LâInstitut arabe des chefs dâentreprises (IACE) a publiĂ© lâĂ©tude suivante sur les «Impacts Ă©conomiques de la nouvelle politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine sur la Tunisie» et notamment la hausse du dollar, lâaugmentation des droits de douane et la baisse de lâaide internationale. Et propose des recommandations pour anticiper leurs effets.
La rĂ©Ă©lection de Donald Trump en 2024, avec la poursuite de la doctrine America First, pourrait avoir des rĂ©percussions significatives sur lâĂ©conomie mondiale, notamment en raison de son approche protectionniste, de ses rĂ©formes fiscales et de sa stratĂ©gie monĂ©taire agressive.
Pour la Tunisie, ces politiques pourraient engendrer Ă la fois des dĂ©fis et des opportunitĂ©s, nĂ©cessitant une analyse approfondie et des mesures adaptĂ©es pour en anticiper les effets. Dâune part, la hausse du dollar, lâaugmentation des droits de douane et la baisse de lâaide internationale peuvent fragiliser son Ă©conomie. Dâautre part, ces changements pourraient inciter la Tunisie Ă diversifier ses partenariats Ă©conomiques et Ă renforcer sa production locale. Cette note analyse les impacts de ces mesures et propose des recommandations pour anticiper leurs effets.
1. Une nouvelle donne Ă©conomique mondiale
Protectionnisme et réorientation commerciale
Lâadministration Trump a intensifiĂ© ses politiques protectionnistes, notamment en augmentant les droits de douane sur les importations provenant de pays concurrents comme la Chine. Cette stratĂ©gie a perturbĂ© les chaĂźnes dâapprovisionnement mondiales, crĂ©ant un environnement commercial plus incertain pour les partenaires Ă©conomiques des Ătats-Unis, y compris la Tunisie.
Les mesures protectionnistes ont non seulement augmentĂ© le taux moyen des droits de douane sur les produits chinois mais ont Ă©galement encouragĂ© dâautres pays Ă adopter des pratiques similaires, exacerbant ainsi la conflictualitĂ© commerciale mondiale.
Le nouveau mandat de Trump pourrait conduire Ă une escalade encore plus prononcĂ©e du protectionnisme amĂ©ricain. Cela pourrait inclure lâimposition de droits de douane universels ou significativement accrus sur toutes les importations, ce qui risquerait dâentraĂźner une guerre commerciale mondiale. De telles mesures ne manqueraient pas dâaffecter nĂ©gativement le commerce international et potentiellement entraĂźner une perte du PIB mondial.
Réformes fiscales et croissance américaine
Les baisses dâimpĂŽts entreprises par lâadministration Trump visent principalement Ă stimuler lâĂ©conomie amĂ©ricaine en encourageant lâinvestissement privĂ© et la crĂ©ation dâemplois.
Cependant, ces rĂ©formes comportent des risques significatifs : elles pourraient creuser le dĂ©ficit budgĂ©taire amĂ©ricain et exacerber les inĂ©galitĂ©s sociales. Un dĂ©ficit budgĂ©taire accru pourrait avoir des implications importantes pour la stabilitĂ© financiĂšre globale et influencer nĂ©gativement les flux dâinvestissement vers des pays Ă©mergents comme la Tunisie.
En outre, ces politiques fiscales peuvent renforcer le rĂŽle dominant du dollar dans le commerce international tout en accentuant sa volatilitĂ© face aux autres devises. Cela complique encore davantage lâenvironnement Ă©conomique pour des pays dĂ©pendants du dollar dans leurs transactions internationales.
Appréciation du dollar et fluctuations monétaires
La politique monĂ©taire menĂ©e par la Fed a conduit Ă une apprĂ©ciation notable du dollar ces derniers mois, dâabord marquĂ©e par plusieurs hausses successives des taux directeurs. En 2024, la Fed a rĂ©duit ses taux Ă trois reprises (-0,25 % Ă chaque fois), mais elle adopte une approche plus prudente en 2025 en raison des risques inflationnistes liĂ©s aux mesures de Trump. Cette dynamique a rendu difficile la gestion de la dette extĂ©rieure pour de nombreuses Ă©conomies Ă©mergentes. AprĂšs lâĂ©lection de Trump, le dollar sâest apprĂ©ciĂ© de 3% en termes nominaux et de 4% face Ă lâeuro en novembre 2024, portĂ© par les annonces de tarifs douaniers universels et de baisses dâimpĂŽts.
