Face Ă une triple urgence climatique, Ă©conomique et technologique, la Tunisie tente de sortir du discours pour passer Ă lâaction. Lors dâun atelier international tenu Ă lâAcadĂ©mie diplomatique de Tunis chercheurs, dĂ©cideurs et partenaires internationaux ont confrontĂ© idĂ©es et rĂ©alitĂ©s autour dâun thĂšme central : comment lâintelligence artificielle peut devenir un levier concret de durabilitĂ© dans un pays oĂč la transition Ă©conomique peine Ă se concrĂ©tiser depuis 2011 ?
OrganisĂ©e Ă lâAcadĂ©mie diplomatique de Tunis, la rencontre a permis de jeter les bases dâun dialogue stratĂ©gique et technique autour de lâintĂ©gration de lâIA dans les politiques publiques liĂ©es Ă la transition Ă©nergĂ©tique, Ă la rĂ©silience climatique et au dĂ©veloppement durable.
Pour rappel, Simon Stiell, secrĂ©taire exĂ©cutif dâONU Climat, dĂ©clarait au COP28 Ă DubaĂŻ, en 2023 : « Il est de plus en plus Ă©vident que lâintelligence artificielle peut sâavĂ©rer un instrument prĂ©cieux dans la lutte contre les changements climatiquesâŠLe Grand dĂ©fi de lâinnovation constitue une avancĂ©e prometteuse dans lâexploitation du pouvoir de lâIA et lâautonomisation des innovateurs dans les pays en dĂ©veloppement. ».
« La Tunisie ne peut se permettre de rater la rĂ©volution de lâintelligence artificielle. Elle reconfigure dĂ©jĂ les Ă©quilibres Ă©conomiques et gĂ©opolitiques mondiaux : y prendre part, câest choisir de rester dans la course. » â Sami Ben Jannet, Directeur GĂ©nĂ©ral de lâITES
Un message reçu cinq sur cinq par plusieurs pays du Sud, dont la Tunisie, qui voit dans lâIA un outil stratĂ©gique de transformation. Une vision portĂ©e par lâInstitut Tunisien des Ătudes StratĂ©giques (ITES) dont le DG, Sami Ben Jannet, a clĂŽturĂ© les travaux avec un message fort : « La Tunisie ne peut se permettre de manquer la rĂ©volution marquĂ©e par lâIA, qui est en train de reconfigurer en profondeur lâĂ©conomie mondiale, les Ă©quilibres gĂ©opolitiques et les modes de vie des citoyens. »
LâITES, bras analytique de la PrĂ©sidence de la RĂ©publique, Ćuvre depuis 2020 Ă bĂątir une vision stratĂ©gique de long terme, guidĂ©e par une triple exigence : produire du savoir, structurer la dĂ©cision publique, et anticiper les mutations globales.
Trois transitions pour un nouveau modÚle de développement
Trois transitions pour un nouveau modĂšle de dĂ©veloppement dont le socle est lâinteraction de trois transitions majeures : Transition Ă©nergĂ©tique, nĂ©cessaire pour rĂ©duire la dĂ©pendance aux Ă©nergies fossiles, transition Ă©cologique, indispensable face Ă la crise climatique et Ă la rarĂ©faction des ressources et la transition numĂ©rique, un levier dâinnovation, de performance et dâinclusion : « Il est impĂ©ratif de repenser notre modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique et social, devenu obsolĂšte et non adaptĂ© aux enjeux de lâavenir », a assurĂ© M.Ben Jannet.
A lâITES nombreux sont les chantiers engagĂ©s : des Ă©tudes et projets structurants, parmi lesquels la digitalisation : perçue comme moteur de transparence, de performance publique, et de croissance inclusive, lâagriculture et le climat appelant une rĂ©flexion sur la rĂ©silience face aux stress hydriques et aux enjeux de souverainetĂ© alimentaire, la souverainetĂ© sanitaire, alimentaire et Ă©nergĂ©tique : considĂ©rĂ©es comme les piliers de la rĂ©silience nationale post-crise, et plus important que tout une rĂ©forme Ă©ducative axĂ©e sur le savoir et la science, lâĂ©quitĂ©, lâinnovation, la gouvernance, et la citoyennetĂ©.
