Après une hausse estimée à 4,2% au 1er trimestre 2025, l’économie marocaine continuerait sa progression au 2e trimestre, avec une croissance attendue de 3,8%, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Cette dynamique serait tirée par la reprise de l’agriculture, la bonne santé des services, et la demande intérieure toujours soutenue.
Au début de 2025, les secteurs les plus dynamiques étaient les services (notamment l’hébergement), les industries extractives et la construction. L’agriculture aurait progressé de 3,1%, tandis que l’industrie manufacturière aurait ralenti, affectée par un contexte commercial mondial peu favorable.
La consommation des ménages, stimulée par la hausse des salaires et la baisse de l’impôt sur le revenu, aurait augmenté de 4,5%, malgré une inflation remontée à 2,2%, portée par les prix des produits alimentaires.
Sur le plan monétaire, Bank Al-Maghrib a poursuivi son assouplissement en baissant son taux directeur à 2,25% en mars. La masse monétaire a augmenté de 6,5%, soutenant la liquidité bancaire. Le dirham s’est apprécié face à l’euro (+4,2%) et au dollar (+1,1%).
Pour le 2e trimestre 2025, la croissance resterait solide, bien que des risques subsistent, notamment liés aux tensions commerciales mondiales et à la politique tarifaire américaine. Fitch Solutions prévoit d’ailleurs une accélération plus nette à moyen terme, avec 5,5% de croissance possible en 2026 grâce aux investissements et aux projets liés à la Coupe du Monde 2030.
L’économie américaine se trouve aujourd’hui à un point de rupture historique. Entre une dette fédérale vertigineuse, des taux d’intérêt élevés, un déficit budgétaire hors de contrôle et une inflation persistante, les marges de manœuvre de la première puissance mondiale s’amenuisent. Incapable de corriger ses déséquilibres par les outils budgétaires classiques, l’administration Trump serait tentée de recourir à des leviers monétaires non conventionnels : affaiblissement volontaire du dollar, restructuration sélective de la dette, voire lancement d’un crypto-dollar souverain. Mais ces choix — aux implications géopolitiques majeures — feraient peser un risque systémique inédit sur l’économie mondiale, en particulier sur celles des pays du Sud Global.
Yahya Ould Amar *
Ce basculement stratégique, inspiré de l’héritage du Plaza Accord, signale une redéfinition potentielle de l’ordre économique global, dans un climat politique américain profondément fragmenté, où la cohérence doctrinale et la discipline institutionnelle font défaut.
La conjonction d’un niveau élevé des taux d’intérêt, d’une inflation persistante et d’un endettement public historique — évalué à 36 500 milliards de dollars, dont 28 900 milliards arriveront à échéance au cours du mandat de Trump — réduit drastiquement la flexibilité budgétaire de l’administration américaine.
À ce fardeau s’ajoutent un déficit annuel de près de 1900 milliards de dollars et une charge d’intérêt estimée à près de 900 milliards de dollars par an. Or, avec un taux d’intérêt moyen actuel sur la dette fédérale de 2,7 %, la dette arrivant à maturité devra être refinancée à des conditions moins favorables, à des taux dépassant les 4%. Cette dynamique entraînera une hausse mécanique du service de la dette, qui pourrait passer de 900 milliards à plus de 1500 milliards de dollars par an dans les toutes prochaines années, exacerbant le risque d’effet boule de neige sur les finances publiques.
Economie sous contrainte, géopolitique sous pression
Dans ce contexte, les choix politiques, économiques et géostratégiques de Washington seront nécessairement subordonnés à une contrainte de soutenabilité budgétaire croissante, forçant l’administration Trump à arbitrer entre stabilité financière, ambition géopolitique et impératifs de croissance.
Certes, un ratio d’endettement public avoisinant aujourd’hui les 130% du PIB ne constitue pas, en soi, un facteur déclencheur immédiat de crise dans un monde où le dollar demeure la principale monnaie de réserve et où la demande pour les obligations du Trésor américain reste soutenue. Ce seuil ne devient véritablement critique qu’au-delà de 250%, niveau à partir duquel la confiance des marchés, à l’égard des États-Unis, pourrait vaciller, compliquant le financement des déficits et contraignant la Federal Reserve (FED) – la Banque centrale américaine – à des choix douloureux entre inflation, croissance et stabilité monétaire.
À ces vulnérabilités économiques majeures s’ajoutent des contraintes institutionnelles structurelles et une incertitude politique grandissante, nourrie par le caractère encore incertain des résultats de la politique économique menée à l’approche des élections de mi-mandat, prévues dans un an et huit mois. Ce scrutin, qui renouvellera l’ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants ainsi qu’un tiers des 100 sièges du Sénat, pourrait profondément reconfigurer les équilibres du pouvoir législatif et, partant, la capacité de l’exécutif à mettre en œuvre son agenda.
Le président Trump ne dispose ni d’un contrôle effectif sur le Congrès (élection de John Thune à la tête des sénateurs républicains, au détriment de Rick Scott, le préféré de Trump), ni d’un ascendant incontesté sur l’ensemble de son parti, limitant de facto sa capacité à abroger des textes structurants tels que l’Inflation Reduction Act – IRA (de nombreux États républicains bénéficient directement des investissements de l’IRA).
Cette fragilité politique est aggravée par une équipe économique fragmentée, où coexistent sans cohérence doctrinale des profils technocratiques, des faucons protectionnistes et des représentants des intérêts financiers de Wall Street.
En l’absence de vision stratégique unifiée en raison des clivages idéologiques et d’un pilotage institutionnel stabilisateur, les orientations économiques de l’administration Trump pourraient non seulement accentuer la volatilité macroéconomique dans le monde, mais aussi perturber l’équilibre financier international, dans un contexte où la prévisibilité et la cohérence des politiques publiques deviennent des actifs critiques.
La doctrine Trump : vers un affaiblissement monétaire assumé
Face à la dérive de l’endettement, les réponses classiques – relèvement des impôts, réduction des dépenses discrétionnaires, retour à une stricte discipline budgétaire – apparaissent insuffisantes, voire inopérantes. Le total des recettes fiscales fédérales s’élève à environ 5 000 milliards de dollars par an, un niveau structurellement insuffisant au regard des besoins budgétaires actuels. Même en envisageant une hausse théorique de 50% des impôts, hypothèse économiquement irréaliste et politiquement inapplicable, le déséquilibre fondamental des finances publiques américaines ne serait pas résorbé.