Pour un pays comme la Tunisie dont une grande partie des transactions se fait en dollars (comme beaucoup dâautres), cette situation se traduit par un coĂ»t accru pour ses importations ainsi quâune inflation importĂ©e qui affecte directement le pouvoir dâachat intĂ©rieur. Lâinflation rĂ©sultante peut aggraver davantage lâinstabilitĂ© macro-Ă©conomique locale si elle nâest pas correctement gĂ©rĂ©e via une politique monĂ©taire adaptĂ©e ou grĂące Ă diversification accrue dans ses relations commerciales internationales.
2. ConsĂ©quences pour lâĂ©conomie tunisienne
Inflation et hausse des coûts des importations
LâapprĂ©ciation du dollar a un impact significatif sur lâĂ©conomie tunisienne, notamment en renforçant le coĂ»t des matiĂšres premiĂšres et de lâĂ©nergie. En 2024, les coĂ»ts de lâĂ©nergie ont augmentĂ© de 18%, tandis que les prix des produits alimentaires ont grimpĂ© de 12%. Ces hausses affectent directement le pouvoir dâachat des mĂ©nages tunisiens, dĂ©jĂ fragilisĂ© par un contexte Ă©conomique tendu. Lâinflation importĂ©e rĂ©duit la capacitĂ© des mĂ©nages Ă faire face aux dĂ©penses courantes, entraĂźnant une contraction de la consommation intĂ©rieure, moteur clĂ© de lâĂ©conomie nationale.
Par ailleurs, la dĂ©prĂ©ciation du dinar face au dollar complique la gestion des finances publiques, augmentant le poids de la dette extĂ©rieure libellĂ©e en devises et restreignant les marges de manĆuvre budgĂ©taires du gouvernement.
Commerce extérieur et investissements
Le commerce extĂ©rieur est fortement impactĂ© par la forte dĂ©pendance Ă lâĂ©gard du dollar pour environ 60% des transactions commerciales. Lâaugmentation du coĂ»t des importations pĂšse sur la balance commerciale tunisienne, particuliĂšrement dans les secteurs stratĂ©giques comme le textile et lâagroalimentaire. Le textile, qui reprĂ©sente une part significative des exportations tunisiennes, souffre de lâaugmentation du coĂ»t des matiĂšres premiĂšres importĂ©es (coton, teintures, Ă©quipements), rĂ©duisant ainsi la compĂ©titivitĂ© des entreprises locales sur les marchĂ©s internationaux. De mĂȘme, le secteur agroalimentaire, fortement dĂ©pendant des importations de cĂ©rĂ©ales et dâhuiles vĂ©gĂ©tales, voit ses coĂ»ts de production grimper, ce qui limite sa capacitĂ© Ă exporter Ă des prix compĂ©titifs et aggrave le dĂ©sĂ©quilibre commercial.
De plus, lâincertitude Ă©conomique mondiale combinĂ©e au rapatriement massif de capitaux a entraĂźnĂ© une baisse significative (15% en 2025) des investissements directs Ă©trangers (IDE), fragilisant ainsi davantage le tissu Ă©conomique local.
Les secteurs stratĂ©giques comme le textile et lâagroalimentaire sont particuliĂšrement touchĂ©s par cette dynamique. En outre, les exportations tunisiennes vers les Ătats-Unis, principalement dans le secteur agroalimentaire (huile dâolive conditionnĂ©e) et dans le textile (filiĂšre jeans), pourraient ĂȘtre impactĂ©es par la hausse annoncĂ©e des droits de douane.
Fluctuations du prix du pétrole
La production pĂ©troliĂšre amĂ©ricaine a atteint un niveau record en 2024, avec 13,2 millions de barils par jour, grĂące Ă lâassouplissement des rĂ©glementations environnementales et Ă lâaugmentation des investissements dans lâexploitation des gisements non conventionnels.