« Il devient de plus en plus Ă©vident que lâintelligence artificielle nâest pas seulement un outil technologique, mais un accĂ©lĂ©rateur de solutions face aux urgences climatiques, Ă©conomiques et sociales. » â Simon Stiell, SecrĂ©taire exĂ©cutif dâONU Climat, COP28
Lâimportance de lâagilitĂ© Ă©conomique, des finances publiques Ă©quilibrĂ©es ainsi que des chaĂźnes de valeur et des leviers dâinvestissement stratĂ©gique sont aujourdâhui une nĂ©cessitĂ© pour un renouveau Ă©conomique. Quant Ă la transition Ă©nergĂ©tique, elle doit ĂȘtre abordĂ©e dans toutes ses dimensions : technologie, gouvernance et justice sociale.
Alimenter les choix de transformation de la Tunisie, oui mais comment?
Pour les intervenants au sĂ©minaire, un pont entre la recherche stratĂ©gique et la mise en Ćuvre concrĂšte des rĂ©formes est indispensable. La journĂ©e de rĂ©flexion a mis en lumiĂšre les faiblesses actuelles de lâĂ©cosystĂšme tunisien devenues une litanie tant on les rĂ©pĂšte Ă longueur dâannĂ©es de mois et de jours : un cadre rĂ©glementaire insuffisamment adaptĂ© aux nouvelles technologies, un dĂ©ficit en compĂ©tences spĂ©cialisĂ©es dans lâIA appliquĂ©e Ă lâenvironnement, des infrastructures technologiques limitĂ©es, des financements encore faibles pour les projets innovants Ă fort impact.
Face à ces obstacles, une co-construction de solutions, autour de feuilles de route réalistes, orientées vers des résultats mesurables est incontournable.
« Il est impĂ©ratif de repenser notre modĂšle Ă©conomique et social. Celui hĂ©ritĂ© des dĂ©cennies passĂ©es ne rĂ©pond plus aux dĂ©fis actuels. LâIA, si elle est bien encadrĂ©e, peut en ĂȘtre la clĂ© de voĂ»te. » â Sami Ben Jannet, ITES
Il faut rappeler Ă ce propos le âRapport national sur le climat et le dĂ©veloppement en Tunisie (CCDR)â* publiĂ© par la Banque mondiale en amont de la COP28 et qui dresse un constat sans dĂ©tour : la Tunisie est confrontĂ©e Ă des menaces climatiques graves, notamment la pĂ©nurie dâeau, lâĂ©rosion de son littoral et la montĂ©e des risques dâinondation.
AlignĂ© sur les prioritĂ©s nationales en matiĂšre de transition Ă©cologique, ce rapport appelle Ă des mesures urgentes dâadaptation et de dĂ©carbonation. Au-delĂ de la rĂ©ponse climatique, le CCDR mise sur une approche intĂ©grĂ©e : les actions proposĂ©es visent aussi Ă relancer lâĂ©conomie, crĂ©er des emplois et renforcer la rĂ©silience des populations et des entreprises. Il met en avant les leviers politiques et les opportunitĂ©s dâinvestissement qui permettraient de transformer ces dĂ©fis en moteurs de dĂ©veloppement. Le rapport insiste sur la nĂ©cessitĂ© dâune stratĂ©gie globale, combinant adaptation et rĂ©duction des Ă©missions, en particulier dans le secteur de lâĂ©lectricitĂ©. Une telle dĂ©marche pourrait, selon ses projections, stimuler la croissance du PIB, rĂ©duire la pauvretĂ©, et faire chuter les Ă©missions Ă©nergĂ©tiques.
Lancement dâune plateforme de vulgarisation : âEco Tousâ
Pour une stratĂ©gie globale rĂ©ussie, il faut aujourdâhui une diversitĂ© dâacteurs venant de diffĂ©rents horizons. Ce fĂ»t le cas sâagissant de lancer la rĂ©flexion lors de la rencontre de lâAcadĂ©mie diplomatique Ă laquelle ont participĂ© des experts, des technocrates, des universitaires, des dĂ©cideurs publics et des internationaux, soit un vĂ©ritable laboratoire dâidĂ©es inspirantes pour des politiques publiques efficientes.
