Tensions diplomatiques entre Alger et Bamako : le drone de la discorde
Quid de la récente joute verbale entre l’Algérie et le Mali? Jusqu’où l’escalade des tensions entre les deux pays voisins qui partagent une frontière de 1 329 km dans le Sahara peut-elle aller? Eclairage autour du drone de la discorde.
Nouvelle montée d’adrénaline dans les relations, déjà à fleur de peau, entre Alger et Bamako. Rappel des faits. Pour protester contre la destruction d’un drone malien par l’Algérie à Tinzaouatène, à la frontière entre les deux pays, dans la nuit du lundi 31 mars au mardi 1er avril, le Mali et ses alliés nigériens et burkinabè de l’Alliance des États du Sahel (AES), affirment dans un communiqué très virulent publié dimanche 6 avril, que le drone malien n’était jamais entré sur le territoire algérien et accusent de fait Alger d’être un « exportateur de terrorisme », avant de décider le rappel de leur ambassadeur respectif en Algérie.
En réponse au communiqué conjoint des pays de l’Alliance des États du Sahel, Alger- qui déplore « l’alignement inconsidéré du Niger et du Burkina Faso sur les thèses fallacieuses » présentées par le Mali– rappelle par « réciprocité » ses ambassadeurs au Mali et au Niger « pour consultation ». De même qu’elle décide de « différer la prise de fonction de son nouvel ambassadeur au Burkina Faso ».
Dans la foulée, le ministère algérien de la Défense a annoncé lundi 7 avril la fermeture de son espace aérien à tous les appareils « en provenance ou à destination de l’État malien » à partir de ce jour, sans préciser davantage. Ce qui implique que les vols civils commerciaux des compagnies internationales sont également concernés. De son côté, le Mali a annoncé, lundi dans la soirée, la fermeture de son propre espace aérien « à tous les aéronefs civils et militaires en partance ou à destination de l’Algérie ».
Pour sa part, le ministère algérien des Affaires étrangères estime dans un communiqué, sur un ton pas moins virulent, que l’Algérie sert de « bouc émissaire » à la « clique inconstitutionnelle » au pouvoir au Mali, pour masquer son « échec patent à tous les niveaux, politique, économique et sécuritaire ».
Une histoire de drone
Mais quid de ce mystérieux drone qui est à l’origine d’une crise diplomatique majeure entre les deux pays et pouvant se transformer à tout moment en un conflit armé?
En effet, nous sommes en face à deux versions. Bamako assure, dans son communiqué du dimanche 6 avril, que les « données précises de la trajectoire de l’appareil, enregistrées dans le système » prouvent « avec une certitude absolue » que le drone « n’a jamais quitté l’espace aérien » du Mali. Et que, par conséquent, il a été a détruit suite à une « action hostile préméditée du régime algérien ».
Quant à l’Algérie, elle reconnait avoir abattu un drone de l’armée malienne après que ce dernier a pénétré son espace aérien de deux kilomètres. Ainsi, « toutes les données du ministère algérien de la Défense », « y compris les images du radar », établissent « une violation de l’espace aérien de l’Algérie »; et ce, précisément à « minuit huit minutes sur une distance de 1,6 kilomètre ». Selon Alger, le drone se serait ensuite éloigné avant de revenir « en prenant une trajectoire offensive », d’où sa destruction. Alger va même plus loin, assurant que ce n’est pas la première, mais la troisième fois qu’un drone malien entrait en Algérie. Ces précédentes incursions seraient survenues, selon Alger, les 27 août et 29 décembre 2024.
Enjeux ethniques et géopolitiques
Cela étant, et dans l’impossibilité de vérifier l’authenticité de l’une de ces deux versions contradictoires, il convient de préciser que l’affaire de la destruction du drone de fabrication turque n’est que l’arbre qui cache la forêt. En effet, le Mali accuse l’Algérie de défendre les « groupes terroristes », en fait des indépendantistes Touaregs du nord du Mali que Bamako ne parvient pas à contrôler.
Bref rappel historique. Les Touaregs qui sont réparti entre plusieurs pays sahéliens, en l’occurrence le Mali, Niger, Algérie, Libye, Burkina Faso, se trouvent au carrefour d’enjeux ethniques, politiques et sécuritaires dans une région où les frontières, héritées de la colonisation, sont poreuses, car artificielles. Or, le territoire ancestral du peuple Touareg, les hommes bleus du Sahara, traverse le nord du Mali (Azawad) et le sud de l’Algérie, notamment Tamanrasset.
Ainsi, depuis les années 1960, les Touaregs du Mali ont mené plusieurs rébellions pour réclamer plus d’autonomie, voire l’indépendance de l’Azawad. Des révoltes souvent perçues par le Mali comme étant soutenues en coulisses par l’Algérie. Laquelle, tout en jouant historiquement le rôle de médiateur en sa qualité de puissance régionale, cherche en vérité à sécuriser sa frontière sud et surtout à éviter une instabilité dans la région touarègue algérienne.
Au final, faut-il s’attendre à une escalade militaire entre les deux pays voisins? Les différents observateurs sahéliens et algériens ne croient pas que le conflit verbal et diplomatique, pour le moment, puisse prendre une dimension militaire. La supériorité de l’armée algérienne, est un argument largement partagé.
Par contre, les autorités maliennes de transition qualifiées par l’Algérie de « clique inconstitutionnelle », gardent en sous-main des munitions : rupture diplomatique, reconnaissance du Sahara occidental marocain.
« Ce feuilleton n’est pas terminé », prédit un fin connaisseur de cette région du Sahel, berceau de violences armées, d’instabilités politiques, de fragilité économique et de tensions sociales dans un contexte où l’État est souvent très faible, voire absent.
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