, car elle ne fait quâalimenter un climat de mĂ©fiance et de dĂ©sespoir.
Les arguments en faveur de la rigueur budgĂ©taire, souvent fallacieux, amalgament la solvabilitĂ© individuelle avec celle de lâĂtat, induisant en erreur un public bombardĂ© dâimages alarmistes. Ces pratiques visent Ă faire pression sur les responsables pour quâils adoptent des politiques dâaustĂ©ritĂ© qui, en fin de compte, pourraient nuire aux plus vulnĂ©rables de notre sociĂ©tĂ©.
Est-il primordial de se demander si le sĂ©rieux budgĂ©taire vise rĂ©ellement Ă rĂ©duire les dĂ©ficits, ou nâest-il quâun prĂ©texte pour affaiblir lâĂtat et dĂ©manteler les programmes sociaux encore en place ?
Les appels incessants Ă la rigueur ne sont-ils pas quâun Ă©cran de fumĂ©e destinĂ© Ă masquer dâautres enjeux, plus profonds et plus prĂ©occupants ?
RĂ©flĂ©chissons aux paroles dâAldous Huxley dans « Le Meilleur des mondes » : « Soixante-deux mille quatre cents rĂ©pĂ©titions font une vĂ©ritĂ© ». Cette citation nâĂ©voque-t-elle pas une rĂ©flexion importante sur la maniĂšre dont les idĂ©es sont imposĂ©es et acceptĂ©es dans la sociĂ©tĂ© ?
En Tunisie, nâest-il pas essentiel que nous remettions en question les narratives dominantes et que nous cherchions Ă construire un avenir oĂč lâĂtat joue pleinement son rĂŽle de garant des droits Ă©conomiques et sociaux, plutĂŽt que de se plier aux dictats des marchĂ©s financiers ?
In fine, la Tunisie ne doit-elle pas réévaluer sa stratégie économique en cherchant à retrouver une souveraineté financiÚre qui lui permette de protéger ses citoyens tout en favorisant un développement inclusif et durable ?
Cela ne nĂ©cessite-t-il pas une vision audacieuse et des choix politiques courageux, loin des logiques dâaustĂ©ritĂ© qui risquent de compromettre lâavenir de notre nation ?
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-EconomĂštre.
Ancien Enseignant-Chercheur Ă lâISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de lâInstitut Africain
DâEconomie FinanciĂšre (IAEF-ONG)
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