Depuis plusieurs mois, la Tunisie est secouĂ©e par une sĂ©rie de scandales financiers dâune ampleur alarmante, qui se succĂšdent Ă un rythme effrĂ©nĂ© â presque mensuel. Ces affaires, souvent dâune gravitĂ© extrĂȘme, mettent en pĂ©ril non seulement les entreprises concernĂ©es, mais aussi la stabilitĂ© du systĂšme financier national tout entier. Banques, institutions de rĂ©gulation, marchĂ©s⊠aucun maillon de la chaĂźne Ă©conomique nâest Ă©pargnĂ©.
Il ne sâagit pas de sombrer dans lâalarmisme, mais de tirer la sonnette dâalarme pour susciter une prise de conscience collective sur lâurgence de rĂ©tablir lâordre dans un secteur vital pour lâĂ©conomie nationale.
Lâaffaire COFIB Capital : le signal prĂ©curseur
Le premier choc a Ă©tĂ© celui de lâaffaire COFIB Capital Finances en 2024. Un cadre commercial, aujourdâhui dĂ©cĂ©dĂ© dans des circonstances tragiques, a Ă©tĂ© soupçonnĂ© de pratiques assimilables Ă une fraude pyramidale de type Ponzi. Si lâentreprise a tentĂ© de rassurer rapidement ses clients, lâaffaire a semĂ© le doute dans un climat financier dĂ©jĂ tendu.
Lâexportateur dâhuile dâolive et la dette colossale
En 2025, la situation sâest encore aggravĂ©e avec deux nouveaux scandales majeurs. Le premier concerne le nĂ©gociant en huile dâolive Adel Ben Romdhane. Ce dernier a profitĂ© du vide laissĂ© par lâarrestation dâun grand opĂ©rateur du secteur, Abdelaziz Makhloufi, pour occuper le terrain de lâexport.
« Les scandales à répétition révÚlent une faillite de la gouvernance, pas seulement des individus. »
Ben Romdhane a ainsi nĂ©gociĂ© des contrats avec des partenaires espagnols et italiens, tout en accumulant une dette vertigineuse de 450 millions de dinars auprĂšs de la BH Bank, et un prĂȘt supplĂ©mentaire de 50 millions de dinars auprĂšs de Banque Zitouna. MalgrĂ© lâavis dĂ©favorable de ses commissaires aux comptes, la Banque de lâHabitat a persistĂ© Ă distribuer des dividendes, ponctionnant une partie des bĂ©nĂ©fices de 108 millions de dinars. Une dĂ©cision irresponsable, compte tenu du gouffre financier laissĂ© par lâopĂ©rateur.
TSI : une promesse de rendement trop belle pour ĂȘtre vraie
Le plus rĂ©cent scandale implique lâintermĂ©diaire en bourse âTuniso-Saoudienne dâIntermĂ©diation (TSI)â. Un dirigeant y proposait Ă ses clients des placements Ă rendement mirobolant, de 13 Ă 14 %, dans un marchĂ© oĂč les taux oscillent normalement entre 6 et 8%.
Lâabsence de culture financiĂšre chez de nombreux Ă©pargnants, combinĂ©e Ă une aviditĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e, a permis Ă ce stratagĂšme de prospĂ©rer sans Ă©veiller de soupçons. Le Conseil du MarchĂ© Financier (CMF) a finalement rĂ©vĂ©lĂ© que la TSI fait lâobjet dâune enquĂȘte approfondie. Celle-ci a mis au jour de graves insuffisances en matiĂšre de fonds propres, des dĂ©faillances dans la gouvernance et des pratiques mettant en pĂ©ril les intĂ©rĂȘts des clients. Le dirigeant mis en cause a pris la fuite. Le CMF, en coordination avec la Bourse de Tunis, Tunisie Clearing et plusieurs banques partenaires, a dĂ» intervenir en urgence pour protĂ©ger les avoirs des clients et Ă©viter toute fuite de capitaux.
Une crise de gouvernance et de régulation
Ces scandales Ă rĂ©pĂ©tition ne sont pas de simples incidents isolĂ©s : ils traduisent une crise structurelle de gouvernance et de rĂ©gulation. La rĂ©ponse classique â rĂ©primer aprĂšs coup â a montrĂ© ses limites. Trop souvent, les coupables prennent la fuite avant mĂȘme que la justice ne rĂ©agisse.
« Tant que la rĂ©gulation restera en mode rĂ©actif, les fraudeurs auront toujours une longueur dâavance. »
Il devient urgent de mettre en place une rĂ©gulation prĂ©ventive, efficace et intelligente, capable dâanticiper les dĂ©rives au lieu de les subir. Cela commence par des gestes symboliques mais fondamentaux, comme la nomination dâun directeur gĂ©nĂ©ral Ă la tĂȘte du CMF, aujourdâhui en situation de flottement institutionnel. Il faut Ă©galement renforcer les moyens dâaction des organes de rĂ©gulation en rĂ©tablissant leur autoritĂ©, leur indĂ©pendance et leur efficacitĂ©.
Vers une réforme profonde du secteur financier
Au-delĂ des mesures dâurgence, câest un chantier de rĂ©forme en profondeur qui sâimpose. Les lois encadrant le secteur financier doivent ĂȘtre modernisĂ©es pour suivre les Ă©volutions rapides du marchĂ©, au niveau national comme international.
Il ne sâagit pas seulement de combler des lacunes juridiques, mais dâadopter une vision renouvelĂ©e du fonctionnement Ă©conomique du pays. Une vision fondĂ©e sur la transparence, la redevabilitĂ© et la prudence financiĂšre comme socles inĂ©branlables.
«Ce nâest plus une sĂ©rie noire, câest un signal rouge pour lâavenir de lâĂ©conomie tunisienne.»
Une menace systĂ©mique pour lâĂ©conomie nationale
Les consĂ©quences de ces malversations financiĂšres sont lourdes : elles favorisent lâĂ©vasion fiscale, alimentent les flux financiers illicites et sapent la crĂ©dibilitĂ© des institutions.
Comme lâa montrĂ© le scandale HSBC Ă lâĂ©chelle mondiale, ces dĂ©rives peuvent exposer des vulnĂ©rabilitĂ©s systĂ©miques, et accroĂźtre les risques opĂ©rationnels et stratĂ©giques. Dans une Tunisie en crise depuis plus dâune dĂ©cennie, elles creusent les inĂ©galitĂ©s et exacerbent la dĂ©fiance des citoyens envers lâĂtat et ses institutions.
Amel Belhadj Ali
EN BREF
trois scandales, une mĂȘme faille
- Ponzi, dettes, placements fictifs : la Tunisie vit une série noire inédite.
- 450 millions de dinars de dette impayée dans un seul dossier.
- Le CMF enquĂȘte sur des pratiques Ă haut risque chez TSI.
- Lâabsence de rĂ©gulation prĂ©ventive affaiblit la confiance des investisseurs.
- Un systÚme à bout de souffle appelle une réforme urgente et profonde.
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