Dans une étude intitulée “Tunisia’s Climate Crisis, Economic Downturn, and Growing Dependency on Algeria”, publiée sur le site web de Carnegie Endowment, Hamza Meddeb affirme que la crise climatique, conjuguée au ralentissement économique depuis 2011, a accru la dépendance croissante de la Tunisie à l’égard de l’Algérie.
«Depuis 2017, la Tunisie subit les effets du changement climatique de plus en plus marqués, notamment une grave sécheresse. Les échecs de gouvernance du président Kaïs Saïed n’ont fait qu’exacerber les vulnérabilités persistantes du pays», écrit le chercheur tunisien, membre du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center (Etats-Unis). Il ajoute : «Au cours des quatorze dernières années, la Tunisie a connu d’importants bouleversements politiques, notamment le processus de démocratisation qui a suivi le Printemps arabe de 2010-2011, l’effondrement démocratique consécutif à la prise de pouvoir du président Kaïs Saïed en 2021 et, plus récemment, le déploiement d’un processus chaotique de restauration autoritaire. Cependant, une dynamique critique a suscité moins d’attention : la crise climatique, qui a aggravé la trajectoire politique tumultueuse du pays. Depuis 2017, la Tunisie subit les effets du changement climatique de plus en plus marqués, notamment une grave sécheresse, une forte baisse du niveau des fleuves transfrontaliers qui coulent de l’Algérie vers la Tunisie et une réduction spectaculaire des réserves d’eau des barrages du pays. Ces facteurs ont conduit à des insécurités hydriques et alimentaires généralisées, provoquant une dégradation importante de l’agriculture et de l’élevage, notamment dans les régions frontalières avec l’Algérie.»
Aggravation de l’insécurité alimentaire
Hamza Meddeb estime que «l’aggravation de l’insécurité alimentaire en Tunisie a amplifié le déséquilibre des pouvoirs entre la Tunisie et l’Algérie, renforçant l’influence géopolitique de cette dernière sur son voisin plus faible et de plus en plus dépendant. Cette dépendance a aggravé la marginalisation de la Tunisie, tant au niveau régional qu’international, et l’a contrainte à s’aligner étroitement sur Alger».
Il convient de rappeler dans ce contexte que l’Algérie a construit ces vingt dernières années de nombreux barrages le long des fleuves transfrontaliers avec la Tunisie, ce qui, associé à une consommation d’eau accrue, ont considérablement réduit les niveaux d’eau en aval, entraînant de mauvaises récoltes et aggravant les difficultés financières des agriculteurs des régions du nord-ouest tunisien, le grenier du pays.
«Depuis 2017, l’Algérie met en œuvre une politique de développement ambitieuse en construisant des barrages le long des fleuves partagés avec la Tunisie, en étendant les réseaux d’irrigation et en développant les infrastructures de rétention d’eau telles que les lacs artificiels», rappelle Hamza Meddeb. Qui ajoute qu’«entre 2017 et 2019, l’Algérie a rapidement augmenté le nombre de ses barrages, de soixante-cinq à quatre-vingt-un, avec pour objectif d’atteindre 139 d’ici 2030.» En satisfaisant ainsi ses besoins d’irrigation dans les régions de l’est, l’Algérie réduit la quantité d’eau s’écoulant en aval, Résultat : la construction de barrages par l’Algérie sur l’Oued Mellegue et d’autres fleuves partagés a réduit les terres irriguées en Tunisie. «L’Oued Medjerda, le plus important fleuve transfrontalier de Tunisie, a connu une baisse significative de son débit suite à la construction d’un barrage en Algérie. Ce fleuve alimente en eau plus de la moitié de la population et constitue une ressource vitale majeure, 13,4% de la population tunisienne vivant dans son bassin», souligne à juste titre le chercheur.
Briser ce cercle vicieux
Pour briser ce cercle vicieux de la crise économique et financière et de la dépendance vis-à-vis de l’Algérie, aggravées selon lui par «la détérioration de ses relations avec les institutions financières internationales, le manque de soutien financier des pays du Golfe ou de l’Europe et son incapacité à accéder aux marchés financiers internationaux», l’auteur estime que «la Tunisie doit donner la priorité à la lutte contre le changement climatique en mettant en œuvre une stratégie d’adaptation globale pour relever les défis de la sécurité alimentaire.»
