ECLAIRAGES- La Banque centrale de Tunisie … un tournant difficile
Les institutions financières , en particulier la Banque centrale de Tunisie, se retrouvent dans une situation délicate. Les responsables de cette institution, jadis perçue comme le pilier de la stabilité économique, commencent à admettre, même si c’est à demi-mots, que les outils et instruments de politique monétaire qu’ils ont utilisés pendant des décennies pour réguler l’économie ne semblent plus aussi efficaces qu’auparavant.
Ces instruments utilisée par la Banque centrale de Tunisie, qui incluent des taux d’intérêt fixés pour contrôler l’inflation ou des réserves de change pour stabiliser la monnaie, ne répondent plus aux défis contemporains.
La Banque centrale de Tunisie, tout comme ses homologues à l’échelle mondiale, semble avoir perdu une partie de sa « touche magique », l’illusion de tout pouvoir sur les flux économiques.
Un aveu de faiblesse face aux crises économiques
Historiquement, la Banque centrale a joui d’une certaine indépendance vis-à-vis des gouvernements successifs, lui permettant de prendre des décisions parfois douloureuses mais nécessaires pour la santé économique du pays. Elle a par exemple été en mesure d’augmenter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, tout en faisant fi des pressions politiques visant à favoriser la croissance à tout prix.
Cependant, face à une inflation galopante et à des déséquilibres économiques, elle appelle aujourd’hui à un renforcement des dépenses publiques, à une politique budgétaire plus proactive et à une fiscalité ajustée.
Ce changement de ton témoigne d’une reconnaissance implicite de la faiblesse de sa position et de la nécessité d’un soutien plus large de l’État pour stabiliser l’économie.
Une analyse post-transition politique : le défi de la stabilité des prix
Le paradigme qui a guidé la politique économique tunisienne depuis le 14 janvier 2011, marqué par une volonté de stabiliser le système face à des crises multiples, semble en décalage avec les réalités actuelles. Autrefois, la BCT était perçue comme la gardienne de la sacro-sainte stabilité des prix, cherchant à éviter toute flambée inflationniste, conformément aux théories de Milton Friedman. Malheureusement, cette obsession pour un seuil d’inflation de (< 3%) a conduit à une négligence préoccupante des autres objectifs économiques, tels que le plein emploi (meilleur emploi ?) et la promotion d’une croissance inclusive (?). Ces éléments ont été relégués au second plan, compromettant ainsi le bien-être des Tunisiens, particulièrement ceux les plus vulnérables.
Ironie du sort : une victoire apparente sur l’inflation récente
Il serait facile de tomber dans le piège de féliciter la BCT pour sa lutte contre l’inflation, qui semble aujourd’hui sous contrôle apparent. Pourtant, cette maîtrise ne doit pas occulter le fait que cette obsession pour l’inflation a engendré un paradoxe. En poursuivant une seule et unique priorité, la Banque centrale, tout en s’alignant sur les pratiques des autres banques centrales du monde, a provoqué une sorte de « suicide collectif ». À l’heure actuelle, les économistes peinent à trouver des solutions pour relancer même une faible inflation, alors que la stagnation économique menace de s’installer durablement.
Repenser les paradigmes économiques : vers une nouvelle approche
Cependant, il serait injuste de blâmer uniquement les banquiers centraux. L’ensemble de la communauté des économistes traditionnels en Tunisie, souvent ancrée dans des modèles orthodoxes, est également en question. Leur incapacité à reconnaître que le capitalisme, tel qu’il est pratiqué, peut générer des instabilités profondes, a freiné l’innovation dans la pensée économique. Ils ont échoué à intégrer des éléments essentiels, tels que la dette ou la dynamique monétaire, dans leurs modèles d’analyse.
S’intéresser aux travaux d’économistes comme Hyman Minsky sur l’instabilité financière aurait pu leur permettre de reconsidérer leurs certitudes concernant l’équilibre des marchés. Les crises sont inhérentes à ce système, et les niveaux d’endettement privés, comme ceux observés dans de nombreux secteurs tunisiens, exacerbent ces déséquilibres et réclament des ajustements profonds et souvent douloureux.
La nécessité d’une remise en question des certitudes
L’expérience humaine montre qu’il est souvent difficile de remettre en question les schémas de pensée établis. Les décideurs et économistes, confortablement installés dans leurs certitudes, résistent fréquemment au changement. Max Planck, le célèbre physicien, a noté que la science avance « un enterrement à la fois », illustrant la résistance au changement que l’on trouve dans de nombreux domaines, y compris l’économie.
En Tunisie, comme ailleurs, cette résistance à évoluer peut avoir des conséquences dramatiques et entraîner des crises récurrentes, tant sur le plan économique que social.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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