Faute de marges budgétaires et conscient de la position centrale du dollar dans l’ordre monétaire international offrant une latitude unique dont aucun autre pays ne dispose, l’attention de l’équipe économique de Trump se déplace alors vers les leviers monétaires et commerciaux.
Dans la vision qui semble se dessiner, Trump attribue l’érosion de l’économie américaine à un dollar structurellement surévalué, conséquence directe de son statut de monnaie de réserve mondiale, qui attire les capitaux internationaux mais pénalise la compétitivité industrielle des États-Unis. Ce déséquilibre, amplifié selon lui par les subventions injustes accordées à l’industrie dans des pays comme la Chine, aurait conduit à la désindustrialisation, à l’explosion des importations et à la perte d’emplois — un diagnostic qu’il conviendrait toutefois de nuancer : le taux de chômage américain demeure proche de 4%, soit un quasi plein emploi, et l’économie regorge d’emplois de qualité dans les secteurs non industriels à haute valeur ajoutée notamment les technologies de pointe.
À cela s’ajoute, dans sa lecture, le rôle stratégique des États-Unis en tant que garant de la sécurité mondiale, qui engendre un fardeau militaire croissant, financé par une dette publique soutenable uniquement grâce à la primauté du dollar.
Dans ce cadre, Trump considère qu’un affaiblissement volontaire du dollar, combiné à une limitation des importations et à un rééquilibrage du partage des dépenses de défense avec les alliés, permettrait de restaurer l’appareil productif national. Ceux qui refuseraient ces nouvelles règles du jeu seraient, selon cette doctrine, privés de la protection sécuritaire américaine.
Cependant, cette analyse fondée sur la seule appréciation du dollar apparaît aujourd’hui discutable. Si le billet vert a connu d’importantes fluctuations, l’indice du dollar (DXY), mesuré face à un panier de six grandes devises, se situe actuellement autour de 104, un niveau déprécié par rapport à celui de janvier 1971, où il culminait à 120.
Dévaluer pour dominer : l’héritage du Plaza
Cette vision n’est pas sans rappeler l’Accord du Plaza de 1985, lorsque les États-Unis, rejoints par la France, le Japon, l’Allemagne de l’Ouest et le Royaume-Uni, avaient coordonné leurs efforts pour provoquer une dépréciation du dollar, jugé alors excessivement fort. Ce précédent historique résonne aujourd’hui avec une acuité particulière, tant il semble offrir une grille de lecture intellectuelle aux orientations actuelles de la politique économique et stratégique américaine. L’affaiblissement délibéré du dollar, loin d’être une simple tactique conjoncturelle, s’inscrit de plus en plus clairement dans une doctrine cohérente visant à restaurer la compétitivité industrielle, rééquilibrer les charges géopolitiques et redéfinir les rapports de force commerciaux et sécuritaires.
Dans le contexte actuel de marchés financiers hautement interconnectés et dominés par des acteurs privés, tenter de piloter le niveau du dollar via une intervention concertée ou unilatérale serait infiniment plus complexe qu’à l’époque du Plaza Accord où la majorité des monnaies étaient encore administrées par les banques centrales et les marchés financiers jouaient un rôle beaucoup plus marginal dans les économies.
Pour mémoire, le volume des transactions sur le seul marché des changes équivaut, en à peine deux semaines, à l’intégralité du produit intérieur brut mondial annuel. Ce simple ordre de grandeur illustre à quel point les États ou banques centrales, malgré leur puissance nominale, pèsent peu face à la profondeur, la vitesse et la masse de feu des marchés financiers internationaux. Toute tentative de manipulation monétaire ou d’intervention unilatérale s’y heurte à des dynamiques systémiques largement hors de portée du contrôle public.
Les droits de douane
Les droits de douane instaurés par l’administration Trump apparaissent vraisemblablement comme le prélude à une stratégie plus large visant à refaçonner l’économie par le biais d’une dévaluation progressive du dollar, amorcée dès son arrivée au pouvoir. En combinant un retrait méthodique des engagements multilatéraux, des pressions accrues sur les partenaires traditionnels — notamment européens, canadiens, mexicains — ainsi que des incitations fiscales ciblées en faveur de l’investissement productif domestique, Trump initie une dynamique de désaffection relative envers le dollar.
Vers une restructuration de la dette américaine?
Dans ce contexte, une mesure encore hypothétique mais de plus en plus discutée à Washington serait une restructuration explicite de la dette publique américaine. Celle-ci pourrait prendre la forme, entre autres, d’une taxation des coupons obligataires perçus par les non-résidents, d’une réduction unilatérale des taux faciaux des obligations du Trésor américain. Une telle évolution remettrait en cause l’intégrité perçue d’un pilier central de l’architecture financière mondiale : la dette souveraine américaine, dont moins d’un tiers est actuellement détenue par des entités étrangères, mais qui demeure le principal actif de réserve à l’échelle planétaire. Le risque majeur réside dans le reflux des capitaux étrangers hors des Titres du Trésor qui provoquerait une hausse brutale des taux d’intérêt américains, se répercutant instantanément sur les taux de référence internationaux.
Dans la logique doctrinale de l’équipe Trump, une telle restructuration de la dette publique ne pourrait qu’être suivie d’une intervention massive sur les marchés des changes. Faute de consensus international, notamment avec les alliés et partenaires des Etats-Unis, la stratégie américaine pourrait alors basculer vers des mesures unilatérales coercitives, visant à restreindre les flux de capitaux entrants ou à taxer les achats étrangers de titres du Trésor américain. Si de telles actions contribueraient mécaniquement à affaiblir le dollar, elles exerceraient en revanche une pression haussière sur les taux d’intérêt américains, allant à rebours des objectifs de relance économique et de soutenabilité budgétaire.