Cette surproduction, combinĂ©e Ă une politique Ă©nergĂ©tique axĂ©e sur lâindĂ©pendance des Ătats-Unis, exerce une pression Ă la baisse sur les prix du pĂ©trole, qui pourraient se stabiliser autour de 70 USD le baril.
Pour la Tunisie, un tel scĂ©nario prĂ©sente des avantages immĂ©diats, notamment une rĂ©duction de la facture Ă©nergĂ©tique du pays, qui dĂ©pend fortement des importations pour couvrir ses besoins en hydrocarbures. Une baisse du prix du pĂ©trole permettrait de contenir les coĂ»ts des carburants et de lâĂ©lectricitĂ©, limitant ainsi les tensions inflationnistes et allĂ©geant la pression sur le budget de lâĂtat.
Cependant, cette dynamique comporte aussi des risques majeurs pour lâĂ©conomie tunisienne. Une baisse prolongĂ©e des prix du pĂ©trole affecterait directement les revenus des pays exportateurs de pĂ©trole, en particulier ceux du Golfe. Une rĂ©duction des excĂ©dents budgĂ©taires de ces Ătats pourrait se traduire par une diminution des investissements directs Ă©trangers (IDE) en Tunisie.
De plus, les transferts financiers des travailleurs tunisiens expatriĂ©s dans les pays du Golfe pourraient Ă©galement ĂȘtre affectĂ©s par une contraction des revenus pĂ©troliers. Cette rĂ©duction des recettes entraĂźnerait des coupes budgĂ©taires dans les Ă©conomies du Golfe et de la Libye, ce qui impacterait lâemploi et les salaires des travailleurs Ă©trangers, y compris ceux dâorigine tunisienne. Il est crucial de suivre lâimpact de cette diminution des recettes pĂ©troliĂšres des pays limitrophes sur les exportations tunisiennes vers ces pays, ainsi que sur les dĂ©penses des touristes maghrĂ©bins et le soutien financier. Ces aspects doivent ĂȘtre observĂ©s avec prudence durant la pĂ©riode Ă venir.
Aide internationale et présence économique américaine en Afrique
La rĂ©duction des budgets allouĂ©s aux programmes dâaide amĂ©ricains, notamment via lâUSAID, limite considĂ©rablement les capacitĂ©s de financement des projets de dĂ©veloppement en Tunisie.
Historiquement, ces fonds ont soutenu des initiatives essentielles dans des domaines tels que lâĂ©ducation, la gouvernance, lâentrepreneuriat et les infrastructures, contribuant ainsi Ă la stabilitĂ© Ă©conomique et sociale du pays. La diminution de ces ressources, amorcĂ©e sous la premiĂšre administration Trump avec une rĂ©duction de 28% de lâaide bilatĂ©rale en 2018, et alors quâen 2023, le budget de lâUSAID sâĂ©levait Ă 43,79 milliards de dollars, risque de ralentir certains projets en cours, de fragiliser les ONG locales et dâaccroĂźtre la dĂ©pendance de la Tunisie Ă dâautres sources de financement, notamment europĂ©ennes et multilatĂ©rales.
Toutefois, en parallĂšle Ă cette rĂ©duction de lâaide directe, lâadministration Trump encourage un modĂšle alternatif basĂ© sur lâinvestissement privĂ© Ă travers des initiatives comme «Prosper Africa». Ce programme vise Ă stimuler les Ă©changes commerciaux et les investissements amĂ©ricains en Afrique en offrant des incitations aux entreprises souhaitant sâimplanter sur le continent.
Bien que la Tunisie ne figure pas parmi les pays prioritaires du programme, elle pourrait bĂ©nĂ©ficier indirectement de cette dynamique en renforçant ses relations commerciales avec les Ătats-Unis et en attirant des investisseurs intĂ©ressĂ©s par les opportunitĂ©s quâoffre lâĂ©conomie tunisienne, notamment dans les secteurs de la technologie, des Ă©nergies renouvelables et de lâindustrie manufacturiĂšre.
