SystĂšme commercial multilatĂ©ral menacĂ©, rĂ©forme de lâarchitecture financiĂšre internationale Ă entreprendre dâurgence, dette souveraine intenable, tels Ă©taient les principaux sujets « chauds » qui ont Ă©tĂ© abordĂ©s dans la capitale andalouse, SĂ©ville, au deuxiĂšme jour de la quatriĂšme ConfĂ©rence internationale sur le financement du dĂ©veloppement (FfD4).
EntamĂ©e lundi 30 juin 2025 avec lâadoption de lâEngagement de SĂ©ville, qui invite les Ătats Ă se mobiliser en faveur dâun « cadre mondial renouvelĂ© » pour le financement du dĂ©veloppement, la ConfĂ©rence a vu dĂ©filer aujourdâhui les dĂ©lĂ©gations, au cours du dĂ©bat gĂ©nĂ©ral, plaider pour des solutions concrĂštes.
Les appels Ă rĂ©former lâarchitecture financiĂšre internationale furent les plus retentissants. Les dĂ©lĂ©gations, du Nord comme du Sud, ont ainsi, en Ă©cho Ă lâEngagement de SĂ©ville, appelĂ© Ă une nouvelle architecture qui soit plus rĂ©siliente, plus cohĂ©rente et plus efficace, afin de faire face aux crises et aux problĂšmes, actuels et futurs.
Cet engagement doit ĂȘtre concrĂ©tisĂ©, a plaidĂ© le Liban, se disant en faveur dâune rĂ©forme des structures du Fonds monĂ©taire international (FMI) et de la Banque mondiale. Le but est dâassurer une reprĂ©sentation plus Ă©quitable des pays en dĂ©veloppement, de revoir les politiques en matiĂšre de surtaxes, dâĂ©tendre le rĂŽle des droits de tirage spĂ©ciaux (DTS) et dâaugmenter les quotes-parts. Lâargument selon lequel « les financements doivent bĂ©nĂ©ficier Ă ceux qui en ont le plus besoin » sous-tend cet appel Ă la rĂ©forme, comme lâa dit lâAustralie, au nom du groupe CANZ (Canada, Australie et Nouvelle-ZĂ©lande).
Pourquoi vouloir rĂ©former lâarchitecture financiĂšre internationale?
Les attentes des Ă©conomies en dĂ©veloppement « enclavĂ©es », qui sont vulnĂ©rables du fait de cette caractĂ©ristique, sont dâavoir une voix et une reprĂ©sentation accrues au sein des institutions financiĂšres internationales, a expliquĂ© le vice-Premier ministre du Kazakhstan, qui est aussi Ministre de lâĂ©conomie nationale. Pour dâautres pays Ă vulnĂ©rabilitĂ© particuliĂšre, comme les petits Ătats insulaires en dĂ©veloppement (PEID), le vice-prĂ©sident des Ătats fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie a encouragĂ© le FMI et la Banque mondiale Ă suivre des approches adaptĂ©es aux circonstances, en lâoccurrence lâisolement des petites Ăźles.
Le BrĂ©sil a plaidĂ© avant tout pour une « gouvernance inclusive » de lâarchitecture financiĂšre internationale et une transition climatique juste. Il a jugĂ© intenable la persistance des fuites de capitaux du Sud vers les pays riches. « Les prioritĂ©s du BrĂ©sil ne figurent pas dans le document final » de SĂ©ville, sâest dâailleurs lamentĂ© le ministre brĂ©silien.
« Les organisations rĂ©gionales comme lâASEAN (Association des Nations de lâAsie du Sud-Est) jouent un rĂŽle central pour garantir la rĂ©forme de lâarchitecture financiĂšre internationale tout en faisant la promotion de lâintĂ©gration Ă©conomique », a pour sa part avancĂ© le vice-Premier ministre de la RĂ©publique dĂ©mocratique populaire du Laos qui parlait au nom de lâAssociation.
Le commerce international comme moteur du développement
Selon lâEngagement de SĂ©ville, « le commerce international est un moteur de la croissance inclusive et un moyen dâĂ©liminer la pauvretĂ© et de contribuer Ă la promotion du dĂ©veloppement durable ».