Une autre option envisagée serait d’imposer aux détenteurs étrangers une conversion forcée de leurs titres en obligations du Trésor à très longue maturité — 50 ou 100 ans —, peu liquides, mais adossées à des lignes de swap de court terme mises en place par la Réserve fédérale (FED). Ce mécanisme, reposant sur des accords bilatéraux entre la FED et d’autres banques centrales, permettrait à ces dernières d’obtenir des dollars contre leur propre monnaie, avec engagement de rachat à une échéance convenue, au même taux de change, majoré d’un intérêt. Cette architecture viserait à lisser les tensions de liquidité, tout en forçant une extension de la duration de la dette détenue par les non-résidents.
Un fonds souverain pour peser sur la valeur du dollar
Parallèlement, l’administration pourrait également envisager la création d’un fonds souverain américain, financé par endettement ou réallocation budgétaire, dont l’objectif serait de procéder à des achats massifs d’actifs étrangers pour peser structurellement sur la valeur du dollar. Ce levier financier pourrait être combiné à des instruments de pression géopolitique — notamment tarifaires ou militaires — pour inciter, voire contraindre, des partenaires stratégiques tels que l’Europe, le Canada, le Japon, Taïwan, la Corée du Sud ou l’Arabie Saoudite à souscrire à des titres de dette à très long terme – 50 ou 100 ans.
L’inflation comme outil d’érosion discrète
Moins visible mais historiquement redoutablement efficace, l’approche qui consisterait à laisser l’inflation autour de 4% éroder progressivement la valeur réelle des dettes. Cette stratégie peut être pilotée de manière indirecte par des choix politiques : en exerçant une pression sur la Réserve fédérale pour qu’elle baisse ou limite les relèvements de taux, en nommant des gouverneurs favorables à une politique monétaire accommodante, et en façonnant un discours public centré sur la croissance et l’emploi. Trump a déjà demandé à la FED de faire baisser son taux directeur (Federal Funds Rate).
Monnaie digitale adossée aux titres du Trésor à échéance
Plus audacieuse, mais porteuse d’un potentiel stratégique considérable, l’introduction d’une monnaie digitale souveraine américaine adossée aux titres du Trésor à maturités longues : 50 ou 100 ans – un crypto-dollar officiel – représenterait une véritable innovation de rupture dans l’ordre monétaire international.
Conçue comme un instrument exclusivement garanti par la dette fédérale à très long terme, et accessible aux banques centrales étrangères via un réseau sécurisé, cette devise numérique consoliderait le rôle des obligations du Trésor sur 50 ou 100 ans en tant que collatéral de référence à l’échelle mondiale. Un tel dispositif constituerait un levier inédit de projection de la puissance monétaire américaine à l’ère numérique.
Dollar faible entre soulagement géopolitique et risque systémique
Toutefois, affaiblir significativement le dollar reviendrait sans doute à un renchérissement des prix à l’importation aux Etats-Unis mais aussi à une remontée brutale des taux d’intérêt domestiques avec un risque systémique de panique des marchés financiers s’ils venaient à douter de la solvabilité ou de la fiabilité du Trésor américain. Une telle rupture de confiance dégraderait profondément la crédibilité du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale et rendrait à terme insoutenable le service de la dette fédérale.
Certes, ces scénarios comportent des risques majeurs mais l’histoire économique est sans appel : les grandes crises systémiques surviennent non parce qu’aucune solution n’existe, mais parce que les dirigeants refusent d’embrasser la complexité et d’agir à temps. L’inaction équivaudrait à exposer l’économie mondiale à une crise évitable, dont le fardeau pèserait de manière disproportionnée sur les pays les plus vulnérables. Mais comment espérer bâtir un consensus international équilibré lorsque l’administration américaine actuelle récuse les principes mêmes du multilatéralisme?
Enfin, une politique américaine visant à affaiblir le dollar s’accompagnerait vraisemblablement d’un apaisement des tensions géostratégiques, notamment en mer de Chine ou au Moyen-Orient, afin de maintenir un climat de faible risque systémique.
En évitant de déclencher un effet refuge vers leurs propres actifs, les États-Unis chercheraient à limiter l’appréciation involontaire de leur monnaie. Si le coût d’une telle stratégie est porté à l’échelle globale, ses retombées, dans cette perspective, pourraient paradoxalement favoriser la stabilité internationale et contribuer à une forme de paix systémique, au moins temporairement.
Choc pour les économies du Sud Global
Si la vision de Trump, stratégiquement plausible, venait à concrétiser une politique américaine d’affaiblissement coordonné ou pas du dollar, les économies du Sud Global seraient en première ligne. Loin d’être un simple ajustement monétaire, ce projet représenterait une rupture majeure dans l’architecture économique mondiale, dont les conséquences se feraient sentir bien au-delà des frontières américaines.
La dépendance structurelle des économies du Sud au dollar — en tant que monnaie de facturation, d’endettement et de réserve — les rend particulièrement vulnérables à toute dévaluation du billet vert. Une telle évolution provoquerait une appréciation artificielle de nombreuses monnaies locales, détériorant leur compétitivité à l’export et réduisant la valeur réelle des réserves en dollars des pays. Dans les pays fortement dollarisés, cela se traduirait par une instabilité monétaire aiguë, une pression accrue sur les taux de change et des sorties de capitaux déstabilisatrices.
Resserrement financier au détriment du développement
En parallèle, l’un des axes clés de cette vision reposerait sur l’éviction des investisseurs étrangers des obligations du Trésor américain pour faire baisser la demande en dollar, via des mesures fiscales ou réglementaires. Ce retrait forcé ferait mécaniquement grimper les taux d’intérêt américains, avec un effet domino immédiat sur les taux mondiaux. Pour les pays en développement, cela signifierait un accès plus coûteux et plus restreint aux marchés internationaux de capitaux, une contrainte budgétaire renforcée, et des arbitrages douloureux entre service de la dette et investissement dans les priorités nationales.
À cela s’ajouteraient les retombées d’un climat commercial globalement plus conflictuel, caractérisé par le retour aux logiques bilatérales, les mesures de rétorsion et la fragmentation des chaînes d’approvisionnement — autant de facteurs qui affaibliraient l’intégration des pays du Sud dans le commerce mondial.
