ECLAIRAGES – Pétrole au plus bas… Une bouffée d’oxygène
Alors que le baril de pétrole chute à son plus bas niveau depuis 2021, la Tunisie pourrait bénéficier d’un allègement temporaire de sa facture énergétique. Mais cette baisse, nourrie par des tensions commerciales et un excès d’offre sur les marchés, est-elle durable ? Et surtout, comment transformer cette conjoncture favorable en levier stratégique pour un pays dépendant des importations d’hydrocarbures ?
Décryptage.
Le pétrole au plus bas depuis 2021 : une aubaine conjoncturelle pour la Tunisie, mais jusqu’à quand ?
Depuis quelques semaines, les marchés pétroliers connaissent une véritable onde de choc. Le prix du baril de pétrole brut, en particulier le WTI américain, est tombé autour de 60,9 dollars, un niveau inédit depuis le printemps 2021. En l’espace de deux semaines, ce sont plus de 15 % de valeur qui se sont évaporés. Cette baisse, largement alimentée par des facteurs géopolitiques et économiques mondiaux, suscite de nombreuses interrogations : est-elle durable ? Et surtout, que signifie-t-elle pour un pays comme la Tunisie, largement dépendant des importations énergétiques ?
Une conjonction de facteurs défavorables pour les producteurs
À l’origine de cette baisse, deux dynamiques principales. La première tient à l’escalade commerciale entre les États-Unis et la Chine. La décision de l’administration Trump d’augmenter significativement les droits de douane sur des produits chinois essentiels a ravivé les craintes d’un ralentissement de la croissance mondiale.
Dans un contexte où les tensions commerciales freinent les échanges et l’investissement, la demande mondiale en énergie recule. Or, le pétrole étant l’un des principaux baromètres de l’activité économique, la moindre contraction de la demande exerce une pression immédiate sur les cours.
La deuxième dynamique concerne l’offre. Les pays de l’OPEP+, emmenés par l’Arabie saoudite et la Russie, ont décidé d’augmenter plus rapidement leur production, injectant sur le marché quelque 411 000 barils supplémentaires par jour. Une décision motivée par la volonté de préserver leurs parts de marché mais qui, combinée à une demande stagnante, a créé une situation de surabondance.
La Tunisie : bénéficiaire indirecte, mais avec des marges étroites
Pour la Tunisie, importateur net d’hydrocarbures, cette baisse des prix du pétrole constitue, à court terme, une opportunité. En effet, le coût de la facture énergétique pourrait diminuer sensiblement dans les mois à venir. Cela permettrait de desserrer l’étau sur les finances publiques, fortement sollicitées par la compensation des prix des carburants et de l’électricité.
Selon les dernières données disponibles, la facture énergétique de la Tunisie dépasse les 10 milliards de dinars par an. Une baisse de 15 % du prix du baril pourrait générer plusieurs centaines de millions de dinars d’économies, à condition que cette baisse soit durable et que le taux de change dinar/dollar reste relativement stable.
Mais cette aubaine reste partielle. Le gouvernement tunisien pratique une politique d’ajustement graduel des prix à la pompe, révisés chaque mois. Il pourrait donc choisir de ne pas répercuter intégralement la baisse sur les consommateurs, et utiliser cet espace pour réduire les subventions ou contenir le déficit budgétaire.
Des effets macroéconomiques contrastés
Outre l’impact budgétaire, une baisse durable du prix du pétrole pourrait également atténuer certaines pressions inflationnistes. En réduisant les coûts de production et de transport, elle pourrait se traduire, à terme, par une stabilisation des prix à la consommation, dans un contexte où l’inflation reste élevée (5,9 % en glissement annuel). Cela offrirait une respiration bienvenue au pouvoir d’achat, sans toutefois compenser totalement les hausses subies depuis 2022.
Sur le plan de la balance des paiements, une diminution de la facture énergétique pourrait également alléger le déficit commercial, et limiter la pression sur les réserves en devises, en particulier dans un contexte où la Tunisie peine à mobiliser des financements extérieurs massifs.
Un environnement géopolitique mouvant et incertain
Il serait toutefois imprudent de miser sur une poursuite linéaire de cette tendance baissière. Deux dossiers majeurs pourraient rebattre les cartes dans les mois à venir : la relance du dialogue sur le nucléaire iranien, qui pourrait conduire à une levée des sanctions et à un retour du pétrole iranien sur le marché.
Par ailleurs, un baril durablement bas fragilise de nombreux pays producteurs, y compris dans notre voisinage. L’Algérie, dont 90 % des recettes en devises proviennent des hydrocarbures, pourrait voir son équilibre budgétaire et sa stabilité sociale mis à mal. Cela aurait, à moyen terme, des répercussions sur la coopération économique régionale.
Et pour la Tunisie, quelle stratégie énergétique ?
Ce contexte offre à la Tunisie une opportunité : celle d’amorcer une réflexion stratégique sur sa dépendance énergétique et d’accélérer sa transition vers les énergies renouvelables. Car une chose est sûre : la volatilité des marchés pétroliers est appelée à durer. Miser sur une baisse structurelle du pétrole serait un pari risqué. En revanche, utiliser cette fenêtre pour engager des réformes, améliorer l’efficacité énergétique, renforcer les capacités de production locale et sécuriser les approvisionnements est une nécessité.
À l’heure où la Tunisie prépare son plan de développement 2026-2030 dans un contexte de rareté des ressources et d’incertitudes géopolitiques, chaque choc externe, positif ou négatif, doit être intégré dans une stratégie de résilience. Le pétrole bon marché est une aubaine conjoncturelle. À nous d’en faire un levier structurel.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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