Adnene Ben Salah
Dans notre pays, une question majeure sâimpose avec acuitĂ© : comment financer durablement le budget de lâĂtat sans alourdir davantage lâendettement extĂ©rieur ? En dâautres termes, comment mobiliser des ressources nationales sans aliĂ©ner notre souverainetĂ© Ă©conomique Ă des bailleurs bilatĂ©raux ou institutionnels imposant des conditions parfois incompatibles avec nos intĂ©rĂȘts stratĂ©giques ?
Plus profondĂ©ment, un paradoxe interpelle : alors que lâĂ©conomie nationale traverse une rĂ©cession marquĂ©e, que les secteurs productifs se contractent et que les performances industrielles reculent, les banques et institutions financiĂšres affichent des rĂ©sultats remarquablement positifs. Ce dĂ©calage entre lâĂ©conomie rĂ©elle et la sphĂšre financiĂšre, qui semble de prime abord une distorsion Ă©conomique, soulĂšve des interrogations et semble indiquer une distorsion du modĂšle.
Selon les principes classiques de lâĂ©conomie, une baisse de lâinvestissement, de la consommation, de lâĂ©pargne et un recul du recouvrement des crĂ©ances devraient logiquement affecter les revenus des Ă©tablissements de crĂ©dit. Le fait que cela ne soit pas le cas rĂ©vĂšle lâexistence de distorsions profondes dans notre systĂšme politico-Ă©conomique, rĂ©sultant soit de mĂ©canismes internes auto-entretenus, soit de choix de politiques Ă©conomiques dĂ©libĂ©rĂ©s.
Un modÚle en décalage avec la création de valeur réelle
Si les crĂ©ateurs de valeur â entrepreneurs, producteurs, travailleurs â sont en difficultĂ©, et si le financement de lâactivitĂ© productive se rarĂ©fie, alors se pose lĂ©gitimement une question cruciale : dâoĂč proviennent les rĂ©sultats des institutions financiĂšres ? Quelle richesse rĂ©elle justifie lâaugmentation de la masse monĂ©taire ? Et sur quelles bases lâĂtat parvient-il Ă clĂŽturer son budget ?
Pour répondre à ces questions, il convient de revenir aux fondamentaux économiques.
Quatre grandes catĂ©gories dâacteurs structurent le fonctionnement de toute Ă©conomie :
Les entrepreneurs, moteurs de création de valeur et de prise de risque ;
Les travailleurs-consommateurs, producteurs et soutiens de la demande ;
LâĂtat et son administration, organisateurs du cadre politique et rĂ©gulateur de lâactivitĂ© ;
Le systÚme monétaire et financier, gestionnaire des flux et ressources.
Lorsque les trois premiĂšres catĂ©gories sâessoufflent et que les revenus rĂ©els stagnent ou rĂ©gressent, les recettes publiques sâaffaiblissent. Pour compenser ce manque, lâĂtat, pour assurer son train de vie, recourt Ă lâendettement, dĂ©clenchant une spirale aux effets systĂ©miques.
Lâarbitrage impossible : stabilitĂ© institutionnelle ou avenir collectif
Lâadministration publique se retrouve alors face Ă un arbitrage dĂ©licat : relancer lâinvestissement productif, maintenir son propre fonctionnement ou faire le choix du sacrifice temporaire au service du bien commun. ParallĂšlement, les dĂ©cideurs politiques doivent choisir entre assurer leur survie Ă court terme ou assumer des rĂ©formes impopulaires mais nĂ©cessaires Ă moyen terme.
Dans la majoritĂ© des cas, les compromis convergent vers une prioritĂ© : maintenir la stabilitĂ© et le train de vie de lâappareil politico-administratif. Ce choix, lĂ©gitimĂ© par une logique de court terme, crĂ©e une dĂ©connexion croissante entre lâĂtat et les dynamiques productives du pays. Ainsi sâinstalle un dĂ©ficit structurel chronique, creusĂ© davantage par un recours croissant Ă lâendettement non productif, faute de crĂ©ation de valeur rĂ©elle.
Ce processus nourrit une situation de rente pour les institutions financiĂšres, captant les ressources disponibles au dĂ©triment de lâĂ©conomie rĂ©elle. Le tarissement du crĂ©dit bancaire pour les acteurs productifs provoque une raretĂ© artificielle de liquiditĂ©, accentuant la dĂ©pendance Ă lâendettement et ouvrant la voie Ă une ponction directe sur les rĂ©serves monĂ©taires de la communautĂ© â via la banque centrale ou les mĂ©canismes dâĂ©mission â avec des consĂ©quences inflationnistes et dĂ©stabilisatrices Ă moyen terme.
Une souveraineté économique de plus en plus contrainte
Ă cela sâajoute une rĂ©alitĂ© prĂ©occupante : les contraintes cumulĂ©es de notre situation structurelle et des choix de politique publique rendent de plus en plus difficile lâaccĂšs Ă des financements extĂ©rieurs viables. Les bailleurs internationaux, face Ă une dĂ©gradation des indicateurs, exigent dĂ©sormais des garanties Ă©levĂ©es voire rĂ©elles, appliquent des taux dâintĂ©rĂȘt pĂ©nalisants, raccourcissent les maturitĂ©s et limitent les montants accordĂ©s. Ce cercle vicieux rĂ©duit la marge de manĆuvre de lâĂtat et fragilise encore plus sa position sur la scĂšne financiĂšre internationale.
En dĂ©finitive, les politiques actuelles â en particulier en pĂ©riode de crise â gĂ©nĂšrent des distorsions majeures dans notre modĂšle Ă©conomique. LâĂtat, en renforçant son emprise sur les mĂ©canismes Ă©conomiques sans crĂ©er de valeur rĂ©elle, accapare les ressources au dĂ©triment de la communautĂ© productive. Ce faisant, il organise une forme de paupĂ©risation systĂ©mique des travailleurs, des investisseurs et des entrepreneurs â pourtant les piliers de la croissance et de la rĂ©partition Ă©quitable de la richesse.
Conclusion
La crise actuelle rĂ©vĂšle un dĂ©calage entre les mĂ©canismes Ă©conomiques et la crĂ©ation de valeur rĂ©elle. Pour restaurer la souverainetĂ© Ă©conomique, il est impĂ©ratif de repenser les politiques publiques en favorisant lâinvestissement productif et en rĂ©duisant la dĂ©pendance Ă lâendettement extĂ©rieur. Une telle refondation permettra de rĂ©tablir lâĂ©quilibre entre les acteurs Ă©conomiques et de promouvoir une croissance durable et inclusive. Il est essentiel dâagir rapidement pour Ă©viter une aggravation des distorsions structurelles et prĂ©server les fondements de notre Ă©conomie.
Adnene Ben Salah
Lâarticle Crise de modĂšle et distorsions Ă©conomiques Financement public : une souverainetĂ© en pĂ©ril (Partie 1) est apparu en premier sur WMC .