Fragmentation monétaire et recul du multilatéralisme
Enfin, au-delà de l’impact financier immédiat, la vision de Trump remettrait profondément en question les fondements du multilatéralisme économique. En substituant aux règles collectives une logique de rapports de force, les États-Unis fragiliseraient davantage encore des institutions déjà sous tension, comme l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale — précisément celles où les pays du Sud peuvent encore faire entendre leur voix. Sur le plan monétaire, la perte de confiance dans le dollar pourrait contraindre ces pays à diversifier leurs ancrages, sans qu’aucune alternative crédible (euro, yuan, monnaies régionales) ne soit véritablement prête. Ce processus, s’il est précipité, risque d’aboutir à une fragmentation monétaire désordonnée, propice aux crises de change et à l’érosion des régulations financières nationales.
Stratégie de positionnement
Au-delà de la sphère diplomatique, la réponse du Sud Global doit être financièrement structurante. Il s’agit d’accélérer la diversification des ancrages monétaires par la mise en place de mécanismes régionaux robustes : paniers de devises pour le commerce intra-Sud, fonds de réserves multilatéraux, et accords de swap entre banques centrales du Sud.
Simultanément, le développement de marchés de capitaux régionaux devient un levier indispensable pour réduire la dépendance au dollar : cela implique le renforcement des bourses régionales, la création ou la consolidation d’agences de notation indépendantes, et un soutien accru aux banques publiques de développement. Cette stratégie vise à accroître la souveraineté financière, à amortir les chocs liés à la hausse des taux internationaux, et à offrir aux économies du Sud une capacité de financement endogène, plus prévisible et mieux adaptée à leurs priorités structurelles. Il s’agit de bâtir une architecture économique plus résiliente, fondée sur la coopération Sud-Sud, l’innovation monétaire et la réduction des asymétries systémiques.
En somme, la doctrine émergente autour d’un dollar affaibli, d’un repli fiscal et d’un désengagement multilatéral marque une rupture avec l’ordre économique qui a prévalu depuis l’après-guerre. Si cette stratégie offre, à court terme, une illusion de réindustrialisation et de souveraineté budgétaire, elle ouvre en réalité la voie à une instabilité financière accrue, à une fragmentation monétaire mondiale et à une remise en cause des équilibres multilatéraux.
Pour les économies du Sud Global, l’enjeu est vital : il ne s’agit plus seulement de s’adapter, mais de construire une réponse proactive et coordonnée, afin de préserver leur souveraineté économique et d’éviter d’être les victimes collatérales d’une nouvelle ère de désordre financier international.
L’auteur de cet article, un économiste spécialiste en théorie monétaire et expert international, considère que la dernière décision prise par la Banque centrale de Tunisie (BCT) de réduire son taux directeur de 50%, va certes dans le bon sens, mais est de loin trop timide pour provoquer une reprise de confiance des investisseurs et une véritable bouffée d’oxygène pour les opérateurs économiques. L’article se termine par la proposition de mesures monétaires choc afin de relancer la croissance économique et sortir l’économie du marasme qu’elle connaît depuis plusieurs années. Son analyse, objective et basée sur les enseignements de la science économique, ne présage rien de bon si un tel électrochoc d’ordre monétaire n’est pas décidé dans les plus brefs délais, y compris s’il le faut par un décret présidentiel, pour remettre l’économie tunisienne sur les rails de la croissance économique et de la création d empois et de richesses.
Dr. Sadok Zerelli
Tous les opérateurs économiques, mêmes des observateurs et experts comme moi-même, attendaient avec impatience que la BCT se décide enfin à desserrer l’étau qu’elle maintenait sur les opérateurs économiques avec un taux directeur qu’elle a augmenté à huit reprises depuis la promulgation de la loi de 2016 qui lui accorde l’autonomie de décision, et l’a porté jusqu’à 8%, niveau auquel il se situe depuis deux ans. Ni la nomination d’un nouveau gouverneur, qui n’a fait que reconduire la politique de son prédécesseur, ni les pressions exercées par le Président de la République lui-même qui, bien que juriste de formation, a bien compris le caractère nocif d’un taux directeur aussi élevé et l’inefficacité de la politique monétaire menée par la BCT, sous le prétexte de lutter contre l’inflation, n’y ont rien fait
Finalement, la montagne a accouché d’une souris et la BCT a bien voulu baisser son taux directeur de 50%, le ramenant de 8% à 7,5%, comme si cette baisse infime va changer grand-chose dans le comportement des agents économiques et permettre de relancer les investissements, la création d’emplois et la croissance économique qui stagne depuis plusieurs années entre 1% et 2%, justement depuis que la BCT mène cette politique monétaire très restrictive basée sur une spirale d’accroissement de son taux directeur, dans l’espoir d’arriver à maîtriser l’inflation, objectif qu’elle a lamentablement échoué à atteindre puisque celle-ci avait plafonné à 11,3% et qu’elle demeure encore aujourd’hui relativement élevée (7% en 2024, pour un taux de croissance du PIB qui n’a pas dépassé 1,4% pour la même année, soit une baisse du pouvoir d’achat général et du niveau de vie de la population de 5,6% pour cette seule année).
Plus décevant encore est le fait que la BCT a baissé par le même communiqué le taux de rémunération de l’épargne de 50% aussi, le ramenant de 7% à 6,5% et annihilant ainsi du même coup le peu d’effet que pourrait avoir la baisse de 50% de son taux directeur.
En tant qu’économiste universitaire ayant enseigné pendant des années la théorie monétaire et expert international ayant plus de vingt ans d’expérience dans une trentaine de pays africains pour le compte de grands bailleurs de fonds (BAD, BEI, Banque Mondiale, UE…), je dénonce dans le présent article la timidité voire l’inefficacité de cette décision pour relancer les investissements et sortir l’économie nationale de sa torpeur et je propose à la fin de mon analyse les mesures choc d’ordre monétaire qu’il faudrait prendre, à mon avis, pour provoquer un véritable soubresaut et remettre notre économie sur le chemin de la croissance et de la création d’emplois et de richesses.
