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Fanon au cinéma | Le colonisé selon Donald Trump ou l’anti-wokisme à l’honneur

Un film passe actuellement dans nos salles. Ayant pour sujet le célèbre psychiatre martiniquais, il est centré sur son séjour algérien à l’hôpital de Blida durant la colonisation entre 1953 et 1957, au cours duquel, lui même confronté dans l’exercice de sa profession, mais aussi en dehors, au racisme que lui valent ses origines, prend conscience de la double aliénation des patients d’abord en tant qu’autochtones non européens, ensuite en tant que malades souffrant de troubles psychiatriques, et justifiant aux yeux des autorités leur incarcération comme de dangereux criminels, ou leur répression.

Dr Mounir Hanablia *

Frantz Fanon obtient que ces patients soient pris en charge comme des Européens et se met ainsi à dos le directeur qui le menace de poursuites en cas d’incident ainsi que l’ensemble du corps médical de l’hôpital. Mais très vite Fanon obtient la confiance des musulmans et entre en contact avec le Front de libération nationale (FLN) par le biais de son grand dirigeant kabyle, l’instituteur Abane Ramdane, qui est l’auteur de la plateforme politique du mouvement et l’architecte du Congrès de la Soummam dont émerge la première organisation dirigeante algérienne, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA).

Fanon, aidé de son épouse, une Française européenne, souscrit au combat contre le colonialisme et soigne clandestinement dans l’hôpital, ou à la campagne, les résistants blessés, avec l’aide de deux jeunes médecins juifs algériens venus accomplir leur formation dans son service. Il cache chez lui le chef algérien lorsque celui-ci, dénoncé, est obligé de fuir. Mais il finit par éveiller les soupçons des autorités qui pour l’espionner, envoient se faire soigner à l’hôpital, un officier européen, spécialisé dans le renseignement et la torture, un certain Roland. Mais ce personnage  finit par désobéir aux ordres de ses supérieurs, gagné par le respect du psychiatre qui le soigne, et est arrêté avec les malades du service, après avoir été blessé par une Algérienne.

Fictif ou pas, sa présence semble signifier que les colonialistes les plus endurcis demeurent des êtres humains qui peuvent s’amender pour peu qu’ils trouvent le bon exemple à suivre.

Les combattants de la liberté ne sont pas au dessus de tout reproche

Fanon prend alors conscience de la menace qui pèse désormais sur lui et s’enfuit à Tunis avec sa femme et son fils où il est hébergé et pris en charge par le FLN algérien qui obtient qu’il exerce dans un hôpital de Tunis. Il devient dans le même temps chroniqueur du journal indépendantiste El Moudjahid.

Cependant, Abane Ramdane, son ami, le théoricien de la Révolution, présenté dans le film d’une manière plutôt contestable comme un démocrate, devient la cible des «militaires» quand il veut demander des comptes à ses propres compatriotes réfugiés à l’extérieur dont il dénonce au nom des combattants de l’intérieur confrontés à l’armée française, l’impéritie et le goût du luxe. Il est alors attiré et étranglé au Maroc à l’instigation d’Abdelhafid Boussouf, le chef du Renseignement militaire algérien, opérant semble-t-il avec l’accord de Lakhdar Bentobbal et de Krim Belkacem.

Après le premier message du film sur l’amendement des tortionnaires, le second semble signifier que les combattants de la liberté ne sont eux non plus pas au dessus de tout reproche; à la différence près que le colonialisme dans le film n’est impliqué dans le crime qu’au niveau subalterne, ce qui évidemment ne correspond pas à la réalité, l’Etat français à son plus haut niveau ayant délégué la responsabilité du maintien de l’ordre, et même de la police, à l’armée.

Cependant, Fanon apprend par le FLN l’assassinat de son ami et il s’exécute contre l’avis de son épouse lorsqu’il lui est demandé de préciser sur les colonnes d’El Moudjahid qu’il est tombé au champ d’honneur. Ainsi, en devient-il le complice moral tout en se retrouvant, bien à l’abri à Tunis, dans la même situation confortable bourgeoise de ceux que son ami critiquait.

