Discorde nationale et turbulence mondiale
Des vents violents soufflent sur le monde et un nouveau partage de ce dernier est en cours de réalisation. L’avènement du phénomène Trump n’est que l’élément déclencheur, précédé par la guerre d’Ukraine. Mais tout laisse à penser que les facteurs qui ont déclenché ce nouveau Yalta sont plus profonds et trouvent leurs origines plus loin dans l’histoire.
Jusqu’à ce jour, le monde issu de la victoire des Alliés contre les pays de l’Axe n’était ni plus juste ni plus équitable pour les nations faibles. Il risque de devenir encore plus difficile pour elles avec ce qui se déroule sous nos yeux, ébahis. Avec le déclenchement de la plus grande guerre économique entre les deux colosses, américain et chinois, dont les répercussions économiques et sociales et même politiques seraient catastrophiques pour les nations et peuples qui seront incapables de s’adapter à la nouvelle conjoncture.
Nous sommes parmi ces petites nations qui risquent d’être emportées par ce tsunami si nos élites n’ouvrent pas les yeux devant ce nouveau danger. Plus que jamais, notre économie, notre modèle social, et même notre système politique actuel courent un danger mortel. Un sursaut national n’est pas seulement souhaitable mais devient impératif.
Les guéguerres politico-médiatiques « légitimées » par un juridisme d’antan, doivent s’arrêter. Et l’on doit tous se fixer comme but le sauvetage de la nation. Mais aucun signe ne prouve qu’une nouvelle conscience nationale soit en cours d’émergence.
La pomme de discorde et discorde nationale
Il faut dire que les Tunisiens n’ont connu l’unité nationale au sens profond du terme que pendant la lutte nationale contre le colonialisme, même s’ils divergeaient sur les moyens de conquérir l’Indépendance. Avant même qu’elle ne soit définitivement acquise, la discorde au sein même du mouvement national est devenu la règle sous la forme d’une scission au sein du parti destourien. Et ce n’est pas un hasard qu’on a appelé cette discorde « al fitna », littéralement discorde.
Rappelons que cette question a caractérisé l’Islam pendant 14 siècles, d’où la fameuse « al-fitna el koubra » ou la grande discorde. La pomme de discorde proprement dite tourne toujours autour de la question de la légitimité du pouvoir en place quel qu’il soit. Toutes les oppositions politiques au pouvoir depuis l’indépendance, de Bourguiba et de Ben Ali, ont crié à l’illégitimité de ces dirigeants. Car nos élites politiques ne se sont jamais accordées sur cette notion.
Cette discorde s’est prolongée même après 2011 et l’on a vu la Troïka entre 2011 et 2014 se targuer d’être le seul pouvoir légitime, parce qu’issue d’élections. Alors qu’il s’avère maintenant que les élections de 2011 n’étaient ni démocratiques ni transparentes. Et que de milliards issus de financement occultes ont circulé pour porter au pouvoir les islamistes et leurs alliés. Ce qui, dans n’importe quel pays démocratique, aurait conduit à l’annulation des élections.
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Les autres élections qui ont suivi pour élire des assemblées nationales n’étaient pas moins entachées d’irrégularités. Continuer à se quereller à ce propos ne mène nulle part. Il est clair que le pays n’est pas encore apte à garantir des élections démocratiques et transparentes comme dans les grandes démocraties. Ce que beaucoup d’intellectuels et spécialistes de la chose politique pensent tout bas, mais osent rarement déclarer, de peur d’être classés ennemis de la démocratie.
Or, il existe des raisons historiques, sociologiques, religieuses et culturelles à cette situation, qui est presque générale dans le monde arabo-musulman et dans tous les pays sous-développés. Et nous sommes encore un pays sous-développé malgré les avancées faites dans la construction nationale.
Or, il existe des raisons historiques, sociologiques, religieuses et culturelles à cette situation, qui est presque générale dans le monde arabo-musulman et dans tous les pays sous-développés. Et nous sommes encore un pays sous-développé malgré les avancées faites dans la construction nationale.
Le débat politique, au lieu de se focaliser sur cette question de la légitimité, doit s’affranchir de cette éternelle pomme de discorde pour se concentrer sur le sauvetage de la nation et de l’Etat. Et ce, au moment où des Etats disparaissent en quelques mois et des nations se dissolvent dans d’autres.