En introduction, je voudrais faire remarquer à l’attention de mes fidèles lecteurs et lectrices qui ont déjà lu un ou plusieurs de mes précédents articles sur ce même sujet (au moins une bonne quinzaine publiés depuis trois ou quatre ans dans Kapitalis) que la plupart des idées et arguments que je présente dans le présent article ne sont pas vraiment nouveaux, mais quitte à me répéter, j’en reprends un certain nombre pour argumenter le présent article et convaincre les plus sceptiques et les plus hauts responsables du pays de l’inefficacité et de la nuisance de la politique monétaire que la BCT mène depuis 2016, et de la pertinence des mesures que je propose à la place.
Pour la facilité de compréhension de mon analyse, je vais la présenter, dans le langage le plus simple et accessible au grand public, idée par idée ou argument par argument.
Argument 1 / La première fonction d’un Institut d’Emission est de financer l’activité économique
Fixer et inscrire dans le statut même de la BCT que sa première mission est la lutte contre l’inflation comme l’ont fait les députés qui ont élaboré et voté cette loi de 2016 est une preuve de leur ignorance totale des enseignements de la science économique et des mécanismes de base de financement d’une économie. Je leur rappelle que la théorie monétaire est une discipline universitaire qui s’enseigne dans toutes les facultés de sciences économiques du monde et dont certains spécialistes ont obtenu le prix Nobel en économie pour leurs travaux de recherche dans ce domaine. Ne s’improvise pas économiste qui veut, surtout spécialiste en économie monétaire, une des disciplines parmi les plus complexes et difficiles de la science économique, en particulier nos ex-législateurs en herbe.
Ces ex-députés amateurs en politique auraient dû savoir que la première responsabilité de la BCT est d’abord de veiller à la solvabilité de l’ensemble du système bancaire (en imposant à chaque banque de détenir un minimum de réserves obligatoires pour faire face à des demandes de retraits de dépôts), ensuite de mettre à la disposition de l’ensemble des agents économiques, y compris l’Etat, assez de liquidités pour leur permettre de financer leurs activités à travers ce qu’on appelle le processus de refinancement des banques commerciales (achat et vente de titres de créance publics et privés sur le marché monétaire, ce qu’on appelle des opérations d’open market). Sa responsabilité dans la lutte contre l’inflation n’arrive qu’en troisième position et se limite au contrôle de la masse monétaire en circulation et la fixation du taux directeur qui sert de base de calcul du taux du marché monétaire (TMM) qui lui-même sert de base de calcul des taux d’intérêt débiteurs que les banques appliquent à leurs clients (TMM + une marge bénéficiaire de 4 à 5 points selon les banques, soir 12 à 13% pour un taux directeur de 8%).
En matière de politique monétaire, ce qui est fondamental de savoir et que les responsables de notre banque centrale semblent ignorer, est que le taux directeur d’une banque centrale est LA variable de base qui détermine l’équilibre macroéconomique général dans une économie, en assurant l’équilibre simultané sur le marché des biens et services (tel que l’épargne est égale à l’investissement) et l’équilibre sur le marché monétaire (tel que l’offre de monnaie est égale à la demande de monnaie). Selon le niveau du taux directeur de la banque centrale, cet équilibre général peut correspondre à un équilibre de plein emploi sans chômage ou un équilibre de sous-emploi avec chômage involontaire, comme c’est le cas en Tunisie où la croissance économique n’a jamais été aussi faible et le chômage aussi élevé que depuis que la BCT a enclenché cette spirale infernale et stupide d’accroissement de son taux directeur (Je renvoie à ce sujet les responsables de notre BCT aux travaux de recherche et au modèle du type keynésien IS/LM développé par Hicks et pour lesquels il a reçu le Prix Nobel en économie).
Argument 2 / L’inflation n’est pas seulement un phénomène monétaire
Il n’est pas nécessaire d’être un éminent économiste ni l’un de ces «professeurs des universités» en sciences économiques qui n’ont que le titre et qui ne publient jamais aucun article, pour savoir qu’il existe quatre causes principales d’inflation, sur trois desquelles le taux directeur de la BCT ne peut avoir aucun effet. Cette réalité explique pourquoi, malgré les huit accroissements successifs auxquels la BCT a procédé depuis sept à huit ans jusqu’à le porter 8% depuis deux ans, celle-ci n’a jamais réussi à la ramener au niveau où elle était avant l’adoption de la loi de 2016 (4%) et l’inflation reste élevée encore aujourd’hui (7% pour 2024, après avoir atteint même 11,3% en 2022/2023).
Je dois faire remarquer à ce sujet que la baisse relative de l’inflation qu’on enregistre depuis deux ans n’est pas due au succès de la politique monétaire du taux directeur, comme les responsables de la BCT s’en vantent, mais à baisse de la demande intérieure en raison du blocage des salaires et de la baisse du pouvoir d’achat d’un côté, et de la détente des cours du pétrole et des matières premières sur le marché international de l’autre.
La première cause de l’inflation en Tunisie est le déséquilibre entre l’offre et la demande sur chacun des marchés de biens ou services. Lorsque l’offre globale (production locale plus importations,) diminue ou reste stable, alors que la demande globale (consommation intérieure plus exportation) augmente, les prix s’élèvent pour ajuster l’offre à la demande.
Ce phénomène est aggravé par l’opacité des circuits de distribution et les spéculateurs qui y sévissent à tous les niveaux.
Compte tenu du stress hydrique en Tunisie, de la baisse de la production agricole et des contraintes d’importations posées par la BCT pour préserver les réserves en devises pour pouvoir payer les échéances de la dette extérieure, on peut considérer que cette première cause est responsable d’au moins 30% ou 40% de l’inflation globale, sur laquelle le niveau du taux directeur ne peut avoir aucun effet.
Pire, en rendant le crédit plus cher pour les entreprises qui veulent investir et accroître leur production pour satisfaire la demande, on peut accuser cette politique du taux directeur élevé de générer et alimenter l’inflation au lieu de la combattre.
La deuxième cause de l’inflation est celle importée à travers notre commerce extérieur et qui est dû à l’accroissement des cours du pétrole et certaines matières premières et produits agricoles sur le marché international, aggravé par la dépréciation lente et continue du taux de change du dinar, qui est une résultante directe du déficit de notre balance des paiements.
