Le stockage stratĂ©gique est-il la solution aux crises dâapprovisionnement ?
Au commencement, cet Ă©lĂ©ment dâhistoire : dans les annĂ©es 70, la Tunisie Ă©tait signalĂ©e et prĂ©sentĂ©e dans les documents officiels de la CommunautĂ© Ă©conomique europĂ©enne (CEE), actuellement Union EuropĂ©enne(UE), comme un pays de pĂ©nuries. Un demi-siĂšcle aprĂšs -bien un demi siĂšcle aprĂšs-, le pays prĂ©sente hĂ©las le mĂȘme profil de pays constamment confrontĂ©es Ă des insuffisances dâapprovisionnement du marchĂ© local.
En tĂ©moignent les pĂ©nuries dramatiques que le pays a connues, particuliĂšrement, ces derniĂšres annĂ©es, suite aux perturbations des chaĂźnes dâapprovisionnement enregistrĂ©es Ă travers le monde par le double effet de la pandĂ©mie du corona virus Covid 19 durant les annĂ©es 2019 et 2020 et des crises gĂ©opolitiques dont la guerre russo-ukrainienne.
Face Ă ces crises, les dirigeants politiques et Ă©conomiques qui se sont succĂ©dĂ© Ă la tĂȘte de la Tunisie, depuis un demi siĂšcle, nâont jamais Ă©tĂ© bien inspirĂ©s pour prĂ©voir des solutions voire des parades pĂ©rennes Ă ces pĂ©nuries gĂ©nĂ©rĂ©es, le plus souvent, par des facteurs exogĂšnes, et faisant subir aux tunisiens privations, frustrations et dĂ©sagrĂ©ments multiformes dont ils auraient pu se passer.
Parmi, ces parades, nos gouvernants avaient deux possibilitĂ©s de manĆuvre, soit accroĂźtre la production au niveau local et rĂ©aliser lâautosuffisance du pays en divers produits, soit recourir au stockage pour rĂ©guler le marchĂ© en pĂ©riode de pĂ©nuries.
Malheureusement, le pays nâa pas connu, un demi- siĂšcle durant, ni lâautosuffisance ni le stockage rĂ©gulateur. Câest ce qui explique lâacuitĂ© des pĂ©nuries connues par le pays, notamment, en ce qui concerne lâapprovisionnement en denrĂ©es alimentaires (farine, cafĂ©, lait, sucre, lĂ©gumes et produits Ă©nergĂ©tiques, pĂ©trole et gplâŠ).
Dans les pays industrialisés, le stockage est érigé en activité hautement stratégique
Pourtant un investissement dans le stockage aurait pu ĂȘtre bĂ©nĂ©fique pour le pays dâautant plus que ce mĂ©canisme ne nĂ©cessitait pas, et ce contrairement Ă lâautosuffisance alimentaire, ni des investissements lourds, ni une technologie sophistiquĂ©e.
Il sâagissait tout simplement dâacheter Ă bon marchĂ© les produits sur le marchĂ© (hydrocarbures et denrĂ©es alimentaires) quand leurs cours baissent, de les stocker pendant un certain temps et de les Ă©couler sur le marchĂ© lors de lâĂ©mergence des dysfonctionnement du marchĂ©.
Dans les pays industrialisĂ©s, le stockage est Ă©rigĂ© en activitĂ© hautement stratĂ©gique autant que le secteur productif, car il prĂ©sente lâavantage de contenir dans de bonnes proportions les effets nĂ©gatifs des pĂ©nuries et surtout de pouvoir ajuster, en temps rĂ©el lâoffre Ă la demande fluctuante des consommateurs.
Par ailleurs, le recours au stockage aurait pu faire gagner Ă la Tunisie dâimportantes Ă©conomies de devises surtout lorsque le pays ne peut pas en disposer pour diverses raisons dont le refus des bailleurs des fonds et du marchĂ© financier international privĂ© de lui accorder des crĂ©dits en devises comme cela a Ă©tĂ© le cas avec le FMI depuis quelques annĂ©es.
Néanmoins, la situation commence à changer. Nous relevons depuis quelque temps, une prise de conscience au niveau de la gouvernance du pays et une véritable volonté de développer la logistique du stockage du pays.
