Hafedh Ben Afia (Afreximbank) : « Le Forum MaghrĂ©bin, cap sur lâintĂ©gration bancaire »
RĂ©unissant banquiers, experts et universitaires venus de toute la rĂ©gion, le premier forum organisĂ© par la Banque MaghrĂ©bine dâInvestissement et de Commerce ExtĂ©rieur BMICE a mis en lumiĂšre lâurgence dâune intĂ©gration Ă©conomique maghrĂ©bine plus forte. Entre partage dâexpĂ©riences, dĂ©fis de la digitalisation, cybersĂ©curitĂ© et impact de lâintelligence artificielle sur lâemploi, les participants ont esquissĂ© une feuille de route pour dynamiser les Ă©changes intra-maghrĂ©bins et renforcer la rĂ©silience du secteur bancaire face aux mutations technologiques. Hafedh Ben Afia, Chef de la rĂ©gion Afrique du Nord, de Afreximbank dresse un Ă©tat des lieux. Interview:
Quels sont les enjeux actuels concernant ce premier forum et quel est son impact sur les banques inter-maghrébines ?
Hafedh Ben Afia: La rĂ©gion maghrĂ©bine demeure lâune des moins intĂ©grĂ©es du continent africain, voire mĂȘme du monde. Les Ă©changes commerciaux et dâinvestissement entre les pays du Maghreb ne reprĂ©sentent que 3âŻ% du volume total des Ă©changes avec le reste du monde. Câest dans ce contexte que le forum, organisĂ© par la Banque MaghrĂ©bine dâInvestissement et de Commerce ExtĂ©rieur « BMICE , intervient Ă un moment opportun pour unir les efforts et rĂ©flĂ©chir collectivement Ă davantage dâĂ©changes, dâidĂ©es et de partage dâexpertises.
Câest la raison pour laquelle Afreximbank a Ă©tĂ© invitĂ©e Ă participer. Il convient de rappeler quâAfreximbank est prĂ©sente dans 54 pays africains, possĂšde une solide expĂ©rience en matiĂšre dâintĂ©gration rĂ©gionale. Nous avons notamment créé un dĂ©partement dĂ©diĂ©, lâInter-Africa Trade and Investment Bank, dont la mission est de favoriser les opportunitĂ©s entre pays africains, plutĂŽt que de se tourner systĂ©matiquement vers des partenaires extĂ©rieurs.
Nous sommes venus partager notre expĂ©rience, notamment sur la maniĂšre dont nous soutenons les entreprises africaines dans leurs projets sur le continent. Nous avons dĂ©jĂ accompagnĂ© des sociĂ©tĂ©s Ă©gyptiennes, marocaines et tunisiennes dans leurs initiatives avec dâautres pays africains, en garantissant la performance de ces entreprises et en couvrant les risques liĂ©s aux paiements, ce qui Ă©vite de faire appel Ă des partenaires extra-africains.
Notre objectif est dâinspirer les banques maghrĂ©bines Ă adopter des dĂ©marches similaires, tout en restant Ă lâĂ©coute de leurs besoins spĂ©cifiques. Nous espĂ©rons ainsi encourager une intĂ©gration plus poussĂ©e entre les pays de la rĂ©gion.
Quels sont, selon vous, les besoins du marché maghrébin et comment dynamiser les échanges intra-maghrébins ?
Concernant les besoins du marchĂ© maghrĂ©bin et la dynamisation des Ă©changes intra-maghrĂ©bins, le principal dĂ©fi est dâordre culturel et liĂ© Ă lâĂ©tat dâesprit. LâintĂ©gration existe, mais principalement dans le secteur informel, notamment entre la Tunisie, la Libye et lâAlgĂ©rie.
Chaque pays possĂšde ses propres atoutsâŻ: industrie, tourisme et agroalimentaire pour la TunisieâŻ; gaz pour lâAlgĂ©rieâŻ; pĂ©trole pour la LibyeâŻ; phosphate pour le Maroc. Cette diversitĂ© offre un potentiel dâintĂ©gration important.
Cependant, il est nĂ©cessaire de renforcer la volontĂ© politique pour accĂ©lĂ©rer cette intĂ©gration et dâadapter les rĂ©glementations afin de faciliter les investissements et les projets communs. Bien que de nombreuses conventions existent sur le papier, leur application concrĂšte reste limitĂ©e.
Lors du forum, la digitalisation et lâintelligence artificielle ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©es. Quels sont les dĂ©fis Ă relever en matiĂšre de cybersĂ©curitĂ© dans le secteur bancaire maghrĂ©bin ?
Avec la mondialisation et la digitalisation croissante, il est indispensable pour les banques maghrĂ©bines, comme pour toutes les banques africaines, de rester Ă la pointe de lâinnovation. Aujourdâhui, les acteurs Ă©conomiques attendent des services bancaires accessibles en ligne et une assistance technique rapide, notamment grĂące Ă lâintelligence artificielle. Ils ne souhaitent plus dĂ©pendre de lâintervention humaine pour rĂ©soudre leurs problĂšmes, Ă lâimage de ce qui se pratique dĂ©jĂ dans les grandes institutions et entreprises internationales. Le Maghreb ne fait pas exceptionâŻ: il doit sâadapter Ă ces nouvelles exigences et ne peut rester en marge de cette Ă©volution.
