Les conséquences de la pandémie de Covid-19 ont entraîné une flambée de l’inflation dans les économies avancées, atteignant des sommets inédits depuis des décennies. Après la pandémie et la guerre en Ukraine, le « choc d’offre » dû aux mesures de confinement et aux perturbations géopolitiques s’est combiné à un « choc de demande » provoqué par des mesures de relance budgétaire et monétaire sans précédent, propulsant les taux d’inflation à des niveaux records. Le Japon a d’abord semblé faire figure d’exception dans cet environnement inflationniste. Cependant, lorsque les grandes banques centrales ont commencé à relever leurs taux d’intérêt pour contenir l’inflation, l’écart de taux avec le Japon s’est creusé, entraînant une forte dépréciation du yen japonais (JPY) et une montée des pressions inflationnistes au Japon.
Cette forte dépréciation du yen a renforcé les pressions mondiales sur les prix, faisant grimper l’inflation à la consommation au Japon à un pic de 4,3 % en glissement annuel en janvier 2023 — un niveau jamais atteint depuis plus de trente ans dans le pays. Cette hausse de l’inflation a permis à la Banque du Japon (BoJ) de mettre fin à 17 années de taux négatifs, et d’augmenter les taux à deux reprises depuis, bien qu’ils restent encore faibles à 0,5 %.
Inflation à la consommation au Japon
(%, en glissement annuel)

Source : Bank of Japan, Haver Analytics, QNB Economics
Durant la période 2023-2024, la hausse des prix à la consommation s’est modérée, bien qu’elle reste inconfortablement au-dessus de l’objectif, en raison du recul des prix internationaux de l’énergie et des matières premières, ainsi que des subventions temporaires octroyées par le gouvernement aux ménages.
Toutefois, les pressions inflationnistes ont ressurgi de manière marquée, avec une inflation atteignant 3,7 % en décembre dernier, puis 4 % en janvier de cette année, alimentée par la hausse des prix alimentaires domestiques, la suppression progressive des subventions sur l’énergie, et l’augmentation des loyers.
Cette flambée des prix place l’économie japonaise dans une situation particulièrement inhabituelle. Pendant des décennies, avant la pandémie, le Japon a souffert d’un cycle négatif de déflation et de stagnation économique. Entre 2013 et 2020, période désormais connue sous le nom d’« Abenomics », en référence à l’ancien Premier ministre Shinzō Abe, le pays a adopté une politique de relance budgétaire et monétaire agressive pour stimuler son économie. Cependant, ces politiques ont eu peu d’effet sur la sortie du cycle déflationniste, en raison d’un comportement « déflationniste » profondément enraciné dans le secteur privé.
Selon nous, il existe désormais une réelle possibilité que l’environnement inflationniste actuel permette au pays de sortir durablement de ce piège déflationniste. Nous pensons en effet que l’inflation au Japon persistera plus longtemps. Ce qui permettra à la Banque du Japon de poursuivre son processus graduel de normalisation des taux d’intérêt. Dans cet article, nous présentons trois facteurs clés qui soutiennent notre analyse.
Premièrement, les données montrent une persistance de la hausse des prix et une modification des anticipations d’inflation. L’inflation est restée nettement au-dessus de l’objectif de 2 % fixé par la politique monétaire pendant près de trois ans. Par ailleurs, dans un pays historiquement marqué par la stabilité des prix, la montée de l’inflation est en train de modifier les anticipations, tant du côté des entreprises que des ménages. Les enquêtes indiquent que les entreprises japonaises anticipent une inflation de 2,3 % sur les trois prochaines années, soit un niveau nettement supérieur à l’objectif officiel. Ces nouvelles pressions sur les prix et l’ancrage affaibli des anticipations plaident en faveur d’une inflation durable à moyen terme.
Deuxièmement, l’augmentation des salaires entraîne une amélioration du pouvoir d’achat des ménages, ce qui devrait soutenir la consommation et entretenir l’inflation. À la mi-2024, la croissance des salaires réels a commencé à se redresser grâce à l’accord du « Shuntō » — les négociations annuelles entre syndicats et dirigeants d’entreprise — qui a abouti à une hausse salariale moyenne de 5,1 %, la plus élevée depuis 33 ans. Cette année, les négociations devraient déboucher sur une hausse proche de 5,3 %. Cela implique une nouvelle amélioration du pouvoir d’achat des ménages, un soutien accru à la consommation, et une pression supplémentaire sur les prix. De plus, ces hausses salariales interviennent dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, ce qui augmente le transfert des coûts salariaux vers les prix à la consommation.
Troisièmement, le gouvernement a mis en place un programme budgétaire visant à stimuler davantage l’économie, avec pour effet induit une pression haussière sur les prix. Ce plan comprend un budget record équivalant à 735 milliards de dollars pour l’exercice fiscal 2025, ainsi qu’un plan de relance complémentaire d’environ 90 milliards de dollars. Les mesures incluent des aides directes aux familles à faible revenu, des subventions pour compenser la hausse des coûts de l’énergie et des services publics, ainsi qu’un relèvement du seuil de revenu annuel exonéré d’impôt pour encourager la participation au marché du travail. Ces mesures budgétaires expansionnistes devraient renforcer les tensions inflationnistes.
En résumé
L’inflation devrait rester supérieure à l’objectif de 2 % fixé par la politique monétaire jusqu’au début de 2026, soutenue par des pressions persistantes sur les prix, une évolution des anticipations inflationnistes, une hausse des salaires et un programme budgétaire gouvernemental de relance. Cela permettra à la Banque du Japon de poursuivre sa politique de normalisation progressive des taux d’intérêt, avec au moins une nouvelle hausse de 25 points de base prévue cette année.
D’après analyse QNB
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