Lors dâune confĂ©rence rĂ©gionale tenue Ă Tunis, mercredi 14 mai 2025, lâassociation Aswat Nissa a dressĂ© un tableau glaçant des fĂ©minicides en Tunisie. Son rapport rĂ©vĂšle une sociĂ©tĂ© malade de sa violence patriarcale, oĂč 30 femmes ont pĂ©ri sous les coups de leurs proches en 2024. Une plongĂ©e dans lâhorreur ordinaire des crimes de genre.
LâannĂ©e 2024 a enregistrĂ© 26 cas de fĂ©minicides avĂ©rĂ©s auxquels sâajoute une tentative non mĂ©diatisĂ©e. Cette stabilitĂ© numĂ©rique par rapport Ă 2023 dissimule une rĂ©alitĂ© plus complexe : le nombre rĂ©el de victimes sâĂ©lĂšve Ă 30 femmes, certaines affaires ayant fait plusieurs martyres. Quatre crimes ont particuliĂšrement frappĂ© les consciences par leur caractĂšre familial, impliquant simultanĂ©ment des belles-mĂšres et leurs filles dans le cycle de la violence. Un cas a vu une mĂšre et sa fille unies dans la mort, ultime symbole dâun systĂšme patriarcal qui ne tolĂšre aucune rĂ©sistance.
GĂ©ographie de la terreur : lâomniprĂ©sence du flĂ©au
Lâanalyse spatiale des crimes rĂ©vĂšle une diffusion inquiĂ©tante Ă travers le territoire national. Le Grand Tunis concentre Ă lui seul 64 % des affaires, avec une prĂ©dominance marquĂ©e dans la capitale (huit cas) et sa voisine Ariana (six cas). Pourtant, aucun gouvernorat nâest Ă©pargnĂ© : de Sousse Ă Sidi Bouzid, de Jendouba Ă Kairouan, le mal ronge lâensemble du pays. La comparaison avec 2023 est Ă©difiante : 16 gouvernorats touchĂ©s contre 11 lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, tĂ©moignant dâune banalisation progressive de la violence fĂ©minicide Ă lâĂ©chelle nationale.
Portraits de lâhorreur : victimes et bourreaux sous la loupe
LâĂ©tude dĂ©mographique des victimes montre une concentration dans la tranche 26-35 ans (28 % des cas). Mais elle rĂ©vĂšle surtout que la majoritĂ© des femmes assassinĂ©es avaient dĂ©passĂ© 35 ans. Le cas le plus symbolique reste celui dâune nonagĂ©naire dont la vie sâest achevĂ©e dans la violence.
Face Ă elles, des agresseurs majoritairement quadragĂ©naires (neuf cas) et quinquagĂ©naires (cinq cas). Avec la singuliĂšre exception dâun jeune homme de 22 ans, auteur dâun viol suivi de meurtre.
Les liens unissant victimes et bourreaux dessinent une carte sinistre de la violence intrafamiliale. Ainsi 36 % des crimes émanent du conjoint. Les ex-maris représentent deux cas particuliÚrement médiatisés et trois fils ont porté le coup fatal à leur mÚre. Tandis que quatre affaires impliquent des beaux-parents. Ce tableau confirme le foyer comme lieu le plus dangereux pour les femmes tunisiennes.
MĂ©thodes de lâinnommable : chronique de morts annoncĂ©es
Lâarsenal meurtrier des agresseurs privilĂ©gie les armes blanches (16 cas), notamment le couteau (13 cas), instrument du crime banalisĂ©. Mais le rapport dĂ©crit aussi des mĂ©thodes plus singuliĂšres : strangulation, usage de vĂ©hicules comme armes, ou brĂ»lures intentionnelles. Certains cas dĂ©fient lâentendement par leur cruautĂ© calculĂ©e : une Tunisienne poignardĂ©e vingt fois au Canada par son Ă©poux; des corps mutilĂ©s puis jetĂ©s comme des dĂ©chets. Ou ce cadavre conservĂ© pendant une annĂ©e entiĂšre dans un rĂ©frigĂ©rateur domestique.
Le systÚme en échec : protection en berne, impunité en hausse
Lâanalyse institutionnelle du rapport est accablante. Les signalements prĂ©alables restent souvent lettres mortes, les mesures de protection thĂ©oriques, les mĂ©dias minimisent rĂ©guliĂšrement les faits en les qualifiant de « drames passionnels ». Lâabsence de statistiques officielles fiables complĂšte ce tableau dâune sociĂ©tĂ© qui refuse de regarder en face lâampleur du phĂ©nomĂšne.
Lâheure des remĂšdes : propositions pour briser le cycle
Face à cette hécatombe silencieuse, Aswat Nissa formule des recommandations :
- CrĂ©ation dâun dĂ©lit spĂ©cifique de fĂ©minicide;
- Formation obligatoire des forces de lâordre;
- Campagnes nationales de choc;
- Mise en place dâun observatoire centralisĂ©.
Autant de mesures qui attendent encore leur concrétisation.
Des vies en suspens
DerriĂšre la froideur des chiffres se cachent trente destins brisĂ©s, trente histoires interrompues. Alors que la Tunisie moderne cĂ©lĂšbre chaque annĂ©e ses avancĂ©es sur les droits des femmes, le rapport dâAswat Nissa vient rappeler lâurgence dâagir contre ce flĂ©au qui ronge les fondements mĂȘmes de la sociĂ©tĂ©. Comme le souligne amĂšrement lâassociation : « Les lois ne suffisent pas Ă protĂ©ger les vivantes ». Un constat qui rĂ©sonne comme un appel au sursaut national.
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