Une valorisation saine du phosphogypse nécessite une forte collaboration entre la recherche scientifique et l’industrie, estime Ahmed Hichem Hamzaoui, professeur et directeur du Laboratoire de valorisation des matériaux utiles, rattaché au Centre National de Recherches en Sciences des Matériaux (CNRSM).
Dans une déclaration à l’agence TAP, Hamzaoui a souligné qu’il est essentiel d’établir une relation de confiance solide entre les industriels et le monde de la recherche afin de garantir que cette valorisation respecte les normes techniques, scientifiques et environnementales requises.
En effet, la décision du Conseil ministériel restreint (CMR) du 5 mars 2025, de retirer le phosphogypse de la liste des déchets dangereux pour l’enregistrer comme un produit à valeur ajoutée à utiliser dans divers domaines « selon des conditions préétablies », a suscité une polémique en Tunisie.
Ce sous-produit, issu du traitement chimique de la roche et actuellement stocké à Sfax et Gabès, a toujours été perçu comme une source de pollution de l’environnement, notamment pour les habitants de ces deux gouvernorats. Il est constitué, entre autres, de sels de métaux lourds et d’éléments radioactifs, et contient des contaminants dont les effets sur l’équilibre des écosystèmes continentaux et marins, ainsi que sur la santé humaine, sont largement reconnus, comme le cadmium et le mercure.
Le retrait du phosphogypse de la liste des déchets dangereux a été contesté par 28 organisations de la société civile, qui se sont associées au cri d’alarme lancé par le mouvement « Stop Pollution à Gabès », qualifiant cette décision de « grave recul par rapport aux engagements environnementaux » et de « perpétuation de pratiques de développement nuisibles à l’environnement et affectant la santé des citoyens de Gabès ».
Pointant du doigt le manque de recherches scientifiques sur les procédés de transformation de ce sous-produit, tant en Tunisie qu’à l’étranger, le responsable a affirmé qu’il pourrait être transformé en d’autres produits à valeur ajoutée sur le plan industriel (ciment, plâtre, etc.).
« Une expérience de transformation du phosphogypse en produits industriellement utiles a été menée au sein du Laboratoire de Valorisation des Matériaux Utiles (brevet déposé depuis 2018) », a-t-il précisé.
« Nous aspirons à ce que cette solution soit réalisée à une échelle pilote pour valider davantage ce procédé. Nous avons également travaillé depuis 2016 avec le Groupe chimique tunisien sur ce sujet et avons développé un protocole qui valorise le phosphogypse en utilisant le fluore rejeté. Ce projet a été transféré à l’administration centrale du GCT, mais n’a toujours pas reçu de suite. En 2022, nous avons déposé un nouveau projet de valorisation du phosphogypse qui a été rejeté par le ministère de tutelle, malgré notre possession d’un brevet, et nous allons reprendre cette initiative cette année ».
« Tout cela pour dire que la Tunisie ne pourra mener ce genre d’initiative d’une manière pleinement saine sur le plan environnemental et sanitaire que si les travaux de recherche sont appliqués à une échelle pilote puis industrielle, et si une bonne confiance est instaurée entre les industriels et la recherche scientifique. »
L’universitaire recommande, ainsi, des analyses périodiques concernant la radioactivité du phosphogypse et la présence de métaux lourds au niveau du produit et du sol, afin de s’assurer du respect des normes requises. Il souligne également qu’il est essentiel d’insister sur la valorisation des rejets après la transformation du phosphogypse, pour garantir un zéro déchet à la fin de l’opération.
Nécessité de procéder à une étude économique de la valorisation du phosphogypse
En effet, plusieurs études ont exploré les différentes options possibles pour le recyclage de ce dérivé du phosphate. « La gestion du phosphogypse tunisien est un problème environnemental difficile à résoudre en raison des quantités produites et de la composition chimique du produit », constate une étude menée en 2000.
« Il apparaît que la gestion du phosphogypse tunisien passe d’abord par une amélioration des conditions de stockage actuelles, dans le respect des normes environnementales, et par une augmentation des capacités de stockage. »
Néanmoins, « une valorisation dans le domaine de la technique routière semble envisageable pour la réalisation de couches de chaussée ou de pistes dans le Sud tunisien, une région peu pluvieuse et relativement proche des centres de production. »
Le phosphogypse pourrait également être valorisé dans l’industrie du plâtre, mais en Tunisie, cette voie présente des limites. Le pays dispose de ressources suffisantes en gypse pour alimenter tous les fours à plâtre, et le coût des traitements de purification du phosphogypse, nécessaire pour l’utiliser comme substitut au gypse naturel, rend cette solution économiquement non viable.
Pour la fabrication du ciment Portland, l’étude évoque des procédés de traitement de purification très coûteux. « L’utilisation du phosphogypse dans la production combinée d’acide sulfurique et de ciment, bien que séduisante en principe, n’est pas économiquement compétitive avec les procédés classiques. »
Il ressort donc la nécessité de procéder à « une analyse économique pour évaluer cette valorisation par rapport aux solutions primaires possibles, telles que le retour à la mine ou le stockage contrôlé. »
De plus, cette valorisation doit prendre en compte les données technico-économiques et environnementales et privilégier les applications dans le Sud tunisien, afin de limiter les transports et les risques liés à la lixiviation par les eaux de pluie.
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