Cependant, pour tirer pleinement parti de ces outils numĂ©riques et de lâIA, il est impĂ©ratif de garantir une sĂ©curitĂ© totale. Cela implique dâadopter une vĂ©ritable culture de la cybersĂ©curitĂ©, aussi bien au niveau individuel quâorganisationnelâŻ: gestion rigoureuse des accĂšs, utilisation sĂ©curisĂ©e des cartes et des mots de passe, limitation des supports physiques comme les clĂ©s USB ou les disques durs, etc. La sensibilisation Ă ces enjeux est essentielle, car les cyberattaques, devenues de plus en plus sophistiquĂ©es avec la mondialisation, peuvent avoir des consĂ©quences dramatiques, y compris pour les banques centrales et les grandes entreprises de la rĂ©gion.
Quelles recommandations ont été faites lors de cette session sur la cybersécurité ?
Lors de la session dĂ©diĂ©e Ă la cybersĂ©curitĂ©, plusieurs recommandations ont Ă©tĂ© formulĂ©esâŻ:
Multiplier les actions de sensibilisation Ă la cybersĂ©curitĂ© et Ă lâoptimisation des outils numĂ©riques, en particulier dans le secteur bancaire.
Favoriser le partage dâexpĂ©riences entre banques pour renforcer la protection face aux cybermenaces, en sâinspirant des bonnes pratiques dĂ©jĂ mises en Ćuvre.
Faire appel à des experts externes en cybersécurité, au-delà des seules compétences internes, afin de disposer des meilleures solutions face à des attaques en constante évolution.
En résumé, la transformation digitale du secteur bancaire maghrébin doit aller de pair avec un renforcement de la cybersécurité et une adaptation continue aux nouveaux risques, pour garantir la confiance des clients et la résilience des institutions financiÚres de la région.
Lâintelligence artificielle aura-t-elle un impact sur le tissu industriel et lâemploi dans la rĂ©gion?
Effectivement, comme on le disait dĂ©jĂ durant mes Ă©tudes, lâarrivĂ©e des robots dans les usines a entraĂźnĂ© une rĂ©duction du nombre de salariĂ©s, ce qui a eu un impact rĂ©el. On a observĂ© de grandes entreprises licencier des milliers dâemployĂ©s, notamment aprĂšs la crise financiĂšre de 2008-2009. Cette pĂ©riode a renforcĂ© lâidĂ©e que le personnel humain serait de moins en moins nĂ©cessaire, remplacĂ© par des machines capables dâexĂ©cuter ces tĂąches.
Aujourdâhui, avec lâintelligence artificielle, dâautres mĂ©tiers risquent de disparaĂźtre. Le tissu industriel va probablement Ă©voluer, et le nombre dâemployĂ©s par entreprise devrait diminuer. Cependant, de nouveaux emplois pourraient Ă©merger, notamment dans des fonctions de soutien ou de services liĂ©s Ă lâIA.
Pourtant, je reste assez pessimiste quant Ă lâavenir. MĂȘme des ingĂ©nieurs pourraient ĂȘtre remplacĂ©s par des intelligences artificielles capables dâaccomplir le travail de plusieurs dâentre eux. Ă lâĂ©chelle locale comme mondiale, les entreprises et investisseurs privilĂ©gient avant tout leurs profits. Ils chercheront donc Ă rĂ©duire au maximum les coĂ»ts liĂ©s aux charges sociales, assurances, et autres frais liĂ©s au personnel. Un robot fonctionnant Ă lâĂ©nergie avec une maintenance minimale reprĂ©sente une solution Ă©conomique trĂšs attractive.
Nous sommes donc Ă un tournant oĂč, bien que de nouveaux mĂ©tiers apparaissent, lâimpact global sur lâemploi salariĂ© sera important. Tout le monde observe cette transformation avec attention, mais il est clair que les masses salariales seront profondĂ©ment affectĂ©es.
Un mot de la fin sur ces deux jours de forum ?
Nous avons constaté une participation trÚs diverse, venant de toute la région maghrébine, avec la présence de sociétés, de banques, de conseillers ainsi que de professeurs universitaires.
Durant la premiĂšre journĂ©e et une partie de la deuxiĂšme, les Ă©changes ont Ă©tĂ© particuliĂšrement riches et constructifs. Nous avons senti que ce forum arrive Ă un moment opportun. Par exemple, Afreximbank, en tant que banque africaine, dispose dĂ©jĂ dâexpĂ©riences dans la rĂ©gion, mais souhaite intensifier son action, notamment en sâinspirant du modĂšle dâintĂ©gration observĂ© dans dâautres rĂ©gions comme lâAfrique de lâOuest, oĂč les Ă©changes inter-pays atteignent 10 Ă 15 %.
Lâobjectif est de reproduire ce modĂšle dans notre rĂ©gion, ce qui rend ce forum dâautant plus pertinent. Nous espĂ©rons voir se multiplier les Ă©ditions de ce rendez-vous.
Je suis convaincu que la deuxiĂšme Ă©dition, prĂ©vue lâannĂ©e prochaine, bĂ©nĂ©ficiera dâune audience plus large et aura un impact encore plus fort. Surtout, si les recommandations formulĂ©es lors de cette premiĂšre Ă©dition â comme lâa promis la BMICE â sont prises en compte, nous pourrons mesurer les progrĂšs rĂ©alisĂ©s au cours de lâannĂ©e, Ă©valuer les actions menĂ©es et orienter les futures recommandations pour continuer Ă avancer.
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