IA et Biotechnologie : Quand la science booste l’économie
Face aux défis sanitaires mondiaux et aux transformations technologiques accélérées, la Tunisie dispose d’un atout de taille : son capital humain scientifique. À l’intersection de l’intelligence artificielle et de la biotechnologie, des chercheurs comme Emna Harigua tracent les contours d’une nouvelle économie fondée sur l’innovation. Et si l’IA devenait le moteur d’une souveraineté sanitaire tunisienne et d’un positionnement stratégique à l’échelle régionale ?
La Presse — En Tunisie, l’alliance entre la science et l’innovation numérique n’est plus un simple pari d’avenir : elle devient une nécessité économique et sanitaire. Portée par des chercheurs de haut niveau et un capital humain reconnu, Emna Harigua, chercheuse à l’Institut Pasteur de Tunis et entrepreneuse engagée, illustre cette dynamique en menant des projets ambitieux à l’intersection de l’IA et de la recherche biomédicale. Son parcours et ses initiatives offrent une réflexion lucide sur les leviers à activer pour transformer le potentiel tunisien en véritable avantage compétitif, notamment dans le domaine prometteur de l’AI-Biotech.
Collaboration interdisciplinaire, innovation et engagement
L’IA appliquée à la santé pourrait redessiner les limites de l’économie tunisienne. Dans ce contexte, Emna Harigua, chercheuse à l’Institut Pasteur de Tunis (IPT), a souligné : «Je coordonne actuellement le projet «Bind», une plateforme basée sur l’intelligence artificielle pour la découverte de nouveaux médicaments contre les maladies infectieuses. Ce projet incarne ma conviction que l’IA peut transformer l’approche traditionnelle de la recherche pharmaceutique, en permettant d’identifier de nouvelles entités et cibles thérapeutiques et d’optimiser les traitements contre des pathologies humaines. En outre, j’ai lancé un projet de startup, AI4HD, avec l’objectif de développer des technologies en IA pour faciliter le diagnostic médical et réduire les coûts d’accès aux soins. J’ai une vision : mettre à profit l’intelligence artificielle et la rendre accessible aux acteurs de la santé en première ligne. Ma démarche scientifique repose sur l’idée que la collaboration interdisciplinaire, l’innovation technologique et un engagement constant avec la communauté scientifique mondiale sont essentiels pour relever les défis de santé les plus pressants. Aussi, je mise beaucoup sur le capital humain de mes compatriotes, et surtout sur la jeunesse, pour rendre le monde meilleur à travers la recherche scientifique et l’innovation responsable».
L’IA est aujourd’hui une discipline incontournable, en particulier dans les domaines où les données sont complexes à analyser ou les coûts de développement technologique sont élevés. C’est notamment le cas de la biotechnologie et de la recherche biomédicale. Ainsi, l’intégration de l’IA dans ces secteurs devient nécessaire pour plusieurs raisons : sa capacité à analyser des données massives et complexes, et son potentiel à réduire les coûts en Recherche et Développement (R&D). Pour l’Institut Pasteur de Tunis (IPT), intégrer l’IA et les sciences des données dans ses axes de recherche est une opportunité de valoriser et de consolider sa position d’institut de référence en recherche biomédicale et en santé publique, tant au niveau régional qu’africain.
La chercheuse a mentionné que le développement d’un écosystème en AI-Biotech en Tunisie serait, en effet, bénéfique pour l’ensemble des acteurs de la recherche en biotechnologie. Cet écosystème pourrait devenir un levier de croissance économique, compte tenu du capital humain compétent du pays et du coût de développement compétitif par rapport aux pays développés. Par ailleurs, la Tunisie bénéficie d’un positionnement stratégique entre les marchés européens et africains, lui permettant de jouer un rôle de hub potentiel pour les services digitaux et de biotechnologie, tout en s’appuyant sur un tissu entrepreneurial en plein développement, malgré les freins liés à la bureaucratie et au manque de digitalisation des processus.
Former, réguler, connecter
Et d’ajouter : « Les secteurs les plus porteurs, selon moi, incluent la santé — notamment le diagnostic assisté, la médecine de précision et la télémédecine — ainsi que l’Agritech et la Bioproduction, qui présentent un fort potentiel de développement. En renforçant les synergies technologiques et en stimulant les partenariats entre acteurs public et privé, la Tunisie a l’opportunité de consolider sa compétitivité et de se positionner en leader régional, voire international, dans l’intégration des technologies de pointe ».
L’association IA-Biotech pourrait ainsi devenir un pilier stratégique du développement économique tunisien, à condition d’être soutenue par des politiques publiques d’encouragement à l’innovation, par des investissements ciblés dans la formation et la recherche, et par des partenariats public-privé solides. La formation des biologistes — entendus ici au sens large, incluant tout scientifique œuvrant dans les domaines de la biologie et de la santé — aux outils de l’IA et de la science des données est également un levier essentiel. Cela s’inscrit dans la continuité des efforts de formation et de renforcement des capacités en bioinformatique, domaine dans lequel l’IPT a été pionnier en Tunisie, au Maghreb, dans le monde arabe et en Afrique.
Cela dit, l’IPT n’a pas une vocation éducative formelle, et tous ses efforts en matière de formation émergent d’initiatives individuelles sous le leadership de ses scientifiques. Pour amplifier l’impact de ces efforts, des collaborations avec des universités permettraient d’élargir la portée de la formation, en mobilisant l’expertise de l’IPT en bio-informatique, en analyse de données biologiques et en santé publique. Ces collaborations interdisciplinaires autour de la formation pourraient également permettre de créer des communautés scientifiques interconnectées, servant de levier pour la création de startup « Deep Tech » en santé, lesquelles nécessitent un tissu pluridisciplinaire à haut potentiel.
Faire émerger un hub AI-Biotech
Par ailleurs, l’IPT héberge une large diversité d’experts, de projets et d’initiatives pouvant constituer une fondation solide pour une réflexion plus innovante et orientée vers le business autour des besoins en AI-Biotech.
L’innovation naît souvent lorsqu’un besoin sociétal ou technologique fort est exprimé et que des acteurs motivés et engagés y répondent. Cependant, pour catalyser ces innovations et les transformer en produits à haut impact, il est indispensable de disposer de mécanismes pour leur mise en œuvre et leur croissance. C’est dans ce cadre que l’écosystème joue un rôle clé.
Créer et développer un environnement réglementaire et économique qui sécurise, incite et accélère l’innovation est donc nécessaire, notamment pour déployer rapidement des cas d’usage (MVPs, démonstrateurs) permettant de prouver la valeur et d’attirer investisseurs et partenaires internationaux.
Il est également impératif d’instaurer une réglementation nationale claire régissant les données de santé et génomiques, garantissant un accès encadré et conforme aux standards internationaux (Rgpd ou équivalent). De plus, il faut développer des référentiels encadrant l’usage de l’IA dans le diagnostic médical, notamment en l’intégrant dans les processus réglementés (essais cliniques, certification d’algorithmes, etc.). Les aspects éthiques liés à l’usage de l’IA sont tout aussi essentiels que ceux concernant l’accès aux données de santé.
Harigua a révélé qu’en Tunisie, nous disposons d’un capital humain exceptionnel, que nous risquons de voir fuir faute d’un environnement propice et compétitif.
Mettre en place des mécanismes pour attirer ces talents vers leur pays d’origine ou inciter des talents étrangers à investir en Tunisie contribuerait à fertiliser le tissu global et à faire de la Tunisie un véritable hub en AI-Biotech.