La Tunisie est dĂ©sormais confrontĂ©e Ă lâexigence vitale dâune nouvelle politique de la ville, sinon, faute dâun vote significatif dans leur pays, les tunisiens et surtout les jeunes toutes catĂ©gories confondues, risquent dâabandonner le sol natal et de voter avec leurs pieds vers des horizons plus hospitaliers et clĂ©ments. Les remĂšdes Ă cette dĂ©sespĂ©rance sont-ils hors de portĂ©e? (Ph. Le quartier Ennasr Ă lâAriana, dĂ©sertĂ© par les jeunes, dĂ©sormais symbole de la gabegie urbaine).
Elyes Kasri *
Le recensement gĂ©nĂ©ral de la population et de lâhabitat de 2024 rĂ©vĂšle de nombreux chiffres et tendances sociales prĂ©occupants et mĂȘme alarmants pour une Tunisie dĂ©jĂ en crise multiforme depuis deux dĂ©cennies et situĂ©e dans une zone de turbulences qui secoue et menace fortement de sâexacerber dans les espaces maghrĂ©bin, sahĂ©lien et euro-mĂ©diterranĂ©en.
En dĂ©pit de ses ressources naturelles, lâAfrique du nord semble avoir pour horizon de plus en plus inĂ©luctable soit un processus de libanisation avec des Etats fantoches et impuissants ou carrĂ©ment la somalisation avec le rĂšgne des seigneurs de guerre ou des chefs de bandes armĂ©es.
Outre, la perspective de dĂ©croissance dĂ©mographique et de dĂ©peuplement qui se manifeste dâune maniĂšre tangible Ă la faveur du dernier recensement dĂ©mographique en Tunisie, avec des villes du grand Tunis comme lâAriana qui, au lieu de profiter de sa proximitĂ© du plus grand pĂŽle Ă©conomique et administratif du pays, rĂ©gresse en rĂ©sidents et en infrastructures en donnant surtout lâimpression dĂ©concertante de se vider des jeunes et de devenir des citĂ©s inhospitaliĂšres et un refuge dâune population ĂągĂ©e traitĂ©e avec un dĂ©dain de plus en plus prononcĂ©, en lâabsence du respect accordĂ© par les sociĂ©tĂ©s orientales et la couverture sociale et autres rĂ©gimes de faveur octroyĂ©s par les pays occidentaux.
LâĂ©chec de la politique urbaine
Le dĂ©peuplement de la citĂ© Ennasr, pourtant considĂ©rĂ©e au dĂ©but du siĂšcle comme une banlieue huppĂ©e et signe de rĂ©ussite socioprofessionnelle, et en dĂ©pit des dizaines dâimmeubles rĂ©sidentiels construits depuis 2014 et encore en voie dâĂ©dification qui semblent annoncer une nouvelle citĂ© sâajoutant Ă la sĂ©rie numĂ©rique qui a caractĂ©risĂ© El Menzah, laquelle a fini par sâarrĂȘter au chiffre 9 mais avec des expansions alphabĂ©tiques (a, b, câŠ).
Le dĂ©clin dĂ©mographique de la commune de lâAriana avec ses nouveaux quartiers rĂ©sidentiels comme El Menzah et Ennasr est symptomatique dâun malaise national gĂ©nĂ©ralisĂ© mais surtout de lâĂ©chec de plus en plus manifeste dâune politique urbaine allant du stade de la planification socio-urbaine Ă la gestion municipale qui suscite de nombreuses rĂ©serves et souvent des interrogations.
Une apprĂ©hension de lâavenir
Le recensement 2024 annonce une apprĂ©hension de lâavenir chez le peuple tunisien qui se laisse disparaĂźtre progressivement.
Qui en est responsable? Beaucoup et surtout les responsables de la planification et de la gestion urbaine qui ont laissĂ© pousser des quartiers disparates Ă la Frankenstein en donnant la prioritĂ© au ciment plutĂŽt quâĂ lâhabitant.
La Tunisie et des citĂ©s considĂ©rĂ©es auparavant dâavenir et de prospĂ©ritĂ© sâapprochent dangereusement du statut de citĂ©s dortoirs et mĂȘme de citĂ©s fantĂŽmes avec le paradoxe que mĂȘme les morts nây ont pas de place faute de cimetiĂšres. Ce qui fait dire Ă certains, avec une pointe dâhumour noir, que les habitants dâEl Menzah et dâEnnasr nâont droit ni Ă la qualitĂ© de la vie durant leur vivant ni Ă la dignitĂ© de lâenterrement dans leur voisinage quand ils passent Ă trĂ©pas.
Un Etat impuissant et exsangue
Il y a lieu dâespĂ©rer, sans trop dâillusions pour des raisons Ă©videntes dâinertie intellectuelle et bureaucratique et faute de moyens consĂ©quents, que le plan quinquennal de dĂ©veloppement 2026-2030, en cours dâĂ©laboration, saura tirer les enseignements alarmants du dernier recensement de la population et mettre fin Ă la politique, voulue ou subie, des citĂ©s dortoir oĂč les piĂ©tons et les habitants, surtout les jeunes, sont tout juste considĂ©rĂ©s des chiffres et des donnĂ©es statistiques de charges lourdes Ă subir par un Etat impuissant et exsangue.
Les trottoirs et une vĂ©ritable politique humaine et durable de la mobilitĂ©, les espaces verts et de divertissement socio-culturel et sportif ne sont dĂ©sormais plus un luxe, mais un investissement dans lâavenir dâune Tunisie dans une zone de tempĂȘtes et une population qui vit mal et avec une apprĂ©hension de plus en plus manifeste de son avenir dans son pays natal.
Il nâest plus rare ou anecdotique de voir les parents qui sâengagent dans lâaventure de la vie en commun et de la paternitĂ©, de songer Ă un nom intĂ©grationniste (moins arabo-islamique et Ă consonance occidentale) en Europe, avant mĂȘme la naissance de leur bĂ©bĂ©.
Au lieu de faire assumer la responsabilitĂ© de cette dĂ©natalitĂ© aux femmes qui ne voudraient plus procrĂ©er ou un quelconque mythe de la polygamie dĂ©bridĂ©e, un sursaut sĂ©rieux sâimpose Ă tous les niveaux.
La Tunisie et les communes tunisiennes sont dĂ©sormais confrontĂ©es Ă lâexigence vitale dâune nouvelle politique de la ville, sinon, faute dâun vote significatif dans leur pays, les tunisiens et surtout les jeunes toutes catĂ©gories confondues, risquent dâabandonner le sol natal et de voter avec leurs pieds vers des horizons plus hospitaliers et clĂ©ments.
Il y va de la survie dâun pays plurimillĂ©naire qui est actuellement confrontĂ© Ă des risques et dangers mortels en tant que peuple et de disparition ou de colonisation-protectorat Ă©tranger dâun Ătat jadis souverain et indĂ©pendant.
* Ancien ambassadeur.
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