« Ce nâest quâen croisant les regards, les savoirs et les volontĂ©s que nous pourrons bĂątir des politiques publiques robustes, tournĂ©es vers lâavenir, capables dâarticuler innovation, inclusion et durabilitĂ©. » â Sami Ben Jannet, ITES
Axel Gastambide, directeur technique du projet Savoirs Eco, a rappelĂ© Ă lâouverture de la journĂ©e, le rĂŽle central de la recherche scientifique insistant sur la nĂ©cessitĂ© de faire entrer la recherche dans le dĂ©bat public : « Lâobjectif est de faire en sorte que la recherche acadĂ©mique prenne toute sa place dans le dĂ©bat public sur les questions Ă©conomiques et de dĂ©veloppement durable. »
Pour prĂ©cision, le projet Savoirs Eco, financĂ© par lâUnion europĂ©enne et mis en Ćuvre par Expertise France, vise Ă soutenir trois catĂ©gories dâacteurs : Les institutions publiques (comme lâITCEQ et lâINS) dans la valorisation de leurs analyses, les Think tanks de la sociĂ©tĂ© civile, soutenus financiĂšrement ainsi que les unitĂ©s de recherche universitaires, notamment en Ă©conomie et en sciences sociales.
Un volet particuliĂšrement attendu du projet est le Doing Research Assessment, menĂ© en partenariat avec le Global Development Network et le Forum des sciences sociales appliquĂ©es, dont les rĂ©sultats seront restituĂ©s Ă partir de juin 2025. Tout comme le lancement imminent dâune nouvelle plateforme : Eco Tous, en collaboration avec lâInstitut Arabe des Chefs dâEntreprises et lâInstitut Arabe des Droits de lâHomme.
Une initiative dont lâambition est de rendre les contenus Ă©conomiques plus accessibles, en les traduisant dans un langage comprĂ©hensible par le grand public. « Lâobjectif est de crĂ©er un pont entre la rigueur scientifique et la comprĂ©hension citoyenne. Nous invitons tous les chercheurs Ă y contribuer activement », a lancĂ© Axel Gastambide.
« Faire entrer la recherche acadĂ©mique dans le dĂ©bat public est essentiel : câest le seul moyen dâassurer que nos dĂ©cisions sâancrent dans le rĂ©el, Ă©clairĂ©es par la science et utiles au plus grand nombre. » â Axel Gastambide, Projet Savoirs Eco
Au-delĂ des discours, lâatelier de Tunis a permis de faire Ă©merger une conviction commune : lâIA, si elle est bien encadrĂ©e, nâest pas une finalitĂ© mais un levier stratĂ©gique. Son intĂ©gration dans les politiques publiques peut accĂ©lĂ©rer la transition vers un modĂšle plus durable, plus agile, et plus Ă©quitable. Mais pour cela, une condition clĂ© demeure : ancrer les dĂ©cisions dans le savoir, dans lâĂ©change, et dans la coopĂ©ration.
« Le monde est complexe, incertain, parfois brutal. Mais il est aussi porteur de solutions. Et câest prĂ©cisĂ©ment en croisant nos regards, nos savoirs et nos volontĂ©s que nous pourrons bĂątir des politiques publiques robustes, tournĂ©es vers lâavenir », a conclu Sami Ben Jeannet.
LâĂ©vĂ©nement du 17 avril Ă lâAcadĂ©mie diplomatique de Tunis, a Ă©tĂ© coorganisĂ© par un large consortium acadĂ©mique, incluant la FSEG de Tunis, lâUniversitĂ© de Tunis El Manar (LaREQuaD), lâInstitut Tunisien des Etudes StratĂ©giques (ITES), la Paris School of Business, la Paris School of Technology & Business, lâUniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne, et la Telfer School of Management (UniversitĂ© dâOttawa), en partenariat avec le Centre de Recherche pour lâEnergie et le Changement Climatique (CRECC), Addin Group (France), Arco (Arabie Saoudite) et Emeraude Pianta (Tunisie).
Amel Belhadj Ali
EN BREF
IA et durabilité : la Tunisie en action
- Date : 17 avril 2025, Académie diplomatique de Tunis
- Enjeu : Faire de lâIA un levier des transitions Ă©cologique, Ă©nergĂ©tique et Ă©conomique
- Citation clĂ© : « La Tunisie ne peut se permettre de manquer la rĂ©volution IA » â Sami Ben Jannet
- Constat : Retard technologique, déficit de compétences, faible financement
- Objectif : Construire un pont entre recherche, décision publique et action concrÚte
- Initiative : Lancement de la plateforme Eco Tous pour vulgariser lâĂ©conomie durable.
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