Avec Ahmed Al-Charaa, les Américains mélangent le miel et le fiel
L’administration Trump brouille les cartes dans tous les dossiers. Certains disent que c’est relatif à la personnalité imprévisible du président américain, d’autres estiment que c’est plutôt une tactique pour faire pression sur la partie concernée. Quoi qu’il en soit, la Syrie n’échappe à la méthode trumpiste.
Imed Bahri
Il y a seulement quelques semaines, les médias internationaux relevaient que Trump allait rencontrer Ahmed Al-Charaa lors de sa prochaine visite en Arabie saoudite. Les Américains ont également soutenu le nouveau pouvoir syrien dans son exigence d’intégrer les Kurdes des Forces démocratiques de Syrie (FDS) aux nouvelles forces armées syriennes et les Qataris ont obtenu une exemption pour pouvoir exporter du gaz à la Syrie alors que les sanctions interdisent toute exportation vers ce pays du Levant. Aujourd’hui, les Américains haussent le ton et ont formulé deux exigences.
Selon une enquête du Wall Street Journal, réalisée par Jared Maslin, Nancy Youssef et Michael Gordon, l’administration Trump a renforcé ses exigences envers les nouveaux dirigeants islamistes en Syrie. Washington veut que Damas réprime les éléments extrémistes et expulse les organisations palestiniennes du pays en échange d’un allègement limité des sanctions.
Le journal ajoute que l’administration Trump a menacé d’adopter une position ferme à l’égard du nouveau gouvernement syrien : s’il ne répond pas favorablement à ses exigences, la levée de certaines sanctions ne pourrait avoir lieu.
Selon des responsables américains informés, la Maison-Blanche a émis ces dernières semaines des directives politiques appelant le gouvernement syrien à prendre des mesures qui incluent également la sécurisation du stock d’armes chimiques du pays. Ils ont ajouté que les États-Unis envisageraient, en retour, de renouveler une dérogation étroite aux sanctions émise par l’administration Biden qui vise à accélérer l’afflux d’aide au pays.
Le scepticisme des responsables américains
Le WSJ note que ces directives reflètent le scepticisme des responsables de l’administration américaine à l’égard du gouvernement syrien dirigé par d’anciens chefs rebelles islamistes qui ont chassé le président Bachar Al-Assad du pouvoir en décembre mettant fin à 13 ans de guerre civile sanglante.
Le journal rapporte également que la Russie n’a pas été mentionnée dans les nouvelles orientations de la politique américaine. Cela révèle comment l’administration Trump atténue la pression exercée par l’administration de l’ancien président Biden pour exhorter Damas à démanteler les bases militaires russes en Syrie.
Le journal a cité une porte-parole du département d’État américain qui a déclaré: «Les États-Unis ne reconnaissent actuellement aucune entité comme étant le gouvernement de la Syrie. Les autorités intérimaires syriennes doivent rejeter complètement le terrorisme et le réprimer».
Le gouvernement américain continue de classer Ahmed Al-Charaa comme terroriste, une désignation datant de l’époque où il dirigeait le front Al-Nosra, un groupe d’abord lié à Al-Qaïda avant de rompre les liens avec celui-ci.
L’administration Trump ne semble pas disposée à s’engager avec le nouveau régime, tout comme l’administration Biden, qui a envoyé de hauts fonctionnaires rencontrer Al-Charaa en décembre et a levé la récompense de 10 millions de dollars précédemment offerte par le FBI pour quiconque qui permet de capturer le nouvel homme fort de Syrie.
Le journal a cité des responsables de la défense affirmant que le Pentagone prévoyait de réduire de moitié le nombre de forces américaines en Syrie, où environ 2 000 soldats sont stationnés, travaillant avec les Forces démocratiques syriennes dans le nord-est de la Syrie. L’administration américaine prévoit de mener une étude pour déterminer si de nouvelles réductions de troupes doivent être effectuées cet été.
Les forces américaines ont pour mission d’empêcher la Syrie de devenir un bastion pour des groupes extrémistes tels que l’Etat Islamique. La position de Trump sur d’autres éléments de la politique américaine envers la Syrie n’est pas encore claire.
L’envoyé spécial des États-Unis pour le Moyen-Orient et l’Ukraine, Steve Witkoff, a déclaré le mois dernier qu’Al-Charaa est «une personne différente de ce qu’elle était auparavant. Les gens changent».
Eviter le retour de la Russie
Les principaux dirigeants républicains craignent que l’influence américaine en Syrie ne diminue d’une manière qui pourrait créer une opportunité pour la Russie et la Chine. Dans une autre direction, d’éminents dirigeants militaires ont abordé la nouvelle situation avec pragmatisme, contribuant à la négociation d’un accord en mars visant à placer une force militaire forte, à savoir les Kurdes des FDS, soutenue par les États-Unis sous le commandement du gouvernement de Damas.
