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Quand Saïed affirme que «la Tunisie n’est ni une ferme ni un jardin»

Le 28 avril 2025, au palais de Carthage, le président Kaïs Saïed reçoit le ministre des Affaires étrangères Mohamed Ali Nafti. Le cadre est solennel, la parole ferme. Elle se dresse, verticale, défensive : «Tunis n’est ni une bourgade, ni un verger.» Pas un jardin pour diplomates. Pas une colonie de vacances.  Il y a des discours qui ne parlent pas au citoyen. Ils s’adressent, sans le savoir peut-être, à l’inconscient collectif.

Manel Albouchi *  

Quand le président Kaïs Saïed affirme que «la Tunisie n’est ni une ferme ni un jardin» et propose d’envoyer à son tour des observateurs dans les pays qui se disent inquiets [de la situation des droits humains en Tunisie, Ndlr], il ne s’agit pas seulement d’un rejet de l’ingérence étrangère. Les mots résonnent comme un écho lointain de la décolonisation, de ses tensions non résolues, de ses blessures ouvertes. Ce discours est une révolte contre le regard de l’Autre, celui qui observe, juge, classe, prescrit. 

La phrase gratte là où la mémoire brûle : celle de la domination. Fanon, dans son langage tranchant, écrivait : «La décolonisation est la rencontre de deux forces, opposées par leur nature, qui se heurtent de front, violemment.» 

Parole politique et inconscient

Ce choc se rejoue ici. Dans la forme même du discours. Dans son ton. Dans son refus d’adopter les codes attendus de la diplomatie. Ce refus est un symptôme. Il dit : je ne veux plus être vu comme une périphérie maladroite. Il dit aussi : je souffre d’un regard. 

Peut-être faut-il lire cet événement politique à travers une autre lentille : celle de Freud. L’humain, écrivait-il, est traversé par deux pulsions : Éros, la pulsion de vie; et Thanatos, la pulsion de mort.

La souveraineté, dans cette lecture, devient un champ de bataille entre deux dynamiques contradictoires : d’un côté, le désir de cohésion, de maîtrise, de dignité; de l’autre, la tentation du repli, du rejet de l’autre, de la désocialisation. 

Le rejet des observateurs étrangers peut être lu comme un acte de résistance. Mais aussi comme un mécanisme de défense : une tentative de survie d’un Moi national encore fragile, blessé, sous pression. La souveraineté se présente alors comme un réflexe de préservation. Un retour vers l’intérieur, pour se protéger d’un regard devenu insupportable. Mais ce repli, s’il dure, devient aussi un enfermement. Et peut glisser vers la pulsion de mort : celle qui nie l’altérité et refuse la complexité du monde. 

On me dira que la politique n’est pas un cabinet d’analyse. C’est vrai. Mais elle s’exprime dans un corps social traversé par ses peurs, ses transferts, ses projections.

Une histoire non digérée

Le président parle peut-être à l’ancienne puissance coloniale. Mais il s’adresse aussi à une histoire non digérée, à une honte collective, à une humiliation héritée. À ce que Lacan appelait le manque fondamental, celui qui structure le sujet mais aussi les peuples. 

Et si ce discours n’était pas qu’une stratégie? Et s’il était l’émergence brutale d’un imaginaire insurgé, tentant de se réapproprier un territoire symbolique? Une tentative de redonner forme à une souveraineté non seulement juridique, mais aussi psychique?  

Reste une question, alors : qu’a-t-il voulu exorciser, en prononçant ces mots? 

Peut-être cette vérité cruelle, que Fanon formulait avec un sarcasme prophétique :  

«Les derniers seront les premiers.»

* Psychothérapeute, psychanalyste.  

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