«Cela nécessitera des financements importants, d’où l’importance pour le pays d’abandonner son isolationnisme et de rechercher activement des soutiens financiers extérieurs», explique Hamza Meddeb. Il ajoute : «Le renforcement de la résilience climatique devrait inclure des mesures visant à préparer les infrastructures, les agriculteurs, les institutions et la société aux sécheresses et autres événements climatiques. Il devrait également inclure des mesures de protection sociale pour les populations rurales, telles que des programmes de transferts monétaires liés au climat qui pourraient aider les familles pauvres à faire face à la hausse des coûts alimentaires et aux mauvaises récoltes.»
«La Tunisie devrait également chercher à conclure un accord formel avec l’Algérie pour établir un cadre de gestion des ressources en eau partagées, notamment axé sur la régulation du débit des rivières transfrontalières et des sources d’eau souterraine», écrit-il. Et de conclure : «Enfin, la Tunisie doit dépasser le cadre des échanges transfrontaliers informels avec l’Algérie en concluant des accords commerciaux formels. La création de zones franches ou d’un accord de libre-échange plus large permettrait aux entreprises tunisiennes d’accéder plus facilement aux marchés algériens, de favoriser une intégration économique plus poussée et de réduire le déséquilibre actuel des relations bilatérales», sachant que l’Algérie représente actuellement l’un des plus importants déficits commerciaux de la Tunisie, avec la Chine, la Russie et la Turquie.
De petits groupes de criquets pèlerins ont été récemment aperçus dans le sud de la Tunisie, suite aux vents du sud ayant soufflé sur la région, a fait savoirle ministère de l’Agriculture dans un communiqué publié le 14 mars 2025, ajoutant que les opérations de surveillance et de suivi se poursuivent et que «la situation est sous contrôle». Occasion pour parler de ce fléau que notre pays connaît depuis des millénaires comme en témoigne la recherche historique, évoquée ici par l’auteur.
Hédi Fareh *
La sauterelle était toujours considérée comme un fléau «avorteur» et menaçant. Tous les pays tropicaux et subtropicaux en souffraient périodiquement. Les vagues ravageant de sauterelles causèrent des pertes matérielles très importantes. Les sources grecques, latines et arabes nous ont laissé une matière assez riche concernant le grand nombre d’invasions qui étaient, le plus souvent, suivies de famines et d’épidémies décimant les régions envahies par les acridiens.
Les recherches actuelles ont montré que presque tout le continent africain, à l’exception des parties centrales, boisées et humides, était soumis aux invasions de la sauterelle. On en distinguait plusieurs espèces. Les acridiens migrateurs appartiennent à la famille des Orthoptères sauteurs, qui comprend les locustides (ou sauterelles) et les acrides (ou criquets). Parmi les locustides, on ne compte aucune espèce nuisible. Quant à la famille des acrides, elle comprend deux types : les grands migrateurs et les petits migrateurs (Direction générale de l’Agriculture, «Les sauterelles», Revue Tunisienne, 1915, p. 155-190).
Les espèces dont les invasions étaient à redouter dans l’Afrique du Nord incarnaient le criquet pèlerin et le criquet marocain. Ce dernier type concernait surtout le Maroc et la partie occidentale de l’Algérie. La Tunisie, elle, subissait surtout l’invasion du criquet pèlerin, qui concernait la plus grande partie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe méridionale, l’Italie en l’occurrence.
La vie larvaire et nymphale du criquet connaît six périodes. À partir de la 4e période, qui dure entre 7 et 8 jours, c’est-à-dire du 18e ou 20e jour au 26e ou 27e jours après la naissance, les criquets montrent la plus grande activité et la plus grande voracité et forment les colonnes les plus redoutées dévastant tout sur leur passage. Pendant la 5e période, les criquets seront de plus en plus dangereux et ils forment des fois des colonnes de 4 et 5 Km de front sur 20 à 30 Km de profondeur, dévastant tout sur leur passage. Au cours de la 6e période, entre le 45e et le 50e jour, la mobilité et la voracité du criquet atteignent le maximum de développement : les colonnes parcourent jusqu’à 2 Km par jour et causent des dégâts considérables.
