Soyons clairs, la Tunisie ne saurait faire face, seule, à la problématique de la migration clandestine. La question revêt, désormais, de vraies dimensions géopolitiques.
Rien qu’au niveau légal, l’Europe est aussi impliquée, en bloc et au cas par cas ; de nombreux pays africains subsahariens pourvoyeurs des vagues d’immigrants clandestins aussi ; sans parler des Etats maghrébins d’où sont exfiltrés les immigrants clandestins vers la Tunisie, sachant que des cinq pays maghrébins, seule la Tunisie n’a pas de frontières directes avec les Etats subsahariens ; ajoutons-y les organisations internationales supposées collaborer en bonne et due forme mais étrangement domiciliées aux abonnés absents. Au niveau extra-légal, il y a bien évidemment les réseaux du crime organisé transnational impliqué dans la traite des migrants et le trafic d’organes. Ceux-là mêmes dont les caïds et les pontes jouissent d’une étrange impunité dans maints pays et paradis fiscaux européens notamment.
C’est dire si la Tunisie, qui focalise toutes les attentions, et même les malintentions, n’a guère le beau rôle dans ce triste concert. Et c’est là qu’intervient la problématique du laxisme, de l’inefficience ou tout simplement de la déconfiture des organisations internationales, notamment celles liées à la migration, dont l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Recevant, le 26 mars M. Mohamed Ali Nafti, ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, le Président de la République, Kaïs Saïed, a évoqué la nécessité d’assurer le retour volontaire des migrants en situation irrégulière présents en Tunisie vers leurs pays d’origine. Il s’avère, en fait, que, depuis le début de l’année, seuls 1.544 migrants ont bénéficié de ce dispositif. Un chiffre dérisoire eu égard aux potentialités réelles. En fait, le retour volontaire des immigrés clandestins est la principale voie d’issue à ce phénomène aux dimensions aussi bien humanitaires que juridiques. La coopération entre les autorités tunisiennes et l’Organisation internationale pour les migrations pourrait être plus efficace en la matière.
On a cependant l’impression qu’il y a une espèce de dialogue de sourds entre la Tunisie et certaines organisations internationales liées à la migration, l’OIM en prime. Pourtant, l’OIM est bien une organisation liée aux Nations unies, c’est même l’« agence de la migration des Nations unies », aux dires de son ancien directeur-général, William Lacy Swing. Et, à bien y voir, les Etats demeurent la pierre angulaire du système juridique international. Rien ne sert dès lors, pour certaines organisations internationales, de minimiser le rôle des Etats ou d’endosser des rôles d’ONG qui, ce faisant, sont conséquentes avec leurs statut et vocations.
En outre, toute organisation internationale est par essence soumise aux règles de transparence, de contrôle et de redevabilité. Je parle ici du droit citoyen de base qui examine et s’interroge. D’où l’inévitable question qui s’impose : les budgets alloués à l’OIM, destinés initialement aux questions des retours volontaires des immigrés clandestins vers leurs pays d’origine, ne sont-ils pas plus importants que les actions entreprises sur le terrain ?
On a beau chercher des chiffres, des données factuelles, circulez il n’y a rien à voir, nous dit-on. Mystère et boule de gomme. Pourquoi diable ce mutisme en présence de questions qui polarisent les passions de l’opinion dans tous les sens ?
En fait, à bien y voir, dans cette problématique, lancinante et à bien des égards, douloureuse, il y a beaucoup de non-dits :
• Ceux des pays européens prétendument démocratiques qui s’assument carrément en forteresse cadenassée. Pis : ils veulent confiner la Tunisie dans l’infame rôle de gendarme de leurs frontières ou de vaste camp de concentration et de détention des immigrés clandestins en provenance d’Afrique subsaharienne. Autant de propositions indécentes que la Tunisie récuse, il va de soi.
• Il y a les non-dits aussi de certaines organisations internationales plus promptes à lâcher et fustiger les Etats qu’à dénoncer et combattre les réseaux du crime organisé transnational.
• Il y a également les non-dits des interférences entre les desseins scabreux des réseaux crapuleux et néo-esclavagistes, d’un côté, et certains acteurs de la sphère humanitaire ou déguisée en instances humanitaires, de l’autre.
• Sans oublier les non-dits des incommensurables souffrances des éternels laissés-pour-compte. Il s’agit en l’occurrence autant des immigrés clandestins soumis au parcours du combattant dès le départ, extorqués, volés, opprimés dans leurs droits les plus élémentaires, violés, vendus, noyés, estropiés ou tués sans être, au préalable, détroussés de quelques organes vitaux ; de l’autre, les Tunisiens souffrant des méfaits d’une immigration clandestine à leurs dépens aux risques et périls de leurs biens, de leur sécurité, de leur vie.
L’amer constat s’impose là aussi. Refouler une question vitale, éluder les souffrances et les douleurs des hommes, cela équivaut à cacher sous le boisseau des bombes à retardement dont les effets pervers et ravageurs se feront un jour ou l’autre lourdement ressentir. Au détriment de tous.