L’objet de cet écrit concerne le devenir de Djerba, l’île qui est en perpétuelle évolution, et l’examen du problème relatif au sujet du fameux site de Lella El-Hadhria qui risque d’être livré, au dam de tout le monde, à l’usure et à la rapine !
La réalisation de ce mégaprojet se traduira par des agressions abominables d’un bien précieux tout autant rare et fragile, le site naturel et magnifique de Lella El-Hadhria. Sachant que Djerba, sur laquelle s’abat depuis des décennies une véritable malédiction qui ne cesse de ravager à vue d’œil le patrimoine de l’île, l’on se souvient des intéressantes études sur l’île, présentées par le professeur Paskoff.
Ce géographe spécialiste a, maintes fois, signifié avec d’autres géographes son anxiété, quant au mal qui ronge affreusement l’île et son écologie ; un mal qui a transformé le littoral et certains sites maritimes en une usine de tourisme. Ce même mal a modifié un bon nombre de sites historiques et il a défiguré moult paysages culturels et naturels et toute la campagne de Djerba.
Parmi ces sites citons au nord, Rass-Ermal qui est un site lacéré avec un soin remarquable ; au sud Borj El-Gastil en ruine, Bin El-Widen près d’El Kantara, encore un site phagocyté … sans oublier pour autant les rivages de la partie occidentale de l’île, comprise entre Méllita, Sidi Jemour et Ajim.
Quant à la région côtière de Lella El-Hadhria et son lac préhistorique d’Ofar qui était jusqu’ici relativement épargnée, vierge et sans encombrement, elle sera probablement très prochainement entamée par la réalisation de ce mégaprojet décidée par les lobbys ! Ces décideurs, qui veulent réaliser ce projet gigantesque, vont à l’encontre de la volonté du peuple et des droits des citoyens qui veulent décider de leur destin loin de la mainmise de groupes d’intérêt, dont l’objectif essentiel est d’inclure, comme un vil produit, des richesses naturelles, dans le circuit marchand.
Les citoyens veulent s’engager dans la voie d’édifier sans détruire et d’épargner toutes les valeurs. D’ailleurs tout le monde s’interroge sur l’opportunité de réaliser un tel projet dans le contexte actuel. D’autant plus que l’île subit de nos jours une crise économique aiguë qui a provoqué la fermeture d’une vingtaine d’hôtels.
Commises par myopie, ces erreurs relèvent de fautes gravissimes incompatibles avec le bon sens, contrariant un sentiment collectif extrêmement fort.
Que l’on sache que l’île de Djerba est d’ores et déjà saturée. L’élargissement de l’infrastructure hôtelière serait une grave et grande erreur, d’autant que les pouvoirs publics n’ont pas anticipé l’augmentation exponentielle de la consommation générale sur l’île : des coupures continuelles d’eau, des pannes d’électricité permanentes et toujours l’absence de traitements des ordures ménagères, sans parler du rejet des eaux usées dans la mer et dans la nature…
Notre île orpheline connaît une terrible défiguration due à la corruption endémique, à l’urbanisation pléthorique et à la spéculation sans nom et sans frein, des phénomènes qui ont effacé les traces d’un important patrimoine naturel et culturel irremplaçable. Patrimoine qui est à la fois l’étrier et l’allié de notre tourisme.
L’absurde sophistication de l’île de Djerba l’a transformée en une terre de monoculture. Cette terre a pris alors l’aspect d’une terre en décomposition dans son linceul de béton !
L’angoisse est d’autant plus vive qu’il y a urgence à préserver Djerba et à sauver son littoral, à éliminer le projet de Lella El-Hadrïa. La campagne est déjà entamée et tous ses sites naturels et culturels sont pour la plupart rétrécis, étriqués, disloqués et mis en pièces par des promoteurs et par quelques maraudeurs insensibles à l’avenir de l’environnement et à la pérennité du charme et l’exotisme de l’île des Lotophages.
Le temps est venu pour que responsables et élus locaux saisissent que l’on ne peut, dans un Etat de droit, construire l’avenir du pays et en l’occurrence l’île de Djerba, en laissant phagocyter ses sites, en humiliant sa culture et en écartant ses défenseurs et sa population des centres de décision.
Il n’est pas de mauvais augure de prévenir que tous les actes irréfléchis et périlleux, comme la réalisation de ce futur mégaprojet, sont porteurs de graves conséquences.
Conséquences qui ont déjà été, comme nous l’avons signalé plus haut, analysées et étudiées par des spécialistes avérés. Des spécialistes à l’autorité scientifique reconnue comme le professeur Paskoff, ou des universitaires de compétence affirmée comme Mongi Bourgou, Kassab, Omar Oueslati, Massaoud Yamoun et bien d’autres ont insisté dans leurs études sur le fait que la réalisation de ce projet funeste se traduira par un fiasco écologique gravissime.
Tous les insulaires sont du même avis que la mise en chantier de ce mégaprojet sera un désastre qui gommera inéluctablement le beau site lacustre préhistorique exceptionnel, et conséquemment effacera le dernier poumon vert de Djerba, l’île où la culture et toutes les valeurs qui sont selon le professeur S. Tlatli «Òbalayées par la folie d’un monde soumis aux impératifs de la vitesse, de la rentabilité, des loisirs débridés, de l’appât des sacro-saintes devises ».
Il faut tenir compte du fameux discours prononcé au Parlement par Monsieur le député de l’île où il a exprimé son opposition totale, jugeant le projet de Lella El-Hadhria tout autant négatif que ruineux pour l’île, pourtant classée au patrimoine culturel mondial protégé, l’avons-nous oublié ? De plus, l’île a été classée une des meilleures destinations touristiques mondiales.
L’on n’ignore pas que ce mégaprojet a déjà fait l’objet de controverses par le passé attirant particulièrement l’attention du Chef de l’Etat de l’époque.
Ce sont des libertés et de la démocratie dont le peuple de l’île se réclame pour résister au vandalisme, à la rapine et à la barbarie, avec l’objectif d’apporter au drame de l’île une solution juste et humaine.
Telle doit être la préoccupation de chacun de nous, autochtones et immigrés, celle qui approche du but, celui qui apporte à la problématique de l’île des solutions adéquates et rationnelles, de sorte que profanateurs, corrompus et prédateurs des richesses de la nation soient condamnés et sévèrement punis, afin que soient supprimées toutes formes de diabolisation suscitant l’inquiétude et l’abjection.
Dans ce monde perplexe et agité, les citoyens doivent connaitre la Justice, afin qu’ils vivent, sous les lois respectées de la République, quiets dans la concordance, égaux et heureux.
Au terme de ce travail, je conclus en disant que Djerba a besoin du courage d’hommes sincères, capables d’appliquer, pour le bonheur de tous, une série de mesures correctives de nature à préserver la pérennité de la qualité de la vie et de l’environnement. Il va sans dire que l’espoir de sauvegarder Djerba est lié à la volonté de femmes et d’hommes épris de démocratie. Volonté qui peut aider l’île à devenir une terre touristique à dimension humaine, réconciliée avec son écologie et en l’occurrence avec son environnement propre et préservé au milieu d’une nature saine.
Kamel Tmarzizet
Kamel Ben Yaghlane
N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.