Contrairement aux jeunes, les criquets plus âgés montrent une voracité extraordinaire puisqu’un criquet pourrait manger l’équivalent de son poids, soit deux grammes par jour. Les criquets dévorent l’herbe. Mais les arbustes et les arbres les plus élevés n’en sont pas épargnés : les criquets ravagent les feuilles, l’écorce et les jeunes rameaux. Toutes les plantes cultivées, surtout les plus tendres d’entre elles, constituent une nourriture de prédilection pour le criquet.
Les témoignages historiques et archéologiques
Les contrées de l’Afrique du Nord étaient sous la menace de nuages de sauterelles avant et pendant la période romaine ainsi que pendant les périodes postérieures. L’apparition de la sauterelle est conditionnée par des phénomènes climatiques, surtout la sécheresse. En effet, c’est celle-ci qui orientait les sauterelles vers les contrées qui se trouvaient au nord du Sahara. Les sources anciennes confirmèrent cette constatation (Strabon, Géo., XVII, 3, 10).
Nos références littéraires sur la sauterelle en Afrique sont, en effet, très anciennes. Nous savons, par l’intermédiaire d’Hérodote (Histoire, Livre IV), que les Nasamons étaient non seulement des chasseurs de sauterelles mais qu’ils étaient aussi acridophages. C’étaient des acridiens sans ailes (?) que dévoraient à satiété, d’après Discoride, les indigènes de la région de Lepcis Magna (des Maces ?) mais qui n’étaient pas très loin des Nasamons.
En 125 avant J.-C., d’après les sources, arrivaient des colonnes de sauterelles dont les ravages atteignaient l’extrême nord de l’«Africa Proconsularis». En effet, l’historien tardif d’Orose (385-420 après J.-C.) nous présenta les deux cités d’Utique et de Carthage dévastées par les sauterelles (Orose, Historia contra pagano, V, II, 1-3).
Diodore de Sicile évoqua des méthodes utilisées par les habitants de l’Afrique orientale pour chasser la sauterelle. Pline l’Ancien (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VIII, 104), en se référant à Varron, nous informa que des Africains durent abandonner leur ville ou territoire après une invasion acridienne. Il parla aussi de la nature de la sauterelle, de sa reproduction, de sa ponte, de ses nuées et de ses ravages ainsi que des méthodes de lutte contre elle (Pline l’Ancien, XI, 101).
Pour l’Antiquité tardive, Synésios de Cyrène (Lettres, XLI-XLII) évoqua une invasion de sauterelle infestant la Cyrénaïque en 411-412 ap. J.-C. La catastrophe cyrénéenne pourrait toucher les provinces africaines eu égard à la proximité géographique des deux contrées.
Pour la période byzantine, le poète africain Corippus (auteur d’un poème, la Johannide, en huit chants et de 4700 vers) mentionna (Joh., II, 196- 203), plus d’une fois, le danger acridien et insista sur les effets des invasions de sauterelles sur l’homme et son milieu.
Il s’agit aussi de la sauterelle dans d’autres sources littéraires que nous n’avons pas pu consulter. L’épigraphie nous informe sur la catastrophe acridienne. Nous avons inventorié au moins cinq textes épigraphiques, trouvés tous en Proconsulaire, qui témoignent de la gravité de cette calamité pendant l’époque romaine. Le premier texte, le plus ancien, qui datait de l’année 48-49 après J.-C., était trouvé à Thugga. Il commémorait la carrière d’un curateur chargé de lutter contre la sauterelle. Rédigé dans la langue d’Homère, le deuxième texte (une célèbre inscription magico-religieuse trouvée dans la région de Bou Arada) avait pour but l’éloignement et la neutralisation (d’un domaine) de tous les avorteurs, y compris des essaims des criquets malfaisants.
Fig. 1 – Détail. Fig.1.
Quant au troisième texte, il concerne une inscription (CIL, VIII, 3657), trouvée à Lambaesis, qui commémore le nom d’un certain Lucustaruis. Il s’agit probablement d’un préposé chargé – pas forcément par l’État – d’organiser la «guerre» contre la sauterelle à l’instar de ce curator lucustae de Thugga.