On finit toujours par être rattrapé par ses actes

Le troisième message est donc clair: les militants tiers-mondistes ont un humanisme sélectif, particulièrement quand il s’agit de sauvegarder leurs intérêts. Prompts à se dresser contre le colonisateur, ils n’ont pas le courage de dénoncer les crimes des colonisés. C’est oublier un peu vite que le Docteur Fanon aurait pu accomplir sa mission à Blida sans faire de vagues, dans la perspective d’une brillante carrière à son retour en France. Mais toujours selon le film, devenu un rouage de la propagande du FLN, il n’a plus aucune utilité. Il finit par être puni par le destin en étant rattrapé par la maladie, dont le souvenir de la chasse aux crabes de son enfance qui l’avait marqué au visage symbolise le cancer. Ainsi les crabes qui avaient souffert se vengent-ils de lui, le médecin, et pourrait-on dire, par substitution à son ami assassiné. Et le film semble signifier ainsi qu’on finit toujours par être rattrapé par ses actes. Et tout compte fait, le tableau représentant la mangrove martiniquaise qui occupe l’écran à plusieurs reprises, parfois teintée de rouge, évoque à la fois une protection, mais aussi un piège, par son caractère inextricable, et pas seulement pour les crabes qui y vivent.

La mangrove serait ainsi la France qui protège et le piège dont on ne peut se sortir, son colonialisme meurtrier, pourrait-on dire autant que la chasse aux crabes, qui en constituent les habitants naturels. Autrement dit, la colonisation ne serait pas ce mal absolu, il faudrait encore en rechercher le bon côté, à la manière de Nicolas Sarkozy. Mais après nous avoir suggéré que sans le colonialisme, le psychiatre martiniquais ne serait jamais arrivé à Blida, et que sa conscience humaine n’aurait pu surmonter ses préjugés culturels et sociologiques, on finit par nous dire que décédé en décembre 1961, il a été enterré à sa demande clandestinement en Algérie dans un lieu tenu secret, au pied d’un olivier, symbole de paix, selon le rite musulman, la terre du paysage étant la liberté, et l’océan qu’il contemplait l’éternité.

Le Martiniquais colonisé et révolté n’a donc rien gagné à abandonner la France et à passer du côté des Algériens, dont l’État indépendant n’a éprouvé aucun intérêt à célébrer la mémoire des Français qui ont lutté pour son indépendance.  Et ultime constat d’échec, on nous précise que son épouse qui l’a soutenu dans son combat, s’est suicidée, 29 ans après. En Algérie? La question mérite d’être posée.

Naturellement ce film centré sur la personnalité professionnelle de ce médecin martiniquais idéaliste plongé dans le contexte médical colonial de l’époque est très émouvant. Son but n’a jamais été de mettre en exergue les écrits et la pensée du militant anticolonialiste tiers-mondiste, dont on ne connaîtra que quelques passages significatifs dictés à son épouse.

Révolution et lutte fratricide pour le pouvoir

On comprendra  sans le justifier le choix du scénariste d’aborder la révolution algérienne sous l’angle de la lutte fratricide pour le pouvoir, dont il estime que la mort d’Abane Ramdane a marqué un coup d’arrêt à l’avènement éventuel de la démocratie dans le pays devenu indépendant.

On peut déplorer que des évènements importants impliquant l’Etat français aient été passés sous silence comme la bataille d’Alger de 1957, le putsch des généraux de 1961, la guerre civile déclenchée par l’Organisation armée secrète (OAS) contre le pouvoir gaulliste, ou la tuerie de la Rue d’Isly de 1962 dont les victimes ont été françaises, abattues par l’armée française. Ils auraient pu justifier même à postériori les choix du psychiatre, dont il semble qu’on ait voulu au contraire démontrer la vanité, à l’époque de Donald Trump et du mouvement anti-Woke, par une relecture sommaire de l’Histoire, relativisée en étant centrée sur l’expérience personnelle d’un personnage faillible. Un anachronisme est significatif de l’imprécision du film, cette affiche entrevue, «L’OAS veille», qui, avant 1961, ne pouvait  donc exister à l’époque où le médecin occupait encore ses fonctions à Blida. A voir tout de même en ayant conscience de cela! 

* Médecin de libre pratique.

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