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Tunisie | Bras-de-fer entre pouvoir exécutif et opposition démocratique

Le Centre pour le respect des libertĂ©s et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT) a publiĂ© un rapport dĂ©taillĂ© sur l’audience du 11 avril 2025 dans l’affaire dite du «complot contre la sĂ»retĂ© de l’État» sous le titre «Une justice d’exception au service de la rĂ©pression politique». Nous le reproduisons ci-dessous


Mobilisation devant le tribunal et verrouillage policier / L’audience du 11 avril 2025 s’est dĂ©roulĂ©e dans un climat lourd, symptomatique d’un procĂšs politique transformĂ© en bras-de-fer entre le pouvoir exĂ©cutif et l’opposition dĂ©mocratique tunisienne. Tandis qu’à l’intĂ©rieur du tribunal les dĂ©bats judiciaires Ă©taient censĂ©s avoir lieu, Ă  l’extĂ©rieur, la rue vibrait de slogans dĂ©nonçant une mascarade judiciaire.
DĂšs l’aube, des familles de dĂ©tenus politiques, figures de l’opposition, militants de la sociĂ©tĂ© civile et journalistes se sont rassemblĂ©s devant le palais de justice de Tunis pour dĂ©noncer la nature politique du procĂšs.

L’accĂšs Ă  la salle d’audience leur a cependant Ă©tĂ© massivement refusĂ©, Ă  l’exception d’un membre par famille. Ce filtrage discriminatoire s’est doublĂ© de manƓuvres policiĂšres visant Ă  intimider les manifestants pacifiques, notamment par un quadrillage renforcĂ© des abords du tribunal et des dispositifs d’empĂȘchement physique de l’entrĂ©e.
Des cris se sont Ă©levĂ©s pour exiger la transparence du procĂšs, l’annulation des comparutions Ă  distance et la libĂ©ration des dĂ©tenus. Ce mouvement de protestation a Ă©tĂ© soutenu par plusieurs leaders politiques, dont Ahmed NĂ©jib Chebbi, qui a dĂ©noncĂ© la volontĂ© du rĂ©gime de «terroriser l’opposition» et d’imposer une culture de la peur.
Les manifestants ont brandi des photos des détenus, scandé des slogans réclamant un procÚs équitable, tandis que les avocats ont confirmé leur refus de participer à une audience sans la présence physique des accusés. Les autorités judiciaires ont maintenu le dispositif de comparution à distance décidé dÚs la premiÚre audience du 4 mars.

Une audience entre huis-clos et entraves mĂ©diatiques / Les conditions rĂ©elles d’accĂšs ont rendu cette audience de fait fermĂ©e. Plusieurs journalistes – dont Zied El Heni, Khawla Boukrim, Monia Arfaoui, Lotfi Hajji – ont Ă©tĂ© empĂȘchĂ©s d’y assister.
Les reprĂ©sentants des organisations nationales ont Ă©galement Ă©tĂ© tenus Ă  l’écart, tandis que seuls les reprĂ©sentants de chancelleries occidentales ont Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă  y assister. Étaient notamment prĂ©sents des dĂ©lĂ©guĂ©s des ambassades de France, d’Allemagne, du Canada, de Belgique, des Pays-Bas et de l’Union europĂ©enne. Ce traitement diffĂ©renciĂ© a Ă©tĂ© largement perçu comme une tentative de contrĂŽle de l’image Ă  l’international tout en muselant les relais locaux critiques.

Refus collectif de la visioconfĂ©rence et paralysie procĂ©durale / L’audience a Ă©tĂ© dominĂ©e par le refus des dĂ©tenus politiques de comparaĂźtre Ă  distance depuis leur lieu de dĂ©tention. Les avocats ont unanimement soutenu que cette mĂ©thode viole l’article 141 bis du Code de procĂ©dure pĂ©nale tunisien, en particulier l’exigence d’un consentement prĂ©alable du prĂ©venu, d’une motivation Ă©crite et d’une dĂ©cision judiciaire individualisĂ©e, toutes absentes dans ce dossier.
Cette comparution Ă  distance a Ă©tĂ© qualifiĂ©e de «simulacre de procĂšs» relevant plus d’une opĂ©ration de communication politique que d’un vĂ©ritable dĂ©bat judiciaire.
Me Abdelaziz Essid a dĂ©clarĂ© Ă  l’AFP : «Nous refusons de plaider dans ces conditions et nous ne voulons pas ĂȘtre les tĂ©moins complices de cette parodie.»
Me Ayachi Hammami a ajoutĂ© : «Par solidaritĂ© avec les dĂ©tenus, nous refusons Ă©galement d’intervenir Ă  distance.»