USA, Chine, Russie et nous
Au moment où la tempête des droits de douane souffle sur le monde entier, déclenchée par la tornade Trump, où les nations réagissent soit en refusant le diktat américain – comme la Chine -, ou en tentant de négocier au mieux leurs propres intérêts en essayant d’alléger le taux des taxes douanières de leurs produits, un silence absolu est gardé chez nous, comme pour exorciser le démon qui nous menace. Car ce n’est pas seulement nos 3 000 millions de dinars d’exportation vers le pays de l’Oncle Sam qui sont menacés. Ce qui constitue quand même une part importante de nos exportations. Mais il s’agit de la situation plus que dramatique de nos partenaires européens, qui constituent notre principal marché extérieur. Les autorités concernées par ce dossier agissent comme si notre pays n’était pas concerné par cette agitation mondiale.
Quant aux différents partis de l’opposition, qui prétendent représenter au moins une partie du peuple, ils continuent leurs propres guéguerres sur des thèmes plus qu’obsolètes, droits de l’Homme, démocratie, irrégularités judiciaires… Ce qui ne semble en rien concerner les larges couches populaires et même une grande partie de l’élite.
Qu’on le veuille ou non, notre sort ne se joue pas à Gaza, ni en Syrie ni au Liban. Et il n’est lié à ces peuples que par des causes affectives et sentimentales. Il se joue à Wall Street et dans la guerre qui secoue les grandes Bourses mondiales. Si notre propre Bourse ne réagit pas, c’est que nos volumes d’échanges sont tellement insignifiants, et ce n’est pas un signe de bonne santé forcément.
Qu’on le veuille ou non, notre sort ne se joue pas à Gaza, ni en Syrie ni au Liban. Et il n’est lié à ces peuples que par des causes affectives et sentimentales. Il se joue à Wall Street et dans la guerre qui secoue les grandes Bourses mondiales.
Dans ce jeu à l’échelle planétaire et décisif pour l’avenir de l’humanité, car il remet en cause le système de libre-échange établi par les Américains à Bretton Woods et amorce un retour très fort au protectionnisme – ce qui, à notre avis, ne joue pas en notre faveur, notre économie étant déjà intégrée à ce système – beaucoup de secteurs risquent de pâtir de la nouvelle vague protectionniste.
On ne sait pas si l’on a déjà amorcé un dialogue avec nos partenaires, mais il est plus qu’urgent d’activer nos relations diplomatiques. Trump a dit que 70 % des pays concernés ont déjà pris contact avec la Maison Blanche. La Tunisie figure-t-elle sur cette liste? Car il est évident qu’on ne peut que négocier les 28 % des droits pour les baisser, surtout qu’il ne semble pas que nous ayons élevé les taxes des produits made in usa.
Mais il est aussi important de continuer à développer nos relations avec la Chine; surtout que ce partenaire semble intéressé par notre pays.
Idem avec la Russie qui nous a aidés pour l’achat des céréales lorsque les prix se sont brusquement envolés à cause de la guerre en Ukraine.
C’est le moment de passer à une vitesse supérieure quant à notre politique étrangère. Ce que font nos amis du Maghreb, notamment l’Algérie et le Maroc. Dommage que l’idée du Grand Maghreb ait tourné court, car unis on aurait mieux négocié avec nos partenaires européens et autres ! Mais il semble que le Grand Maghreb soit définitivement mort.
Nous ne pouvons donc compter que sur nos propres forces. Et notre force réside, comme à l’époque de la lutte nationale, dans l’unité autour d’un projet mobilisateur, comme la libération nationale à l’époque.
Nous ne pouvons donc compter que sur nos propres forces. Et notre force réside, comme à l’époque de la lutte nationale, dans l’unité autour d’un projet mobilisateur, comme la libération nationale à l’époque. Mais le sens de la souveraineté et de la lutte pour la pérennité de la nation a changé depuis. L’effritement continu de cette unité est évident, ce qui nous fragilise davantage. Surtout que le rêve d’un Grand Maghreb solidaire et uni est passé à la trappe.
Quant à l’unité arabe, ce n’est qu’une chimère ou un fantasme de gens pétris au nationalisme arabe. La libération de la Palestine ou d’une partie au moins passe par la construction d’Etats-nations forts et invulnérables. Et non par des slogans creux et des luttes fratricides et autres guerres civiles. Bourguiba était un visionnaire!
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