Pourtant, le systĂšme commercial multilatĂ©ral est de plus en plus menacĂ©, ont observĂ© plusieurs dĂ©lĂ©gations. Les restrictions au commerce, notamment les droits de douane contraires aux rĂšgles, principes et engagements de lâOrganisation mondiale du commerce (OMC), se multiplient dans le monde entier, sur fond de tensions commerciales croissantes et dâenlisement des nĂ©gociations multilatĂ©rales.
LâEngagement de SĂ©ville vient donc sâattaquer Ă ce problĂšme en recommandant « un systĂšme commercial multilatĂ©ral universel, fondĂ© sur des rĂšgles, juste, ouvert, transparent, prĂ©visible, inclusif, non discriminatoire et Ă©quitable », pour quâil contribue Ă rĂ©aliser le dĂ©veloppement durable. Câest ce quâa prĂŽnĂ© la Chine, qui a fait part de son aversion du protectionnisme. « Nous ouvrons nos marchĂ©s aux pays en dĂ©veloppement », a expliquĂ© la dĂ©lĂ©gation.
Pour la Lettonie, le rĂŽle de lâOMC est Ă©vident : « En rĂ©unissant des nations du monde entier, lâOMC est au cĆur du systĂšme commercial international fondĂ© sur des rĂšgles. » DâoĂč son appel Ă rĂ©former lâOrganisation pour quâelle soit mieux armĂ©e pour relever les dĂ©fis futurs.
Dette souveraine et aide publique au développement
Les Ămirats arabes unis ont fiĂšrement rappelĂ© leur engagement, tenu, de dĂ©dier au moins 0,7 % de leur revenu intĂ©rieur brut Ă lâaide publique au dĂ©veloppement (APD). Une promesse faite mais jamais respectĂ©e depuis plus de cinq dĂ©cennies par les pays dĂ©veloppĂ©s, a rappelĂ© la RĂ©publique islamique dâIran. Le Qatar a invitĂ©, Ă cet Ă©gard, les partenaires de dĂ©veloppement Ă prendre lâinitiative de soutenir la mise en Ćuvre du Programme dâaction de Doha pour les pays les moins avancĂ©s (PMA). La RĂ©publique dominicaine a, de mĂȘme, insistĂ© sur lâimportance pour les pays dĂ©veloppĂ©s de respecter leur promesse dâAPD. La dĂ©lĂ©gation a aussi agréé Ă lâidĂ©e dâĂ©mettre des « obligations stratĂ©giques souveraines ».
Si lâAPD reste indĂ©niablement trĂšs importante, elle doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e non pas comme une solution isolĂ©e, mais plutĂŽt comme un catalyseur au sein du cadre global de la coopĂ©ration internationale au dĂ©veloppement, favorisant ainsi des progrĂšs durables Ă plus grande Ă©chelle, a argumentĂ© la Bulgarie. De plus, les pays doivent parallĂšlement amĂ©liorer leurs recettes fiscales pour financer leur dĂ©veloppement, a plaidĂ© le Royaume-Uni.
Par ailleurs, le secteur privĂ©, tant national quâinternational, joue un rĂŽle indispensable et a besoin dâun cadre rĂ©glementaire solide et dâun environnement juridique et commercial favorable, ont soulignĂ© quelques voix comme celle du Cambodge, qui a plaidĂ© en faveur de lâaugmentation des flux dâinvestissements Ă©trangers directs et de capitaux privĂ©s vers les PMA.
Financements verts et vulnérabilité climatique
Nâoublions pas, a fait remarquer le Premier Ministre de la GuinĂ©e, quâune aide au dĂ©veloppement qui ignore les efforts dâinvestissement vert ou les contraintes de vulnĂ©rabilitĂ© climatique nâest ni juste, ni inclusive, encore moins efficace. Sur ce thĂšme, le vice-Premier ministre de la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo (RDC) a plaidĂ© pour que les crĂ©dits carbone, gĂ©nĂ©rĂ©s par les forĂȘts tropicales comme celles de son pays, soient reconnus Ă leur juste valeur sur les marchĂ©s internationaux.
