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Hakim Tounsi â”‚ «La Tunisie doit reprendre la main sur son destin touristique»

Nous publions ci-dessous un entretien avec l’économiste, dirigeant fondateur d’Authentique International Ă  Paris, qui analyse les Ă©volutions de l’industrie, les retards enregistrĂ©s par les opĂ©rateurs tunisiens dans ce domaine et les moyens de les rattraper pour remettre la destination Tunisie dans les radars des voyagistes et des voyageurs.

Propos recueillis par Imed Bahri

Kapitalis : Vous ĂȘtes l’un des observateurs attentifs de l’évolution du tourisme tunisien depuis Paris. Quelle est, selon vous, la principale transformation Ă  laquelle le secteur est aujourd’hui confrontĂ© ?

Hakim Tounsi : Le changement majeur, c’est la disparition progressive du modĂšle «TO-charter» au profit du «package dynamique». Aujourd’hui, les voyageurs veulent de la souplesse, de la rĂ©activitĂ©, et surtout de la personnalisation. Avec les outils numĂ©riques, ils composent leur voyage Ă  la carte, en ligne, souvent Ă  partir des rĂ©sultats proposĂ©s par des plateformes comme Google Flights, Booking.com ou Expedia.

Ce basculement bouleverse les codes : ce n’est plus le voyagiste qui maĂźtrise le parcours client, mais le client lui-mĂȘme, guidĂ© par ce qu’il voit en premier sur les moteurs de recherche. Cela impose une refonte complĂšte de la stratĂ©gie touristique tunisienne : il faut redevenir visible lĂ  oĂč les dĂ©cisions se prennent dĂ©sormais, c’est-Ă -dire sur les plateformes digitales.

Quels leviers concrets proposez-vous pour accompagner cette mutation ?

Il faut agir vite et de maniĂšre ciblĂ©e. Le premier levier, c’est l’accessibilitĂ© aĂ©rienne, surtout en haute saison. Chaque Ă©tĂ©, la hausse des prix des billets d’avion – principalement en raison du retour massif des Tunisiens rĂ©sidant Ă  l’étranger (TRE) – rend la destination Tunisie moins attractive pour les touristes internationaux. Je propose donc que Tunisair mette en place, de façon ponctuelle, des vols gros porteurs louĂ©s en ACMI (avec Ă©quipage), notamment dĂ©but juillet et fin aoĂ»t. Cela permettrait d’absorber une partie du trafic TRE tout en stabilisant les prix. Et cela peut ĂȘtre financĂ© par les ventes anticipĂ©es, donc sans solliciter de budget public immĂ©diat. Ce type de dispositif a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© testĂ© avec succĂšs en 2006.

Un autre levier, trĂšs opĂ©rationnel et Ă  coĂ»t quasi nul, serait d’autoriser temporairement la cinquiĂšme libertĂ© pour les compagnies aĂ©riennes Ă©trangĂšres opĂ©rant des vols affrĂ©tĂ©s par les tour-opĂ©rateurs français. Cela signifie que, par exemple, une compagnie tchĂšque ou polonaise qui affrĂšte un avion de son pays d’origine vers Djerba, pourrait ensuite rĂ©aliser un vol aller-retour entre la Tunisie et la France. De la mĂȘme maniĂšre, la Tunisie pourrait profiter de toute la capacitĂ© aĂ©rienne de l’Europe de l’Est qui opĂšre au dĂ©part des aĂ©roports français dans le cadre de l’Open Sky europĂ©en. C’est une mesure qui permettrait aux TO de mieux nĂ©gocier leurs plans de vol, d’augmenter les capacitĂ©s disponibles, et surtout de lutter contre la hausse tarifaire estivale devenue structurelle. Mais pour ĂȘtre efficace, cette autorisation doit ĂȘtre annoncĂ©e trĂšs en amont, afin que les TO puissent intĂ©grer la Tunisie dans leurs plannings sans craindre des refus de trafic de derniĂšre minute. C’est une solution rapide, efficace, et conforme aux pratiques de nombreux pays concurrents de la MĂ©diterranĂ©e.

Vous Ă©voquez aussi un Fonds de soutien Ă  la connectivitĂ© touristique. De quoi s’agit-il ?

C’est un outil stratĂ©gique. La Tunisie est aujourd’hui mal connectĂ©e sur le plan rĂ©gional. Si vous voulez aller Ă  Tozeur ou Tabarka, les options aĂ©riennes sont trĂšs limitĂ©es, voire inexistantes. Le Fonds de soutien Ă  la connectivitĂ© touristique (FSCT) permettrait de soutenir financiĂšrement des lignes vers ces aĂ©roports secondaires, en s’appuyant sur un montage public-privĂ© : une base symbolique apportĂ©e par l’ONTT, des contributions volontaires d’acteurs privĂ©s (hĂŽteliers, agences, TO), et un effet levier via des financements europĂ©ens ou internationaux.

