Dans une interview accordĂ©e Ă lâagence Tunis Afrique Presse (TAP), aprĂšs la publication par lâInstitut national de la statistique (INS) des indicateurs de lâinflation pour le mois de mars 2025, Mohsen Hassan ne parle pas de « catastrophisme », mais affirme que « la Tunisie, qui a rĂ©ussi Ă maĂźtriser cette problĂ©matique, a plus que jamais besoin de politiques monĂ©taires et gouvernementales efficaces ».
En effet, selon les donnĂ©es de lâINS, le taux dâinflation a lĂ©gĂšrement augmentĂ©, puisquâil passe de 5,7 % en fĂ©vrier Ă 5,9 % en mars.
Impact des politiques protectionnistes internationales sur la Tunisie
Dans cette interview, lâĂ©conomiste revient sur les perspectives de lâĂ©conomie tunisienne Ă la lumiĂšre des politiques protectionnistes internationales et des droits de douane relevĂ©s par les Ătats-Unis.
Ainsi, dans son analyse de la hausse du taux dâinflation, Mohsen Hassan souligne tout dâabord que « les chiffres montrent que lâaugmentation de lâinflation en mars 2025 intervient aprĂšs plusieurs mois de baisse ».
Et dâajouter : « Cette Ă©volution est principalement due Ă la hausse des prix des produits alimentaires, un facteur dĂ©terminant en pĂ©riode de Ramadan, qui coĂŻncide avec des habitudes de consommation accrues en Tunisie ». Sans oublier la contribution du secteur du textile et chaussures Ă cette hausse, en lien avec la fin de la pĂ©riode des soldes et une demande accrue Ă lâoccasion de lâAĂŻd el-Fitr⊠Tous ces Ă©lĂ©ments constituant des « causes immĂ©diates », relĂšve-t-il.
Autrement dit, lâanalyste fait Ă©tat de « causes plus profondes », notamment « des dĂ©faillances structurelles persistantes ». Au passage, il rappelle que « la baisse de lâinflation au cours des derniers mois est le fruit de la politique monĂ©taire restrictive menĂ©e par la Banque centrale de Tunisie, ainsi que des efforts du gouvernement pour approvisionner les marchĂ©s ».
Mohsen Hassen explique la rĂ©cente remontĂ©e de lâinflation par des problĂšmes structurels, « comme la mauvaise gestion des systĂšmes agricoles, notamment en ce qui concerne le stockage et la constitution de stocks stratĂ©giques ».
Autre facteur ayant entraĂźnĂ© la hausse du taux dâinflation : « lâoffre et la production nâarrivent pas Ă rĂ©pondre Ă la demande croissante, en particulier dans certains secteurs comme celui de la viande rouge ». Par exemple, le prix de lâagneau a augmentĂ© dâenviron 21,9 % Ă la fin du mois de mars 2025. DâoĂč sa recommandation de « dĂ©velopper les filiĂšres concernĂ©es et de mettre en place des politiques sectorielles pour rĂ©soudre les dĂ©faillances ».
Il appelle Ă©galement le gouvernement Ă agir pour rĂ©former et moderniser les circuits de distribution, Ă renforcer les marchĂ©s et Ă amĂ©liorer le contrĂŽle Ă©conomiqueâŠ
Les raisons internes et externes de la hausse de lâinflation
Quand on lui demande ce quâil prĂ©voit pour les mois Ă venir, sa rĂ©ponse est moins rassurante pour les consommateurs. « Je pense que la trajectoire de lâinflation en Tunisie reste exposĂ©e Ă des risques Ă la hausse et constitue encore une menace, pour plusieurs raisons. Certaines sont extĂ©rieures, liĂ©es aux bouleversements gĂ©ostratĂ©giques mondiaux et aux politiques protectionnistes adoptĂ©es par de nombreux pays en rĂ©ponse Ă la hausse des droits de douane imposĂ©e par les Ătats-Unis ».
Il estime quâil pourrait y avoir une sorte dâeffet domino en provoquant « une remontĂ©e de lâinflation mondiale et un ralentissement Ă©conomique touchant des marchĂ©s partenaires de la Tunisie, comme lâUnion europĂ©enne ».
Ceci Ă©tant, lâĂ©conomiste pense tout de mĂȘme que la Tunisie ne sera pas complĂštement perdante en bĂ©nĂ©ficiant de deux facteurs internationaux. Le premier, câest la hausse du dinar par rapport au dollar, liĂ©e Ă la baisse de ce dernier face Ă lâeuro. Ce qui rĂ©duira le coĂ»t des importations libellĂ©es en dollars. Ensuite, la baisse du prix du pĂ©trole sur le marchĂ© mondial, qui allĂšgera la facture Ă©nergĂ©tique tunisienne, une composante importante du dĂ©ficit commercial, pense-t-il.
« Cela pourrait permettre au gouvernement de rĂ©activer le mĂ©canisme dâajustement des prix des carburants, rĂ©duisant ainsi la pression sur les coĂ»ts de production et lâinflation ».
Selon son analyse, « ces retombĂ©es indirectes des politiques protectionnistes de lâadministration Trump pourraient donc limiter lâimpact de lâinflation sur lâĂ©conomie tunisienne ».
Quid des facteurs internes?
Mohsen Hassan Ă©voque Ă©galement des facteurs internes, câest-Ă -dire des risques inflationnistes qui, selon lui, sont bien rĂ©els, quâil explique par « la faiblesse des capacitĂ©s de production de lâĂ©conomie nationale et aux difficultĂ©s des finances publiques ».
De ce fait, poursuit-il, il est « essentiel de stabiliser lâoffre et la demande, en relançant la production, en rĂ©formant les filiĂšres agricoles, en traitant les dĂ©faillances sectorielles et en amĂ©liorant le climat des affaires ».
A cet Ă©gard, il souligne que lâinflation en Tunisie devrait se situer entre 5 % et 6 % au cours des trois prochains mois. Mais, ce niveau nâexige pas une hausse du taux directeur de la Banque centrale, rĂ©cemment abaissĂ© Ă 7,5 %, pense-t-il. NĂ©anmoins, une politique monĂ©taire prudente reste nĂ©cessaire, accompagnĂ©e dâune action gouvernementale pour contenir lâinflation ».
La derniĂšre question concerne dâĂ©ventuelles critiques de lâINS suite Ă la publication des indicateurs sur lâinflation, notamment sur la fiabilitĂ© de ces donnĂ©es. Dans sa rĂ©ponse lâancien ministre rappelle que « lâINS et la Banque centrale sont parfois critiquĂ©s quant Ă leurs donnĂ©es, mais je tiens Ă souligner que ces deux institutions disposent de systĂšmes statistiques avancĂ©s, fondĂ©s sur des mĂ©thodologies reconnues au niveau international ».
Dâailleurs, « lâINS figure parmi les rares instituts en Afrique Ă rĂ©viser la composition du panier de consommation utilisĂ© pour mesurer lâinflation tous les cinq ans, dit-il, en se basant sur une enquĂȘte nationale sur la consommation. Cela tĂ©moigne du niveau de dĂ©veloppement et de transparence du systĂšme statistique tunisien ».