Il est évident que le taux directeur de la BCT est impuissant pour lutter contre cette deuxième source de l’inflation qui est loin d’être négligeable compte de tenu de la grande ouverture de notre économie
La troisième cause est l’accroissement des coûts de production des entreprises, salaires, matières premières, taxes, etc. Là encore, en augmentant les taux d’intérêt et les charges de financement des entreprises les obligeant à les répercuter sur leurs prix de vente si elles ne veulent pas faire faillite, on peut accuser la politique du taux directeur élevé de la BCT de contribuer à créer de l’inflation au lieu de la combattre.
Il ne reste donc plus à mon sens que 10 ou 20% d’inflation qui est d’origine strictement monétaire que la BCT pourrait combattre en augmentant son taux directeur dans l’espoir que cela va réduire les crédits accordés par les banques et donc la masse monétaire en circulation, si les conditions de réussite de cette politique sont remplies, ce qui est loin d’être le cas comme je vais l’expliquer par la suite.
Argument 3 / Les conditions de réussite d’une politique de type monétariste ne sont pas réunies en Tunisie
L’ex-Gouverneur, qui est à l’origine de la loi d’indépendance de la BCT et qui l’a dirigée jusqu’à son remplacement il y moins d’un an, a appliqué sur recommandation du FMI (selon ses dires) et probablement sans le savoir (encore moins pour le nouveau qui n’est même pas un économiste spécialiste en économie monétaire mais en économie de l’énergie) une politique monétaire de type monétariste basée sur les enseignements de la théorie quantitative de la monnaie dont le chef de file est l’Américain Milton Friedmann.
Cette théorie repose sur une fameuse «Equation de Cambridge» qui stipule que lorsque la masse monétaire en circulation baisse suite à une augmentation du taux directeur (ou des réserves obligatoires imposées aux banques, une autre politique monétaire alternative), le niveau général des prix baisse automatiquement pour le même niveau de la production (PIB) si la vitesse de circulation de la monnaie reste constante à court terme (nombre de fois où un dinar change de mains durant une période de temps donnée,)
Or, en Tunisie cette condition fondamentale pour la réussite d’une politique monétaire de type monétariste n’est pas remplie à cause de l’importance du secteur informel ou de ce qu’on appelle l’économie souterraine (54% du PIB selon certains experts) où le volume et le nombre de transactions s’accroît à chaque fois que la BCT élève son taux directeur, obligeant davantage d’opérateurs économiques à recourir à des financements hors des circuits bancaires classiques. Les économistes appellent cela les mécanismes de transmission entre l’économie réelle et l’économie monétaire, qui sont d’autant plus faibles en Tunisie que, selon une étude de Fich Solutions, seuls 35% des Tunisiens disposent d’un compte courant bancaire ou postal.
Argument 4 | L’inefficacité de la politique d’«ajouter de l’eau, ajouter de la semoule»
Ce proverbe tunisien illustre bien à mon sens la politique monétaire appliquée par la BCT depuis qu’elle est indépendante, qui consiste à lutter contre l’inflation par un accroissement de son taux directeur qui lui-même contribue à créer davantage d’inflation (en rendant plus cher les crédits pour les entreprises qui veulent investir ou accroître leur production et en les obligeant à répercuter l’accroissement de leurs charges de financement sur leurs prix de vente si elles ne veulent pas faire faillite), ce qui engendre un autre accroissement du taux directeur…
Argument 5 | La baisse simultanée du taux de rémunération de l’épargne de 50% annule les effets possibles de la baisse de 50% du taux directeur
Dans l’un de mes articles, j’avais expliqué, analyse des agrégats macro-économiques à l’appui, que le problème numéro un de l’économie tunisienne, à l’origine de tous les autres (faiblesse des investissements, de la croissance économique, accroissement du chômage, de l’inflation, déficit de la balance des paiements, dépréciation du dinar, baisse du niveau de vie, etc.) est la faiblesse de l’épargne nationale qui est passée de 27% du PIB en 2010 à 6% actuellement. Une des causes principales est que depuis que l’inflation s’est emballée, soit pratiquement depuis 2017, le taux de rémunération de l’épargne est resté presque le même réduisant ainsi le taux de rémunération réel de l’épargne.
Or, les ménages ne sont pas dupes et même ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une école, comprennent instinctivement qu’ils n’ont pas intérêt à épargner parce qu’ils seront perdants en termes de pouvoir d’achat.
Pire, dans un contexte inflationniste comme celui que nous connaissons depuis plusieurs années, lorsque les opérateurs économiques n’ont pas confiance dans la capacité des autorités monétaires pour maîtriser l’inflation, ils ont tendance à accélérer leurs consommations à court terme parce qu’ils anticipent une inflation plus grande dans le futur (d’après la théorie des anticipations rationnelles de Lucas).
C’est exactement ce qui se passe en Tunisie où la consommation intérieure ne diminue pas malgré l’augmentation continue du taux directeur de la BCT et en conséquence des taux d’intérêt débiteurs appliqués par les banques commerciales à leurs clients. La seule résultante certaine de cette politique monétaire est une baisse de l’épargne et un accroissement de l’endettement des ménages et des entreprises.
Dans ce sens, je peux l’affirmer sans me tromper que la décision de baisser de 50% le taux de rémunération de l’épargne va à contre sens et annule les effets possibles sur le comportement des agents économiques de sa décision de réduire son taux directeur de 50% aussi.