Plus concrĂštement, ce fonds pourrait ĂȘtre alimentĂ© par des subventions publiques du MinistĂšre du Tourisme et de l’ONTT, une rĂ©affectation partielle de la taxe de sĂ©jour locale, des contributions volontaires des professionnels du secteur (groupes hĂŽteliers, agences, fĂ©dĂ©rations rĂ©gionales), une Ă©co-contribution intĂ©grĂ©e au prix des packages touristiques ou billets d’avion, et surtout, par des guichets internationaux tels que l’Union EuropĂ©enne (ENI CBC Med, Interreg Next Med), la Banque Mondiale, la BAD ou la Berd.

L’objectif est double : dynamiser le tourisme rĂ©gional tout en soutenant les Ă©conomies locales. En finançant l’ouverture ou le maintien de lignes stratĂ©giques, ce fonds permettrait aussi aux compagnies aĂ©riennes de prendre moins de risques commerciaux en desservant des destinations moins rentables Ă  court terme mais cruciales pour le dĂ©veloppement Ă©quilibrĂ© du tourisme tunisien. Ce serait aussi un puissant levier d’attractivitĂ© pour les investisseurs hĂŽteliers et les tour-opĂ©rateurs qui souhaitent diversifier leurs offres.

Vous parlez beaucoup de Tozeur comme territoire pilote. Pourquoi ce choix ?

Je parle de Tozeur mais je parle aussi de Tabarka, du Nord-Ouest tunisien, des rĂ©gions emblĂ©matiques du potentiel inexploitĂ©. Il y a une histoire, un patrimoine naturel exceptionnel, une identitĂ© forte, mais aujourd’hui tout est Ă  l’arrĂȘt ou presque. Une dizaine d’hĂŽtels restent fermĂ©s Ă  Tozeur. Pourtant, l’aĂ©roport fonctionne, et des compagnies comme Transavia opĂšrent dĂ©jĂ  deux vols hebdomadaires depuis Paris. Si on relance un peu plus de connectivitĂ© – notamment depuis Lyon ou Nice voire Madrid ou Berlin – et qu’on accompagne les hĂŽteliers pour la rĂ©ouverture progressive des Ă©tablissements, on peut recrĂ©er une dynamique en deux ou trois ans.

Il faut coordonner tout cela avec une vraie campagne de promotion et d’activation des rĂ©seaux de distribution, en particulier les agences de voyages et les OTA. C’est faisable, mais il faut avec la volontĂ© politique un minimum de pilotage.

L’expĂ©rience de Tozeur doit ĂȘtre rapidement rééditĂ©e Ă  Tabarka, une rĂ©gion magnifique avec des infrastructures presque totalement Ă  l’arrĂȘt souffrant de l’absence totale de connectivitĂ©s aĂ©riennes directe.

Justement, vous insistez aussi sur les OTA et le digital. La Tunisie a-t-elle raté le virage ?

Le constat est sans appel : la Tunisie souffre d’un manque voire d’absence de visibilitĂ© sur les grandes plateformes en ligne. Sur Booking.com, par exemple, aucune ville tunisienne ne figurait dans le Top 10 des destinations recherchĂ©es par les Français pour les vacances de PĂąques 2025. Pendant ce temps, Marrakech ou les Canaries raflent la mise.

Le digital, aujourd’hui, c’est le nerf de la guerre. Il faut des campagnes sponsorisĂ©es, des accords avec les OTA, mais aussi une mobilisation des rĂ©seaux d’agences traditionnelles, qui gardent un vrai pouvoir de prescription. Des rĂ©seaux comme Selectour, TourCom, Havas Voyages ou le Cediv en France, peuvent ĂȘtre nos meilleurs alliĂ©s. Mais cela suppose une stratĂ©gie concertĂ©e, cofinancĂ©e, entre l’ONTT, les opĂ©rateurs privĂ©s et les distributeurs. C’est cela, la nouvelle diplomatie Ă©conomique et marketing.

En conclusion, quel est votre message aux dĂ©cideurs du tourisme tunisien ? Le monde a changĂ©, et nous devons en prendre acte. Le tourisme tunisien dispose de ressources considĂ©rables : une position gĂ©ographique idĂ©ale, une culture accueillante, une diversitĂ© d’expĂ©riences. Mais nous devons changer de posture. Cela passe par une vision claire, des dispositifs simples, et des partenariats intelligents. Le digital, l’aĂ©rien, et le travail de terrain doivent ĂȘtre pensĂ©s ensemble. Ce n’est pas un appel Ă  la rĂ©volution, mais Ă  la cohĂ©rence. Il est temps que la Tunisie reprenne la main sur son destin touristique, avec des solutions concrĂštes, pragmatiques, cohĂ©rentes et immĂ©diatement activables.

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