Des accusĂ©s Ă  l’étranger rĂ©clament Ă  ĂȘtre auditionnĂ©s / Deux des inculpĂ©s rĂ©sidant Ă  l’étranger, en l’occurrence Mohamed Kamel Jendoubi et Ridha Driss, traduits sans avoir Ă©tĂ© auditionnĂ©s lors des phases d’enquĂȘte et d’instruction, ont demandĂ© Ă  ĂȘtre entendus dans cette audience, en tant qu’accusĂ©s mais aussi comme tĂ©moins, par visioconfĂ©rence. Ils ont invoquĂ© l’application de l’article 73 de la loi organique antiterroriste qui permet ce type de procĂ©dure si l’intĂ©rĂȘt de la justice le justifie.

Situation critique des dĂ©tenus : grĂšves de la faim et maltraitance / Un autre moment marquant de cette audience fut la dĂ©claration de Me Dalila Msadek indiquant que cinq dĂ©tenus Ă  Mornaguia, Ă  savoir Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj, Khayem Turki, Issam Chebbi et Abdelhamid Jelassi, ainsi que Jaouhar Ben Mbarek Ă  Belli (Nabeul), sont en grĂšve de la faim – ce dernier depuis plus de 13 jours – pour protester contre la comparution Ă  distance et l’interdiction de s’exprimer devant leurs juges.
Cette grĂšve de la faim est l’expression ultime de la volontĂ© d’ĂȘtre entendus dans un procĂšs oĂč le pouvoir tente d’étouffer toute voix dissonante. Elle est aussi un cri d’alarme face Ă  des conditions de dĂ©tention inhumaines.

Un procĂšs sans lĂ©gitimitĂ© judiciaire ni morale / L’instruction du dossier repose sur des tĂ©moignages anonymes, des accusations sans preuves matĂ©rielles, des interpellations spectaculaires sans mandat et une absence totale de contre-interrogatoire des tĂ©moins-clĂ©s.

L’ancien juge d’instruction, dĂ©sormais en fuite, et le chef de la police judiciaire, aujourd’hui incarcĂ©rĂ©, illustrent la fragilitĂ© institutionnelle de l’affaire.
La composition mĂȘme du tribunal est jugĂ©e illĂ©gale et inconstitutionnelle. En effet, la chambre criminelle en charge du dossier a Ă©tĂ© constituĂ©e par simple note administrative Ă©mise par la ministre de la Justice, en contradiction manifeste avec les dispositions du dĂ©cret-loi n° 11-2022 relatif au Conseil supĂ©rieur de la magistrature, qui stipule que les juges doivent ĂȘtre dĂ©signĂ©s selon des mĂ©canismes indĂ©pendants garantissant l’impartialitĂ© de la justice.
La dĂ©fense a ainsi mis en cause la lĂ©gitimitĂ© de l’ensemble du bureau du tribunal, composĂ© des magistrats suivants : LassĂąd Chamakhi (prĂ©sident), Moez El Gharbi, Ahmed Barhoumi, Fatma Boukattaya, Afef BetaĂŻeb.
La défense et les experts ont dénoncé publiquement cette composition, affirmant devant la cour que ses décisions seront sans valeur et que cette mascarade judiciaire sera inévitablement corrigée une fois la légalité restaurée.