Dans ce droit fil, la RĂ©publique dominicaine a incitĂ© Ă pratiquer des « Ă©changes de dettes contre des financements climatiques » pour renforcer la rĂ©silience face aux catastrophes. Oui aux conversions de dettes en actions climatiques, sâest enthousiasmĂ©e la Malaisie.
Le Samoa a par ailleurs approuvĂ© lâinclusion de clauses conditionnelles dans les instruments de dette, permettant la suspension du service de la dette en cas de chocs et de catastrophes. La dĂ©lĂ©gation a invitĂ© toutes les institutions financiĂšres et tous les partenaires de dĂ©veloppement Ă rĂ©flĂ©chir Ă une meilleure intĂ©gration des facteurs de vulnĂ©rabilitĂ© dans leurs processus de rĂ©flexion et de dĂ©cision. « Il ne sâagit pas seulement de financer une route ou une Ă©cole, mais de construire des routes et des Ă©coles rĂ©silientes aux changements climatiques. »
Les Palaos, au nom de lâAlliance des petits Ătats insulaires, a rappelĂ© que la flotte de Magellan Ă©tait partie de SĂ©ville avant de parcourir les mers du globe. Les PEID, dont certains ont Ă©tĂ© « dĂ©couverts » par cette flotte, connaissent une situation particuliĂšre de dĂ©veloppement, Ă©tant en premiĂšre ligne de la crise climatique.
ConcrĂštement, les Palaos ont appelĂ© Ă honorer les engagements pris au titre de lâAccord de Paris, Ă lâinstar de plusieurs dĂ©lĂ©gations qui ont manifestĂ© leur impatience alors que la promesse des pays dĂ©veloppĂ©s de dĂ©dier 100 milliards de dollars par an Ă lâaction climatique jusquâen 2030 reste sans suite.
Pourtant, les PEID ont fort besoin de soutien car la dette insoutenable est le principal obstacle au progrĂšs, a encore plaidĂ© le vice-prĂ©sident des Maldives en dĂ©nonçant un systĂšme de financement international inĂ©gal, dĂ©suet et qui « ne correspond pas Ă nos rĂ©alitĂ©s ». Vu que ces Ătats ne sont pas Ă©ligibles aux financements concessionnels pour se remettre des chocs climatiques, les Maldives ont prĂ©conisĂ© un « mĂ©canisme dâallĂ©gement de la dette pour le renforcement de la rĂ©silience ».
Le critÚre de vulnérabilité multidimensionnelle
Le Bhoutan, enclavĂ©, a lui aussi appelĂ© Ă des financements climatiques ciblant en prioritĂ© les pays les plus vulnĂ©rables. MalgrĂ© sa vulnĂ©rabilitĂ©, le pays reste stoĂŻquement attachĂ© Ă sa philosophie du « bonheur national brut » qui a fait sa renommĂ©e. Pour le PĂ©rou, il est essentiel de ne plus considĂ©rer le revenu par habitant comme le seul critĂšre dâaccĂšs au financement du dĂ©veloppement. Lâadoption dâune approche fondĂ©e sur des indicateurs multidimensionnels est essentielle pour mieux reflĂ©ter les rĂ©alitĂ©s et les vulnĂ©rabilitĂ©s de nos pays, a dit la dĂ©lĂ©gation.
Le Premier Ministre dâAntigua-et-Barbuda, au nom de la CommunautĂ© des CaraĂŻbes (CARICOM), a aussi appelĂ© les institutions financiĂšres internationales, notamment la Banque mondiale, le FMI et les banques rĂ©gionales de dĂ©veloppement, Ă redĂ©finir lâĂ©ligibilitĂ© aux financements concessionnels en y intĂ©grant la vulnĂ©rabilitĂ© multidimensionnelle comme critĂšre central.