La sculpture romano-africaine nous fournit quelques monuments figurés où la sauterelle est présente ; elle avait une valeur sans doute prophylactique. En la sculptant sur les monuments, le sculpteur (ou le commanditaire), voulait neutraliser ses méfaits nuisibles. Avec une valeur apotropaïque, le même insecte meuble le giron que forme la robe d’un Priape ithyphallique, d’Aïn Djeloula (l’ancienne Cululis) qui est aujourd’hui exposé au musée archéologique de Sousse (fig. 1).
En Numidie, à Thamugadi, il s’agit de cet insecte sur une stèle dédiée à Saturne : «en représentant une sauterelle sur cette pierre dédiée à Saturne, c’est le fléau acridien dans toute son ampleur que veut neutraliser le dédicant». Il en est de même pour la mosaïque où nous remarquons la présence de plusieurs ravageurs : criquets, grives, reptiles…
La sauterelle avorteuse des moissons
Il est évident que la sauterelle, partout où elle passait, semait l’horreur et la peur, car elle était considérée comme un ennemi fatal et inéluctable pour toute sorte de récoltes.
En effet, la sauterelle dévorait tout ce qui se trouvait sur son passage, avec une prédilection pour les plantes vertes, tendres et délicates. De surcroît, les criquets dévoraient généralement l’herbe et notamment les petites graminées (gazon, céréales…); mais ils grimpaient aussi aux arbustes et aux arbres les plus élevés qu’ils dépouillaient de leurs feuilles, de leurs écorces et de leurs jeunes rameaux. Ils dévoraient à peu près toutes les plantes cultivées, accordant la préférence à celles qui présentaient des organes jeunes et tendres. Nous trouvons l’écho de ces lignes dans l’inscription de Bou Arada commentée plus haut.
Les ravages des sauterelles sont évoqués par plusieurs sources littéraires qui concernent l’Afrique du Nord, que ce soit pendant la période romaine ou les périodes postérieures (A. Saadaoui, 1982, Les calamités et les catastrophes naturelles dans le Maghreb médiéval). Pour la période romaine, les textes des agronomes et des naturalistes étaient assez prolixes. Pline l’Ancien, par exemple, nous informa que «certains Africains avaient dû abandonner le territoire qu’ils occupaient après les ravages des sauterelles». Plus tardif, Orose mit l’accent sur une invasion infestant, fort probablement, toute l’Afrique en 125 av. J.-C., atteignant même les villes côtières, Carthage et Utique, entre autres. La description de Corippus des ravages des criquets nous paraît très expressive montrant à la fois les ravages nocifs de l’insecte, d’un côté et la peur des agriculteurs de perdre leurs récoltes face à cette catastrophe, de l’autre : «le cœur des paysans indécis tremble d’effroi : ils craignent que cet horrible fléau n’anéantisse les moissons, qu’il ne ravage les fruits délicats et les jardins verdoyants, ou ne blesse l’olivier en fleur aux tendres rameaux» (Joh., 196-203).
Les sources arabes parlent, elles aussi, de ravages acridiens infestant l’Ifriqiya. Ces données sont conformes à celles que nous devons aux sources antiques. La sauterelle dévorait les céréales, les vignobles et l’olivier, soit trois produits constituant le substrat de l’économie ancienne. En effet, en cas où les ravages de sauterelles avorteraient la récolte céréalière, la famine ou, du moins, la disette en seraient une conséquence immédiate, non seulement en Afrique, mais aussi à l’Urbs.
Habituellement, les sauterelles commencèrent leur conquête avec l’arrivée du printemps ou peu avant, c’est-à-dire vers une époque où les agriculteurs attendraient la maturité de leurs récoltes (surtout les céréales) ou pendant le bourgeonnement des plantes cultivées, surtout la vigne et l’olivier. L’arrivée des sauterelles augurait donc d’une catastrophe horrifiante.
Fig.2. Fig.3.