Maitre Bassam Trifi a dĂ©clarĂ© : «On ne peut pas qualifier ce procĂšs de procĂšs Ă©quitable. Il comporte de nombreuses irrĂ©gularitĂ©s
 Des citoyens, des reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile, des journalistes et les familles des accusĂ©s ont Ă©tĂ© empĂȘchĂ©s d’assister Ă  l’audience. Or, la publicitĂ© des dĂ©bats est un pilier fondamental et essentiel du procĂšs Ă©quitable. Les personnes concernĂ©es par ce dossier, dĂ©tenues et menacĂ©es de lourdes peines, sont les premiĂšres Ă  avoir le droit d’ĂȘtre prĂ©sentes Ă  l’audience. Les avocats ont respectĂ© le tribunal, mais le tribunal ne nous a pas respectĂ©s, car il nous est demandĂ© de plaider alors que nos clients ne sont pas prĂ©sents dans la salle. Sous Ben Ali, nous avons assistĂ© Ă  de nombreuses affaires oĂč tous les accusĂ©s Ă©taient amenĂ©s, y compris certains transportĂ©s en raison de leur Ă©tat de santĂ©. MĂȘme dans l’affaire de Soliman, oĂč les accusĂ©s avaient pris les armes contre l’État, ils ont Ă©tĂ© amenĂ©s en personne Ă  l’audience. Idem pour d’autres affaires comme celles du Bardo ou de l’attentat de l’Imperial Sousse
 Et aujourd’hui, dans l’affaire du ‘‘complot’’, on refuse de faire comparaĂźtre les accusĂ©s dans la salle d’audience. C’est pourquoi nous avons dĂ©cidĂ© de ne pas entrer dans le fond de l’affaire tant que les accusĂ©s ne seront pas physiquement prĂ©sents Ă  l’audience.»

Une justice instrumentalisĂ©e Ă  des fins de rĂ©pression / Comme l’ont soulignĂ© plusieurs avocats et observateurs, l’objectif de ce procĂšs n’est pas de juger des crimes rĂ©els, mais de criminaliser l’opposition politique. Les accusations de «complot», «terrorisme», ou «atteinte Ă  la sĂ©curitĂ© de l’État» visent des figures dĂ©mocratiques connues pour leur attachement Ă  l’action politique pacifique : avocats, syndicalistes, universitaires, anciens ministres, journalistes.
KaĂŻs SaĂŻed, en qualifiant publiquement les accusĂ©s de «terroristes» et en affirmant que «quiconque les acquitte est leur complice», a minĂ© d’avance toute prĂ©somption d’innocence et toute possibilitĂ© d’un procĂšs Ă©quitable.
Le prĂ©sident accuse Ă©galement certains d’entre eux de «collusion avec des diplomates Ă©trangers», des contacts que la dĂ©fense qualifie de parfaitement normaux dans le cadre du travail politique et associatif.

Une crise judiciaire rĂ©vĂ©latrice de la dĂ©rive autoritaire / Au-delĂ  de ses irrĂ©gularitĂ©s, ce procĂšs rĂ©vĂšle une crise plus large du systĂšme judiciaire tunisien : perte d’indĂ©pendance, immixtion de l’exĂ©cutif, dĂ©signation arbitraire des juges, censure de la presse et criminalisation de l’opinion. Il illustre la descente aux enfers de l’État de droit depuis le 25 juillet 2021.
L’audience du 11 avril 2025 a confirmĂ© que l’«affaire du complot» est une opĂ©ration politique de rĂ©pression de la dissidence menĂ©e Ă  coups de lois d’exception et de procĂ©dures bĂąclĂ©es. Ce n’est pas seulement un procĂšs contre quarante individus, mais un procĂšs contre l’opposition et l’idĂ©e mĂȘme de l’État de droit et de la dĂ©mocratie.

La communauté nationale et internationale doit se mobiliser pour exiger
– la fin des comparutions à distance;
– la libĂ©ration des prisonniers politiques;
– le respect des garanties d’un procĂšs Ă©quitable;
– l’arrĂȘt de la rĂ©pression des opposants.

Il est Ă  rappeler que la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples a ordonnĂ© Ă  la Tunisie, dans l’affaire n° 04/2023, des mesures provisoires concernant le dĂ©tenu politique Ghazi Chaouachi depuis le 28 octobre 2023, relatives aux droits les plus fondamentaux Ă  la dĂ©fense et aux soins mĂ©dicaux. L’État tunisien ne s’est pas contentĂ© d’ignorer cette dĂ©cision : il a osĂ© demander le retrait de ces mesures sous prĂ©texte d’avoir retirĂ© la dĂ©claration dĂ©posĂ©e en 2017 au sens de l’article 34.6 du Protocole de la Cour africaine.
Par ailleurs, le Groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a qualifiĂ© la dĂ©tention de Khayem Turki, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhadj, Noureddine Bhiri, Jaouhar Ben Mbarek, ChaĂŻma Issa et Lazhar Akremi d’arbitraire et a invitĂ© les autoritĂ©s tunisiennes Ă  les libĂ©rer et Ă  les indemniser.