La seule explication que personnellement je trouve (il y a toujours une explication derrière chaque décision, il suffit de bien chercher) est que la BCT tient à garder intacte la marge bénéficiaire des banques qui provient de la différence entre le taux de rémunération des dépôts d’épargne qu’elles reçoivent et le taux d’intérêt débiteur qu’elles appliquent à leurs clients. A partir du moment où elles seront obligées de répercuter la baisse de 50% du taux directeur sur leurs taux d’intérêts débiteurs, la baisse de 50% du taux de rémunération de l’épargne leur permet de préserver leurs marges bénéficiaires. Pour moi, c’est une preuve de plus que notre banque centrale est au service des lobbies bancaires avant d’être au service de l’économie nationale
Argument 6 | La politique monétaire alternative
A supposer que l’école de pensée monétariste à laquelle semblent adhérer consciemment ou pas l’ex comme le nouveau gouverneur de notre BCT soit juste (beaucoup d’économistes, comme moi-même, n’en sont pas convaincus – voir mon article où je présente les différentes écoles de pensées économiques et intitulé «Quel modèle de développement économique pour la Tunisie de Kais Saïed ?»), à savoir qu’il suffit de contrôler la masse monétaire en circulation pour contrôler l’inflation, les économistes monétaristes eux-mêmes, Friedmann en premier lieu, mentionnent clairement qu’il existe un autre moyen pour arriver à contrôler la masse monétaire en circulation : le taux de réserves obligatoires que les banques commerciales sont tenues de détenir, par des circulaires de la banque centrale
Il faut savoir à ce sujet qu’en Tunisie, environ 80% de la masse monétaire en circulation est sous forme de monnaie scripturale, c’est-à-dire de monnaie créée par les banques commerciales à l’occasion des crédits qu’elles accordent à leurs clients. Or, on démontre mathématiquement, que le processus de création monétaire par les banques commerciales est une suite algébrique qui converge vers l’inverse du taux de réserves obligatoires. Cela veut dire qu’augmentant par circulaire le taux moyen des réserves obligatoires des banques commerciales par exemple de 5% seulement, réduit automatiquement de 20 fois leur capacité de créer de la monnaie scripturale et gonfler ainsi la masse monétaire en circulation.
La question que tout un chacun(e) se pose est : puisque c’est si facile et plus efficace, pourquoi la BCT n’applique-t-elle pas cette politique des réserves obligatoires? La seule réponse que j’ai est que si elle le fait, les banques commerciales vont pouvoir accorder beaucoup moins de crédit et donc gagner beaucoup moins de bénéfices alors qu’en augmentant son taux directeur, les banques commerciales vont faire beaucoup plus de bénéfices, surtout à cause de cet article 25 de la loi de 2016 qui interdit au Trésor d’emprunter directement auprès de la banque centrale et l’oblige à émettre des bons du Trésor dont le taux de rémunération est d’autant plus élevé que le taux directeur de la BCT est élevé. C’est aussi simple et aussi choquant que cela. Un économiste qui enseigne et vit au Canada, Moktar Lamari pour ne pas le nommer, dont les analyses et conclusions rejoignent totalement les miennes, parle de «vampirisation» de l’économie nationale par le lobby bancaire avec la BCT à sa tête, un terme que je n’ai jamais entendu ou lu mais que je reprends à mon compte.
Aujourd’hui, la mode parmi les hauts responsables de l’Etat est de se cacher derrière telle ou telle commission, tel ou tel conseil d’administration ou structure administrative pour échapper à leurs responsabilités et ne pas subir les conséquences de leurs décisions. Cela permet aussi de donner l’impression au public que c’était la bonne décision à prendre puisqu’elle a été débattue et votée souvent à l’unanimité des membres de cette structure administrative ou CA.
Dans le cas de la BCT, aussi bien l’ex que le nouveau gouverneur excellent dans cet art dilatoire de responsabilité et commencent toujours la moindre déclaration par : le CA a décidé… comme s’ils ne sont eux-mêmes que les porte-paroles de leur CA et non pas des Gouverneurs payés 120 000 dinars par an avec Mercedes, chauffeur, etc., pour tracer et assumer la responsabilité de la politique monétaire à mener dans le pays.
A propos de ce mystérieux CA de la BCT, il faut savoir que la liste, les CV, et l’expérience de ses membres n’est jamais été publiée. C’est déjà une entorse de taille à la transparence des décisions prises par ce fameux CA. Tout ce qu’on sait est qu’ils sont une vingtaine, souvent des directeurs généraux d’administration nommés par leur ministre de tutelle pour représenter leurs départements ministériels au sein du CA de la BCT, en plus de trois économistes universitaires nommés par le Gouverneur lui-même ou sur sa proposition. A ce sujet, deux remarques s’imposent.
La première est que les différents directeurs généraux d’administration, membres du CA de la BCT, peuvent être très compétents dans leurs domaines respectifs (agriculture, industrie, commerce, transport, etc.) mais n’ont certainement pas une formation en économie monétaire suffisante pour savoir quelles sont les fondements théoriques de la politique monétaire qu’ils ont en train d’appliquer, quelles autres politiques monétaires possibles pour maîtriser l’inflation, quel est le rôle et l’impact du taux directeur non seulement sur l’inflation mais aussi sur le niveau auquel s’établit l’équilibre macroéconomique général, à quelles conditions l’équation de Cambridge, qu’ils sont en train d’appliquer et dont ils n’ont certainement jamais entendu parler, pourrait-elle réussir…
La deuxième remarque est que les trois économistes universitaires qui sont censés éclairer leur collègues non économistes sur les enseignements de la théorie monétaire et les différentes politiques monétaires possibles pour lutter contre l’inflation selon les différentes écoles de pensée économique (monétariste, keynésienne, néolibérale), sont nommés d’une façon opaque par le gouverneur sur la base d’affinités d’idées quand ce n’est pas de relations personnelles. Personnellement, cela m’intéresse beaucoup de savoir à travers la lecture de leurs publications scientifiques (au cas où ils en ont, ce qui n’est souvent pas le cas), s’ils appartiennent bien chacun à l’une de ces trois écoles et procèdent bien à des débats contradictoires avant de proposer à leurs collègues ou au gouverneur de prendre telle ou telle décision. Le philosophe allemand Hegel ne disait-il pas que c’est seulement de la contradiction que naît la vérité?
Argument 8 / Benchmark
Admettons que je ne comprends rien à l’économie monétaire et que Hicks ne méritait pas le Prix Nobel en économie qui lui a été décerné pour ses travaux de recherche sur lesquels je me base dans mes analyses, montrant sans équivoque le lien entre le taux directeur d’une banque centrale et le niveau auquel s’établit le niveau du PIB et donc le taux de croissance économique d’un pays, il y a quand même des comparaisons internationales (benchmark) qui parlent d’elles-mêmes.
