Protectionnisme de Trump | Le dollar dans une zone de turbulence
«Les tarifs douaniers de Trump étaient censés stimuler le dollar alors pourquoi l’inverse s’est-il produit?», s’est interrogé le Wall Street Journal dans une enquête où il souligne les inquiétudes concernant la récession (ralentissement du rythme de la croissance) pouvant avoir un impact important sur la monnaie américaine.
Imed Bahri
Après que Trump a annoncé mercredi une série de tarifs punitifs sous le nom de Liberation Day (Jour de la libération), le marché boursier a connu une baisse significative et le dollar américain a fluctué par rapport aux principales devises. Cette volatilité reflète la confusion de Wall Street quant à la manière de gérer la monnaie américaine, a indiqué le WSJ, alors que la plupart des analystes insistaient sur le fait que la hausse des tarifs douaniers devrait conduire à un dollar plus fort et espéraient que la réduction des importations de biens étrangers contribuerait à réduire le déficit commercial et à baisser la demande de devises étrangères. Ils pensaient également qu’avec cette politique protectionniste, la croissance économique américaine pourrait dépasser celle de la zone euro et influer positivement sur le dollar.
Cependant, cela n’est pas arrivé. L’indice du dollar américain, basé sur un panier de devises, a perdu plus de 4% cette année et est revenu aux niveaux observés le 5 novembre avant la reprise postélectorale. Les données de la Commodity Futures Trading Commission ont montré un changement dans le comportement des spéculateurs qui ont commencé à parier massivement contre le dollar américain.
L’erreur du marché
Le journal rapporte que la monnaie américaine a chuté par rapport à l’euro en comparaison à l’année dernière, un événement rare lorsque l’économie américaine surpasse en dynamisme celle de la zone euro.
Ce renversement soudain ne peut pas être le résultat d’une augmentation des tarifs douaniers, pouvant accroître le risque de récession, car le dollar se renforce généralement pendant les périodes de récession comme pendant celles d’expansion, les investisseurs y lorgnant à ces périodes comme une valeur refuge.
Le journal explique la raison de l’erreur du marché : le dollar a atteint des niveaux extrêmement élevés ce qui le rend mûr pour une baisse. Comme le soutiennent certains investisseurs, l’offensive économique américaine contre ses alliés contribue à l’érosion du statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale.
Le WSJ estime que cela aurait pu être une victoire pour l’administration américaine. En 2024, le principal conseiller économique de Trump, Stephen Meyer, a souligné la nécessité de remédier au déficit commercial en pénalisant les banques centrales et les trésors étrangers qui déposent des actifs aux États-Unis. Cela correspond à l’idée selon laquelle la demande de valeurs refuges surévalue le dollar et par conséquent impose un lourd fardeau à l’économie américaine.
Le potentiel des États-Unis en déclin
Toutefois, le journal souligne que cette vision reste à prouver car l’augmentation des achats officiels d’actifs étrangers a tendance à coïncider avec un dollar plus faible. Les réserves mondiales en dollars sont restées stables depuis 2018 tandis que le dollar a augmenté de 16% selon les données du Fonds monétaire international (FMI). Une réponse plus précise qui n’est peut-être pas en faveur de Trump est que la confiance dans le potentiel économique à long terme des États-Unis est en déclin.
Sur de longues périodes, les rendements boursiers deviennent un moteur majeur des taux de change. Alors que les traders de devises peuvent suivre les différentiels de rendement des obligations à court terme, les différentiels de rendement des actions entre les actions américaines et européennes ont montré une corrélation de 70% avec les mouvements du dollar et de l’euro sur la période de cinq ans depuis 2001.
Cela indique qu’une grande partie de la force du dollar est due aux investissements qui suivent la croissance relative de la productivité économique, tirée principalement par les énormes profits générés par les grandes entreprises de la Silicon Valley qui ont transformé les États-Unis en un exportateur majeur de biens technologiques en particulier de services.
Les marchés pourraient désormais anticiper un autre changement structurel. La poussée vers le réarmement renforce les espoirs d’une reprise économique en Europe tandis que les États-Unis peuvent entrer en récession à cause de la politique protectionniste de Trump et de la concurrence croissante de la Chine dans le domaine de l’intelligence artificielle.
Le WSJ n’est pas opposé au protectionnisme en soi mais à la manière dont il est mis en œuvre par l’administration Trump. Le gouvernement américain doit tenter de soutenir les industries essentielles, estime le journal.
La délocalisation visant à réduire les coûts a également porté préjudice aux travailleurs, fragilisé les chaînes d’approvisionnement et rendu les entreprises moins disposées à innover. Des géants industriels comme Intel et Boeing peuvent en témoigner.
Cependant, le problème réside dans les tarifs douaniers, soudains et irréguliers, de Trump qui pourraient avoir un impact négatif sur l’investissement des entreprises plutôt que d’encourager ces dernières à réorienter leur production grâce à une approche ciblée et systématique.
Des expériences ratées
Plutôt que de provoquer un miracle économique à l’Asiatique, ces politiques risquent d’être davantage des expériences ratées.
Il existe des avantages potentiels à rapatrier des emplois d’assemblage du Mexique aux États-Unis pour des entreprises comme General Motors et Ford mais appliquer cela à toutes les pièces automobiles, y compris les composants de faible valeur comme les tissus et le câblage automobile, rendrait l’industrie automobile américaine inefficace. Il existe également la possibilité de représailles contre les partenaires commerciaux et l’imposition de droits de douane de 100% sur les véhicules électriques chinois.
Le journal souligne que les constructeurs automobiles américains excellent dans le segment des camions et des SUV (Sport utility vehicle, littéralement véhicule utilitaire à caractère sportif), où les consommateurs américains sont plus exigeants mais ils ont du mal à produire des véhicules à moins de 25 000 dollars, même avant l’imposition des tarifs. Tesla reste également une marque de luxe.
Si le marché américain s’isole, les grands constructeurs comme Toyota et Hyundai risquent de ne pas innover dans leurs usines américaines comme elles le font ailleurs. C’est ce qui s’est produit au Brésil et en Argentine où les tentatives de construire une industrie automobile nationale ont protégé les entreprises de la concurrence étrangère entre les années 1950 et 1980. Le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont procédé autrement pour créer des constructeurs automobiles de classe mondiale. Ils ont combiné protectionnisme économique et discipline sur les marchés étrangers.
L’accent excessif mis sur le déficit commercial néglige le fait que la compétitivité et la rentabilité des biens échangeables américains jouent un rôle majeur dans la détermination de la valeur du dollar mais ces facteurs sont désormais remis en question.
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