Audience Ă©courtĂ©e, vĂ©ritĂ© censurĂ©e, dĂ©fense debout / Le ministĂšre public s’en est remis Ă  la chambre pour statuer sur la possibilitĂ© de faire comparaĂźtre les accusĂ©s lors de la prochaine audience, tout en s’opposant Ă  toutes les demandes de libĂ©ration.
L’audience s’est achevĂ©e de maniĂšre abrupte, alors mĂȘme que les avocats plaidaient encore pour la prĂ©sence des dĂ©tenus dans la salle. Ce fut un jour emblĂ©matique de la nĂ©gation du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable, public et contradictoire. Un jour oĂč s’est dĂ©voilĂ©e la peur d’un rĂ©gime face Ă  la vĂ©ritĂ©. Un jour, aussi, oĂč l’on a tentĂ© d’abuser de la conscience collective des Tunisiennes et des Tunisiens.
Le procĂšs a Ă©tĂ© reportĂ© au 18 avril 2025 / Mais ce fut surtout un jour de dignitĂ©, portĂ© par la tĂ©nacitĂ© et l’engagement exemplaire d’une dĂ©fense qui ne recule pas lorsqu’elle dĂ©fend des causes justes.

Communiqué.

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Tunisie | Six détenus politiques exigent le droit à un procÚs équitable

Nous reproduisons ci-dessous le communiquĂ© publiĂ© Ă  Tunis, le 8 avril 2025, par six dĂ©tenus politiques de l’affaire dite du «complot contre la sĂ»retĂ© de l’Etat», qui ont entamĂ© une nouvelle grĂšve de faim pour exiger le droit Ă  un procĂšs Ă©quitable.    

Nous, personnes injustement poursuivies dans ce que l’on appelle l’affaire du complot contre la sĂ»retĂ© intĂ©rieure et extĂ©rieure de l’État, et face Ă  l’obstination des autoritĂ©s Ă  maintenir une politique d’opacitĂ© visant Ă  masquer les falsifications et Ă  dissimuler la vĂ©ritĂ©, en protestation contre notre exclusion du procĂšs aprĂšs plus de deux annĂ©es de dĂ©tention arbitraire, de privation du droit de contester les fausses accusations et les procĂšs-verbaux falsifiĂ©s, et en rĂ©affirmant notre refus de voir le ministĂšre de la Justice continuer de gĂ©rer le dossier en interdisant toute couverture mĂ©diatique, en ayant recours Ă  des tĂ©moins anonymes et en organisant un procĂšs dĂ©pourvu des garanties minimales d’un procĂšs Ă©quitable, et en nous accrochant Ă  nos droits lĂ©gitimes et Ă  notre responsabilitĂ© nationale, nous annonçons ce qui suit :

– nous entamons une grĂšve de la faim ;

– nous rejetons catĂ©goriquement toute participation Ă  une procĂ©dure judiciaire qui ne respecte pas les conditions Ă©lĂ©mentaires d’un procĂšs Ă©quitable et refusons donc de comparaĂźtre Ă  distance Ă  ces audiences simulĂ©es;

– nous appelons les forces nationales, les organisations de la sociĂ©tĂ© civile et toutes les consciences libres Ă  Ă©lever leur voix contre l’instrumentalisation de la justice Ă  des fins de rĂ©pression politique et Ă  dĂ©fendre le droit du peuple tunisien Ă  la libertĂ© et Ă  la dĂ©mocratie;

– nous saluons le rĂŽle jouĂ© par nos comitĂ©s de dĂ©fense et appelons l’ensemble des avocats Ă  poursuivre leur mobilisation contre l’injustice et pour le droit Ă  un procĂšs Ă©quitable.

Signataires :
Issam Chebbi
Abdelhamid Jelassi
Khayam Turki
Ridha Belhaj
Ghazi Chaouachi
Jaouhar Ben Mbarek (en grĂšve de la faim depuis le 30 mars 2025).

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