L’iconographie nous offre quelques représentations de la sauterelle ravageant les récoltes. Il s’agit, entre autres, de quelques mosaïques à thèmes dionysiaques montrant le dieu, souvent avec son cortège, au milieu d’un paysage dominé par des vignes chargées par leurs grappes lourdes et par des amours vendangeurs (fig. n°2). Nous avons l’impression que les mosaïstes voulaient nous dire que les vignes avaient conservé leurs grappes très lourdes, dont parlèrent plusieurs sources (Strabon, XVII, 3, 5), malgré les menaces des ravageurs (criquets, grives, lapins, etc.).
Dionysos, dieu du vin et de la vigne, était aussi, en Afrique, le dompteur et le vainqueur des ravageurs : il les neutralisa et les rendit incapables d’avorter la récolte viticole. Il nous semble aussi qu’à l’image d’Apollon en Grèce, Dionysos fut le dieu chargé de détourner la sauterelle en Afrique, pendant la domination romaine. En effet, cette hypothèse pourrait justifier cette représentation de la sauterelle avec le dieu Dionysos sur plusieurs tableaux de mosaïques : il s’agit, par exemple, de cette mosaïque ornant jadis les thermes de Bir el Caïd, situés légèrement au sud/sud-est de la Qasba de Sousse, où nous voyons, sur un champ formé d’un semis de branchages, divers personnages et animaux. En bas du champ, nous voyons, selon toujours L. Foucher, un jeune homme blond ailé. L’auteur pense qu’on a affaire à un Shadrapa qui s’est mis à genoux pour mieux attraper une sauterelle (fig. n°3).
Une autre mosaïque, trouvée à Thysdrus et dite Grande mosaïque au Silène, nous présente Silène avec des amours vendangeurs, quelques volatiles et des sauterelles, au moins quatre dont une attaque une grappe de raisin (fig. n°4 a et b). Une autre mosaïque de Thysdrus (conservée au Musée du Bardo) illustre le triomphe de Dionysos dans un décor de vignes. Sur cette mosaïque, nous pouvons aisément voir, de par le dieu, le cortège et les amours, quelques ravageurs (sauterelles, grives, reptiles, lapins).
Fig.4. Fig.5.
Les sauterelles répandaient famines et épidémies
Certes, l’homme saharien trouva dans la sauterelle un repas gratuit et abondant couvrant une période assez longue (après sa préparation, la sauterelle peut être consommée même après six ou sept mois (Hérodote, Histoire, Livre IV)). Mais, les criquets, avant d’être consommés, avaient déjà tout dévoré sur le passage. Devant une telle situation, les Romains n’hésitaient pas à recourir aux livres sibyllins, par crainte de la famine (Pline l’Ancien, XI, 105).
En plus de la famine, les ravages acridiens contribuaient à l’élévation des prix qui pourraient atteindre un stade très élevé. C’était la même chose au Moyen Âge, où les sources évoquèrent les nuages de sauterelles et concomitamment la hausse des prix. Ce fut le cas, par exemple, en : 1136-1137, 1220-1221, 1280-1281, ainsi que dans plusieurs autres cas mais sans pouvoir fournir de précisions chronologiques (Saadaoui, p. 78-79).
En fait, la famine et les disettes constituaient de véritables causes de l’apparition et de l’expansion des épidémies et peut-être même des épizooties susceptibles de transmettre la maladie à l’Homme (la «peste» de 125 av. J.-C. par exemple?).
Somme toute, il est évident que les criquets constituent une catastrophe naturelle inéluctable infestant à la fois l’homme et son milieu. Ils engendrent des catastrophes d’ordres :
– naturel (dégradation de la couverture végétale, aridification et désertification);
– biologique (car la sauterelle ravageait la faune entourant l’homme, surtout le bétail et même les animaux sauvages, puis l’homme lui-même par la diffusion de la famine et des épidémies incurables dues à la contagion ou à la sous-alimentation);
– psychologique, d’où cette appréhension de la famine, expressivement déclarée par Corippus (II, 198), et de la mort à tel point que l’agriculteur préférait parfois garder les semences chez soi que les ensevelir sous terre et les exposer pour une récolte non assurée. Pour cela, l’agriculteur se trouva obligé de chercher ou d’inventer des moyens lui permettant de lutter contre une telle catastrophe.
Comment lutter contre les sauterelles ?