Lâoffice des cĂ©rĂ©ales donne lâexemple
A preuve, lâOffice des cĂ©rĂ©ales vient de rompre avec ce statu quo et de donner ainsi lâexemple Ă dâautres prestataires publics importateurs. Acteur clĂ© de la politique nationale de sĂ©curitĂ© alimentaire du pays, cette entitĂ© publique, qui importe 80% des besoins du pays en blĂ©, a pris, au mois de mars 2025, deux heureuses initiatives hautement stratĂ©giques visant Ă investir gros dans la logistique de lâOffice, sâagissant particuliĂšrement de la mise Ă niveau des silos existants et de la crĂ©ation de nouveaux.
AnnoncĂ©e, par Salwa Ben Hadid Zouari, PDG de lâOffice, la premiĂšre initiative a consistĂ© en la programmation, sur deux ans, dâun gros investissement de 205 MDT (66,5 M de dollars). Cet investissement est destinĂ© Ă construire, dâici fin 2027, de nouveaux silos pour le stockage des cĂ©rĂ©ales (blĂ© tendre, blĂ© dur et orge), dâune capacitĂ© totale de prĂšs de 120 mille tonnes. Les nouveaux silos seront situĂ©s dans les zones de RadĂ©s (capacitĂ© de 40 mille tonnes), de Sousse (58 mille tonnes) et de Sfax (38 mille tonnes).
La deuxiÚme initiative porte sur la réhabilitation, moyennant une enveloppe budgétaire de 143 MDT, des silos existants et dont la construction remonte à 1985, ces silos ayant une capacité de stockage de 206 mille tonnes.
Objectif : assurer des capacitĂ©s de stockage suffisantes, (actuellement 508 mille tonnes) aux fins dâabsorber les quantitĂ©s des cĂ©rĂ©ales collectĂ©es, de les conserver dans de bonnes conditions, et de maintenir le niveau de stock de sĂ©curitĂ©, grĂące Ă ces capacitĂ©s de stockage supplĂ©mentaires.
Rien que pour la saison 2024-2025 qui sâannonce bonne Ă la faveur des prĂ©cipitations hivernales (programmation de 200 mille hectares supplĂ©mentaires), des capacitĂ©s de stockage additionnelles de lâordre de 47 mille 500 tonnes ont Ă©tĂ© programmĂ©es, pour mieux gĂ©rer le flux cĂ©rĂ©alier.
Une fois lâensemble de ces investissements rĂ©alisĂ©s, lâOffice des cĂ©rĂ©ales, fort de cette capacitĂ© de stockage additionnelle, pourra ainsi mieux gĂ©rer les flux dâimportation, stocker Ă des pĂ©riodes oĂč les prix sont bas et Ă©viter les pĂ©nuries en cas de tensions sur les marchĂ©s mondiaux.
Dâautres Ă©tablissements publics et entreprises publiques importateurs peuvent suivre lâexemple de lâOffice des cĂ©rĂ©ales. Il sâagit principalement de lâOffice du commerce (OCT) et de la sociĂ©tĂ© des industries de raffinage (STIR) qui importent en devises les besoins du pays en hydrocarbures et en denrĂ©es alimentaires.
Leurs importations sont Ă lâorigine dâune grande proportion du dĂ©ficit commercial du pays lequel ne cesse de sâaggraver. LâidĂ©al serait, en attendant le dĂ©veloppement des Ă©nergies renouvelables au rythme souhaitĂ©, dâaccroĂźtre la capacitĂ© de stockage de la STIR Ă Bizerte et de celle de la Compagnie des transports par pipes line (TRAPSA) Ă Skhira, sachant quâavec « le trumpisme » les Ă©nergies fossiles ont encore de lâavenir.
Abou SARRA
EN BREF
Stockage stratégique : une nouvelle donne pour la Tunisie ?
- Depuis les années 70, la Tunisie souffre de pénuries récurrentes.
- Absence dâautosuffisance et de stockage rĂ©gulateur depuis 50 ans.
- LâOffice des cĂ©rĂ©ales investit 205 MDT pour construire de nouveaux silos (+120 000 tonnes).
- 143 MDT alloués à la réhabilitation de silos existants.
- Objectif : mieux gĂ©rer les importations, sĂ©curiser lâapprovisionnement, rĂ©duire les tensions sur les marchĂ©s.
- « Stocker, câest produire sans produire, anticiper sans subir. »
- Une stratĂ©gie simple, durable et enfin mise en Ćuvre.
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