Pas de développement sans la paix
Certains pays ont tenu Ă parler des consĂ©quences des conflits sur le financement du dĂ©veloppement, Ă commencer par les pays premiers concernĂ©s. Le YĂ©men, par exemple, a rappelĂ© quâil ne peut y avoir de dĂ©veloppement durable sans paix, ni de paix sans dĂ©veloppement durable. La GĂ©orgie a dit ĂȘtre engagĂ©e Ă poursuivre les progrĂšs vers le dĂ©veloppement durable malgrĂ© le conflit imposĂ© par la FĂ©dĂ©ration de Russie. Et la RĂ©publique islamique dâIran a dĂ©plorĂ© lâagression des Ătats-Unis et celle du « rĂ©gime sioniste » qui a ciblĂ© des sites civils, faisant 935 morts, dont 38 enfants.
Les Ătats-Unis ont recours aux mesures coercitives unilatĂ©rales alors que le dĂ©veloppement est un droit humain, a dĂ©noncĂ© lâIran. Dans ce sillage, Cuba a soulignĂ© que les pays en dĂ©veloppement ne demandent pas lâaumĂŽne, mais un traitement juste. Cela lâa amenĂ©e Ă demander la levĂ©e de lâembargo frappant Cuba depuis prĂšs de 60 ans.
La Tunisie a appelĂ© Ă rĂ©soudre la question palestinienne, un autre conflit freinant le dĂ©veloppement et « vĂ©ritable blessure bĂ©ante ». On ne peut parler de dĂ©veloppement sans un Ătat palestinien, a arguĂ© la dĂ©lĂ©gation. MĂȘme son de cloche pour la Jordanie qui a appelĂ© la communautĂ© internationale Ă donner la prioritĂ© au relĂšvement de Gaza, oĂč un cessez-le-feu est crucial. Il en va de mĂȘme pour le Luxembourg qui sâest emportĂ© face au « silence Ă©trange » sur Gaza.
LâAzerbaĂŻdjan a rappelĂ© avoir dĂ» consacrer des ressources Ă lutter contre lâagression armĂ©nienne, puis Ă reconstruire, aprĂšs la fin de lâoccupation armĂ©nienne en 2020. « Le dĂ©minage est pour nous le 18e ODD », a soulignĂ© la dĂ©lĂ©gation.
Lâhumain au cĆur des efforts
Devant ce monde tiraillĂ© et instable, lâInde, dans lâesprit de la philosophie civilisationnelle indienne « Vasudhaiva Kutumbakam » oĂč « le monde est une seule famille », a appelĂ© Ă unir nos efforts pour impulser un changement significatif qui profite Ă tous. Ce changement passe par la mobilisation des flux illicites perdus chaque annĂ©e et Ă©valuĂ©s Ă prĂšs de 100 milliards de dollars par an, a indiquĂ© le NigĂ©ria. Un avis partagĂ© par lâIslande, qui a encouragĂ© les investissements dans lâĂ©galitĂ© des genres, une approche qui lui a permis de passer, en seulement 50 ans, de nation la plus pauvre dâEurope Ă lâune des plus riches. La Finlande a aussi estimĂ© que lâĂ©galitĂ© des genres est tout aussi cruciale pour un dĂ©veloppement se voulant durable.
La Suisse a fait don de « la GenĂšve Internationale », une plateforme dâhumanitĂ© et dâinnovation qui rĂ©unit les acteurs divers autour de lâhumanitaire, de la paix, des droits humains, du commerce, de la finance, de lâenvironnement, de la recherche et de lâanticipation, tout cela dans une seule ville. Les thĂšmes et les dĂ©fis discutĂ©s et traitĂ©s chaque jour Ă GenĂšve sâinscrivent pleinement dans lâengagement de SĂ©ville, a avancĂ© la dĂ©lĂ©gation. Dans la mĂȘme veine, le TurkmĂ©nistan a invitĂ© les dĂ©lĂ©gations Ă se rendre en aoĂ»t sur les rives de la mer Caspienne, dans la zone touristique nationale dâAvaza, pour participer Ă la troisiĂšme ConfĂ©rence des Nations Unies sur les pays en dĂ©veloppement sans littoral.
Avec lâONU
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