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Tribune – Système fiscal tunisien : Trouver le juste équilibre entre incitations et sanctions

En Tunisie, plusieurs lois de finances successives ont traduit une tendance préoccupante : celle d’une fiscalité qui privilégie la sanction au détriment de l’incitation, souvent au mépris du contexte économique, social et technologique des contribuables. Derrière les annonces officielles se cachait généralement une mécanique peu transparente, peu évaluée et parfois contre-productive.

La multiplication des mesures à caractère répressif, souvent introduites sans débat public ni étude d’impact préalable, soulevaient de sérieuses questions. Loin d’être fondées sur une vision stratégique, ces dispositions apparaissaient comme des réponses hâtives à des impératifs budgétaires immédiats. Et dans bien des cas, elles s’appliquaient indistinctement à tous les contribuables, sans tenir compte de leur taille, de leur secteur d’activité ou de leur localisation géographique.

Plus grave encore, l’absence de communication et d’accompagnement rendait l’application de ces mesures particulièrement pénalisante pour les petits contribuables. Confrontés à des obligations nouvelles et complexes, sans aucun soutien personnalisé, plusieurs d’entre eux se retrouvèrent en difficulté, acculés à des amendes qu’ils auraient pu éviter si un véritable service d’information leur avait été offert. Or, les bureaux de contrôle des impôts — qui, théoriquement pouvaient jouer ce rôle — en plus des problèmes d’effectifs qu’ils connaissent, sont perçus comme des lieux de sanction plutôt que d’assistance. Les contribuables préfèrent les éviter, de peur d’être pris dans l’engrenage d’une procédure fiscale ou d’un procès-verbal.

Le manque d’évaluation systématique de ces dispositions était de nature à empêcher toute analyse sérieuse de leur efficacité réelle. Les objectifs affichés étaient souvent vagues, mal mesurés et les rares indicateurs utilisés — tels que le nombre de sanctions — ne disaient rien de la pertinence ou du bien-fondé de ces mesures.

Un exemple représentatif de cet état de fait reste la décision prise en pleine période de confinement pendant la crise du Covid-19 par le ministère des Finances, imposant la télé-déclaration à toutes les personnes physiques et morales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100.000 dinars. Une telle mesure, nécessaire et utile en théorie, a été introduite sans mise en œuvre progressive, sans accompagnement technique et sans concertation avec les acteurs clés du système numérique. Dans certaines régions, la couverture internet était faible, voire inexistante. Dans d’autres, les contribuables étaient éloignés à la fois du réseau bancaire et des locaux de l’Agence nationale de certification électronique (Ance), nécessaires pour l’obtention des certificats électroniques exigés. Résultat : des centaines de contribuables ont été mis en infraction non pas par mauvaise foi, mais par impossibilité matérielle de se conformer à la nouvelle disposition.

L’Ance elle-même a fini par admettre qu’elle ne disposait plus de certificats en stock. Une pénurie qui démontrait, s’il en fallait encore une, que cette réforme n’a fait l’objet d’aucune étude préalable de faisabilité. Mais les sanctions, elles, sont bien tombées, sans discernement, ajoutant au sentiment de mécontentement chez les contribuables visés par ladite mesure.

Certaines dispositions, en totale contradiction avec les principes élémentaires de justice et d’efficacité fiscale, ont même produit l’effet inverse de celui recherché. Présentées comme des instruments de dissuasion ou de mise en conformité, elles ont en réalité alimenté la confusion, engendré des complications administratives et des abus dans l’interprétation ou l’application de la règle. Face à la contestation de certains et à l’accumulation de contentieux, l’une de ces dispositions a finalement été supprimée en 2024. Un recul qui en dit long sur l’échec de ce genre de dispositions et sur la nécessité de mieux concevoir les politiques fiscales à l’avenir.

Ce cas, parmi d’autres, illustre une dérive inquiétante : l’usage de la fiscalité comme outil de pression, au lieu d’en faire un levier de réforme et de modernisation.

Dans un pays où la défiance fiscale reste élevée, où les institutions gagneraient à devenir plus transparentes, l’approche punitive risque de renforcer l’évitement fiscal, voire incitera certains acteurs économiques à se détourner complètement du secteur formel.

Aujourd’hui, il est grand temps de repenser le paradigme de la fiscalité tunisienne, pour jeter les bases d’un système fondé sur l’équilibre entre droits et devoirs, entre incitations et contraintes. Une fiscalité moderne ne se décrète pas : elle se construit dans la concertation, l’écoute et l’équité. Sans cela, les réformes resteront lettre morte — et les contribuables n’auront de choix que de tourner le dos à un système qui ne prend pas en considération leurs possibilités et contraintes.

 

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.
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