3. Enjeux et recommandations
Face aux défis économiques mondiaux actuels, notamment ceux induits par les politiques américaines et les fluctuations monétaires internationales, la Tunisie doit adopter des stratégies proactives pour renforcer sa résilience économique. Voici quelques pistes clés pour y parvenir :
Diversifier les partenariats Ă©conomiques
Face aux tensions économiques mondiales et aux évolutions de la politique américaine, la Tunisie doit adopter une approche proactive en diversifiant ses partenaires commerciaux.
Maintenir des relations solides avec lâUnion europĂ©enne tout en renforçant les liens avec la Chine pourrait offrir Ă la Tunisie une meilleure rĂ©silience face aux incertitudes mondiales. La Chine est dĂ©jĂ devenue le deuxiĂšme plus grand fournisseur de biens pour la Tunisie, aprĂšs la France. Cela permettrait Ă©galement dâexploiter pleinement les opportunitĂ©s commerciales offertes par ces deux gĂ©ants Ă©conomiques. La Tunisie bĂ©nĂ©ficie dĂ©jĂ de plusieurs accords commerciaux qui peuvent lui permettre dâĂ©largir ses dĂ©bouchĂ©s Ă lâinternational. Lâaccord dâassociation avec lâUE, ainsi que les accords prĂ©fĂ©rentiels avec des blocs rĂ©gionaux africains, offrent des opportunitĂ©s que les entreprises tunisiennes pourraient mieux exploiter Ă travers une stratĂ©gie dâexportation plus ciblĂ©e. En outre, lâexploration de nouveaux accords bilatĂ©raux avec des partenaires Ă©mergents, comme lâInde ou la Turquie, pourrait permettre Ă la Tunisie de diversifier encore davantage ses flux commerciaux et dâaccroĂźtre sa rĂ©silience face aux chocs externes.
Soutenir la production locale
Renforcer la production locale est essentiel pour rĂ©duire la dĂ©pendance aux importations et stabiliser lâĂ©conomie intĂ©rieure.
Le renforcement des chaĂźnes de valeur locales est essentiel pour favoriser une Ă©conomie plus autonome et rĂ©siliente. Il sâagit de soutenir des secteurs Ă©conomiques stratĂ©giques, tels que le textile, lâagroalimentaire, et dâautres industries locales. En investissant dans ces secteurs, on pourrait rĂ©duire la dĂ©pendance du pays vis-Ă -vis des importations. Cela implique Ă©galement dâamĂ©liorer lâintĂ©gration verticale dans ces secteurs.
Pour que ces investissements dans les secteurs stratĂ©giques soient rĂ©ellement fructueux, il est crucial dâencourager les entreprises locales Ă se dĂ©velopper et Ă ĂȘtre compĂ©titives Ă lâĂ©chelle internationale. Cela peut passer par un accĂšs facilitĂ© Ă des financements adaptĂ©s.
Optimiser la gestion monétaire et budgétaire
Une gestion prudente du systĂšme financier est cruciale pour limiter les impacts nĂ©gatifs des perturbations externes sur lâĂ©conomie tunisienne. Cela implique la mise en place de stratĂ©gies Ă la fois monĂ©taires et budgĂ©taires pour protĂ©ger la stabilitĂ© financiĂšre et soutenir le pouvoir dâachat des citoyens.
La politique monĂ©taire doit ĂȘtre un outil central dans la gestion des chocs externes, comme les fluctuations des taux de change, notamment lâapprĂ©ciation du dollar par rapport au dinar tunisien. Cette apprĂ©ciation peut rendre les importations plus chĂšres, exacerbant ainsi lâinflation et rĂ©duisant le pouvoir dâachat des citoyens.
Lâadaptation du budget national afin de soutenir la stabilitĂ© Ă©conomique face aux crises externes nĂ©cessite une gestion rigoureuse et visĂ©e des finances publiques, notamment par le biais de subventions ciblĂ©es, pour attĂ©nuer les effets nĂ©gatifs de lâinflation, en particulier en ce qui concerne les hausses de prix des biens essentiels.
Cela dit, la clĂ© du succĂšs rĂ©side dans notre capacitĂ© Ă mettre en Ćuvre ces mesures dĂ©jĂ Ă©voquĂ©es, qui sâavĂšrent de plus en plus urgentes pour permettre lâadaptation aux Ă©volutions Ă©conomiques mondiales et aux besoins de la population tunisienne.
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