Je ne vais pas citer des pays développés comme la Grande-Bretagne ou le Japon ou les Etats-Unis… des pays desquels des années lumières nous séparent tant en termes de transparence de leurs politiques monétaires que de compétence des gouverneurs de leurs banques centrales et des résultats qu’ils arrivent à obtenir, mais de pays proches et de taille et niveau de développement proches de la Tunisie.
Au Maroc, un pays où l’économie est basée essentiellement sur les phosphates, l’agriculture et le tourisme, comme la nôtre, le taux directeur de la banque centrale est de 2,25%, le taux d’inflation annuelle pour l’année 2024 est de 0,8% (ce n’est pas une erreur de frappe, je dis bien 0,8% par an et non pas par mois comme chez nous) et le taux de croissance économique est de 3,5% avec 3,9% attendu pour 2025 selon le FMI (contre, je le rappelle, un taux directeur de 7,5% selon la dernière décision de la BCT, un taux d’inflation officiel en 2024 de 7% et un taux de croissance de 1,4% en Tunisie).
Dans les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui partagent une monnaie commune, le «franc CFA» et une politique monétaire gérée par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), le taux directeur actuel est de 3,5%, le taux d’inflation en glissement annuel s’est établi à 2,6% en décembre 2024 et le taux de croissance du PIB réel pour la même année 2024 s’est établit à 6,2%.
Est-ce que ces dirigeants des banques centrales africaines, auxquels on a tendance à se croire supérieurs parce qu’on a la peau plus claire, sont plus compétents que les nôtres? Il y a lieu de le croire. En tout cas, moi je le crois sur la base de leurs performances en matière de bonne gouvernance économique par rapport à celles de nos responsables.
Conclusion
Pour cet article, j’ai deux conclusions, l’une est sérieuse et professionnelle et l’autre est humoristique.
Sur le plan professionnel, je considère d’après ma formation d’économiste, mon suivi régulier de tous les indicateurs et agrégats macro-économiques et mon expérience internationale, que notre économie est non seulement malade mais elle est même mourante (je ne lui donne pas plus de trois ou quatre ans de survie, avant la banqueroute de l’Etat, le défaut de paiement et le passage devant les créanciers des clubs de Paris pour négocier le rééchelonnement la dette publique et celui de Londres pour la dette privée, avec à la clé une explosion sociale à côté e laquelle la révolté du pain de1980 et la révolution de 2011 apparaîtront comme des incidents mineurs).
Or, quand quelqu’un est mourant, le seul espoir de le sauver est un électrochoc. Dans le cas de notre économie, cet électrochoc doit consister à mon avis en une baisse de 4 points du taux directeur pour le ramener à 3,5%, simultanément qu’une augmentation de 4 points du taux moyen de réserves obligatoires des banques pour limiter drastiquement leur capacité à créer de la monnaie et une augmentation de 2 points du taux de rémunération de l’épargne pour le porter à 8,5% et encourager l’épargne, source de l’investissement, de la création d’emplois et de croissance économique.
Je parie publiquement tous mes diplômes obtenus de trois des meilleurs universités du monde (Sorbonne, et Dauphine en France et MIT aux Etats-Unis) et mes vingt ans d’expérience internationale dans une trentaine de pays, que dans délai six mois au maximum, les opérateurs économiques reprendront confiance, les investissements et la croissance économique seront relancés et le sang recommencera à couler dans les veines de notre économie. Si le Gouverneur de la BCT et son CA ne veulent pas prendre ces mesures, c’est au président Kaïs Saïed, premier responsable du pays et du sort de son économie, de le faire par décret présidentiel s’il le faut.
Ma conclusion d’ordre humoristique est basée sur un article que j’avais publié il y a deux ans environ dans cette même magazine Kapitalis intitulé «La politique monétaire de la BCT jugée par l’IA». Dans cet article, j’avais reproduit la réponse intégrale de ChatGPT 4 à la question que je lui avais posée d’évaluer la politique monétaire suivie par notre banque centrale. J’avais été frappé et même impressionné par la pertinence de sa réponse, la profondeur de son analyse et la perspicacité de ses conclusions qui rejoignaient totalement les miennes. Il a reconnu que la politique monétaire suivie par la BCT est d’ordre monétariste, basée sur la théorie quantitative de la monnaie et l’équation de Cambridge dont il a reproduit la formule exacte et expliqué la signification de chacun des paramètres ainsi que les hypothèses sous-jacentes pour son succès. Il a identifié que ces hypothèses ne se vérifient pas en Tunisie à cause de l’importance du secteur informel qui affaiblit le mécanisme de transmission entre l’économie réelle et l’économie monétaire… Ainsi, sans avoir jamais mis les pieds en Tunisie (puisqu’il n’en a pas !), il semble connaître la structure de l’économie tunisienne et la sociologie de sa population mieux que les responsables de notre BCT qui y vivent!
D’où m’est venue l’idée de proposer au Président Kais Saïed de nommer comme Gouverneur de la BCT Monsieur ChatGPT (ou Mme l’IA, pour ne pas être accusé de sexisme). Lui au moins, il n’aurait pas besoin d’un salaire annuel de 120 000 dinars, d’une Mercedes avec chauffeur, d’une autre voiture pour sa femme et ses enfants (puisqu’ il n’en a pas) et de billets en classe affaires pour ses allers et retours à Washington ou Davos. Les opérateurs économiques seront contents puisqu’ ils auront moins d’intérêt à payer sur leur crédit, la croissance économique reprendra, les chômeurs trouveront du travail et le budget de l’Etat fera l’économie du salaire et avantages du Gouverneur. Que demande le peuple ?
PS : Ceux et celles que la morosité de l’actualité économique, politique et culturelle dans notre pays déprime comme elle me déprime, peuvent visiter mon blog «Poèmes de la vie» pour y lire des poèmes d’ordre métaphysique où je laisse mon esprit voyager dans le temps et l’espace à la recherche de sérénité et de sens de notre passage éphémère sur cette belle planète qu’on appelle la Terre, un grain de sable dans l’immensité de l’univers…