Homère nous enseigna sur la plus ancienne méthode utilisée pour combattre la sauterelle : combattre ces insectes avec des barrières de feu (Homère, Iliade, XXI, 12-14, t. IV, Chants XIX-XXIV). Il s’agit de la même technique décrite par Diodore de Sicile et adoptée par les habitants de l’Afrique orientale (Diodore de Sicile, III, 29, 2-3). En Cyrénaïque, un tel danger poussa les autorités à décréter une loi ordonnant à la population la destruction des œufs de criquets, des sauterelles adultes et bannissant très sévèrement les contrevenants (Pline l’Ancien, XI, 105-106).
Selon Strabon (Géographie, 3, 4, 17), les Romains de Cantabrie devaient payer une prime aux chasseurs de rongeurs. La réaction officielle est visible aussi à travers l’affectation de préposés chargés de diriger des opérations contre ce fléau qui attaquait la région surtout pendant le printemps. Ce fut le cas dans l’ancien territoire de Carthage, à Dougga où un tel danger incita les autorités de la ville à nommer un cur(ator) lucustae (curateur de la sauterelle) sur la pertica de Carthage en 48-49 de l’ère chrétienne.
À peu près 19 siècles plus tard, nous remarquons la même réaction de l’État à cette même catastrophe. En fait, les mêmes causes produisant les mêmes effets, au printemps de 1932, les autorités décidèrent la constitution d’un comité local de lutte à Gabès pour arrêter une invasion acridienne menaçant de détruire l’oasis.
D’autre part, l’onomastique nous autorise à dire qu’il y avait des préposés chargés de la lutte contre la sauterelle, éparpillés et répandus çà et là dans les régions menacées. Par exemple, le surnom de Lucustarius, attesté à Lambèse, pourrait se rapporter à quelqu’un qui aurait lutté contre les sauterelles.
Entre autres solutions adoptées par les Anciens pour lutter contre le fléau acridien convient-il de mentionner la magie ? En effet les propriétaires ou les colons avaient recours à cette pratique pour protéger leurs champs et surtout pour garantir et sauver leurs moissons et les protéger des sauterelles et de toute autre catastrophe. N’était-ce pas le cas à Bou Arada où, pour neutraliser le danger acridien, on a dû demander la protection magico-divine de neuf dieux; c’était aussi le cas de Furnos où les tablettes de bronze mentionnent clairement la sauterelle.
Quoi qu’il en soit, la sauterelle constituait, hier comme aujourd’hui, une catastrophe nécessitant une intervention officielle. Cette catastrophe s’aggrave encore quand elle s’accompagne d’une famine ou d’une épidémie.
* Professeur à laFaculté des lettres et des sciences humaines de Sousse.
Bibliographie :
J. Desanges, 2006, «Témoignages antiques sur le fléau acridien», in J. Jouanna, J. Leclant et M. Zink ed., L’Homme face aux calamités naturelles dans l’Antiquité et au Moyen Age, Paris, p., 224.
H. Fareh, 2017, Catastrophes naturelles, famines et épidémies en Afrique du Nord antique (146 avant J.-C. – 698 après J.-C.). Thèse de doctorat inédite, FLSH de Sousse.
H. Fareh, 2021 «Maux et fléaux en Byzacène (146 av. J.-C. /698 ap. J.-C.)». In : A. Mrabet (éd.), 2021, Byzacium, Byzacène, Muzaq : Occupation du sol, peuplement et modes de vie. Actes du VIe colloque international du Laboratoire de Recherche : «Occupation du sol, peuplement et modes de vie dans le Maghreb antique et médiéval», p. 397-423.
N. Ferchiou et A. Gabillon, 1985, «Une inscription grecque magique de la région de Bou Arada (Tunisie), ou les 4 plaies de l’agriculture antique en Proconsulaire», dans BCTHS, ns. Fasc. 19B, p.109-125.
Légende des figures :
Fig. 1. Priape ithyphallique (Musée de Sousse, cliché H. Fareh).
Fig. 2. La sauterelle de Thysdrus, mosaïque conservée in situ (cliché H. Fareh).
Fig. 3.Un jeune génie ailé essayant d’attraper une sauterelle (Musée de Sousse, cliché H. Fareh).
Fig. 4 a et b. Mosaïque dionysiaque (Eljem) avec la représentation de la sauterelle (cliché H. Fareh).