Le gouvernement syrien a refusé de commenter les nouvelles exigences de la politique américaine dont il a été informé.
Le New York Times avait déjà révélé la décision du Pentagone de retirer ses forces de Syrie. Le journal a noté qu’Al-Charaa a passé des années à travailler pour améliorer son image, purger son groupe des extrémistes et combattre l’EI. Depuis son arrivée au pouvoir, lui et son gouvernement ont œuvré pour être acceptés par l’Occident et par la communauté internationale en général, promettant de gouverner la Syrie en prenant compte de sa diversité ethnique et religieuse et s’engageant à éviter tout conflit avec Israël. En mars, Al-Charaa a nommé un nouveau gouvernement dans lequel les islamistes ont conservé des ministères clés mais ont également inclus des membres de groupes minoritaires et des dirigeants de la société civile.
Le WSJ note que les enjeux sont importants pour Al-Charaa et son gouvernement avec une économie chancelante et des villes en ruines après des années de guerre au cours desquelles la Russie et l’Iran ont soutenu l’ancien régime. Sans la levée des sanctions imposées par les pays occidentaux et les États-Unis à l’ancien régime, la reconstruction de la Syrie sera difficile.
Bien que l’Union européenne et le Royaume-Uni aient assoupli certaines sanctions, sans le soutien américain et l’accès au système financier mondial, la Syrie continuera de lutter pour garantir les salaires de ses employés et pour commencer la reconstruction d’une manière qui permette aux réfugiés de rentrer chez eux et empêche une nouvelle violence.
«Une aide importante est désespérément nécessaire pour accomplir tout cela et sécuriser le pays ainsi que pour initier tout type de développement et le temps presse», a déclaré au journal Natasha Hall, chercheuse principale au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington.
Les récentes directives politiques de l’administration américaine comprennent certaines demandes similaires à celles formulées par l’administration Biden à Al-Charaa, notamment la collaboration avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, la sécurisation de l’uranium hautement enrichi et la nomination d’un officier de liaison pour localiser 14 Américains disparus en Syrie.
L’administration américaine exige également du nouveau gouvernement qu’il publie une déclaration publique contre les groupes djihadistes. Dans une nouvelle demande, l’administration américaine veut que la Syrie interdise aux groupes armés palestiniens d’opérer dans le pays, y compris de lever des fonds, et expulse leurs membres de Syrie.
Des groupes palestiniens opèrent depuis des décennies à l’instar du Djihad islamique ou des gauchistes du Front populaire de la libération de la Palestine. Le Hamas y avait son siège jusqu’en 2012. La Syrie abrite également un grand nombre de réfugiés palestiniens depuis 1948 et toute tentative d’expulsion pourrait conduire à une confrontation entre le gouvernement et ces organisations.
En attendant la levée des sanctions
En échange de la mise en œuvre de ces demandes, les États-Unis soutiendront l’intégrité territoriale de la Syrie, envisageront de reprendre les relations diplomatiques et retireront les responsables syriens de la liste des organisations terroristes.
Dans le cadre de cette nouvelle politique, les États-Unis envisageront également de prolonger les dérogations aux sanctions existantes émises par l’administration Biden en janvier qui visent à accélérer l’acheminement de l’aide humanitaire à la Syrie.
En janvier, le Trésor américain a accordé des exemptions aux groupes d’aide et aux entreprises qui fournissent des fournitures essentielles, notamment de l’électricité, du pétrole et du gaz naturel. L’offre américaine reste en-deçà de la levée des sanctions prônée par certains responsables européens, des puissances régionales comme la Turquie et des analystes de sécurité qui craignent que la Syrie ne retombe dans la violence ou ne tombe à nouveau sous l’influence de la Russie et d’autres adversaires traditionnels des États-Unis.
«Cela compliquera grandement la situation et, en fait, ne fera que pousser la Syrie et les nouvelles autorités entre les mains des Russes ou même des Chinois», a déclaré Benjamin Fife, analyste de recherche senior chez Karam Shaar Consulting, un cabinet de conseil travaillant sur l’économie syrienne.
Il est à noter que la nouvelle politique de l’administration Trump ne fait aucune mention de la Russie qui est intervenue militairement en Syrie en 2015. Après la chute d’Assad, la Russie a envoyé des cargaisons de billets de banque syriens dans le pays pour tenter de maintenir son influence dans ce pays.
Deux anciens responsables de l’administration Biden ont déclaré que l’un des objectifs des efforts diplomatiques de l’administration avec Damas était de mettre fin à la présence militaire de la Russie en Syrie, y compris deux bases navales et aériennes près de la mer Méditerranée, qui sont au cœur des efforts mondiaux du Kremlin pour étendre son influence. Ceci n’est plus d’actualité avec l’administration Trump.
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