Câest un jeune entrepreneur souriant et chaleureux que nous avons rencontrĂ© dans un cafĂ© du centre-ville de Tunis. Une vĂ©ritable encyclopĂ©die ambulante, passionnĂ© par la technologie, amoureux de lâart et fou de la vie.
Il sâagit de Omar Bouattay, Co-founder et CEO de Universa Hub Africa, surtout symbole dâune jeunesse innovatrice fĂ©rue de savoir et dâespoir. Voici lâinterview, exclusive, quâil a acceptĂ© dâaccorder Ă leconomistemaghrebin.com.
Parlez nous de votre parcours :
Jâai commencĂ© mes Ă©tudes primaires Ă Boudebdelli, oĂč jâai suivi les trois premiĂšres annĂ©es avant de partir en France, Ă Paris, en raison du travail de mes parents. Jây ai terminĂ© ma scolaritĂ© primaire avant de revenir en Tunisie. Jâai ensuite Ă©tudiĂ© au collĂšge Pierre MendĂšs France Ă Mutuelleville, puis au lycĂ©e Gustave Flaubert Ă La Marsa, oĂč jâai obtenu un baccalaurĂ©at scientifique.
AprĂšs le bac, jâai poursuivi mes Ă©tudes aux Ătats-Unis, Ă lâuniversitĂ© de Boston, avec une derniĂšre annĂ©e en Ă©change Ă Shanghai, Ă lâuniversitĂ© USSI.
Ensuite, jâai rejoint mes parents au Maroc pour une annĂ©e sabbatique, avant de revenir en Tunisie pour effectuer mon stage de fin dâĂ©tudes.
En 2016, jâai intĂ©grĂ© Vneurone, une entreprise tunisienne spĂ©cialisĂ©e dans la digitalisation des processus mĂ©tiers et la business intelligence, oĂč jâai travaillĂ© pendant six mois. Jâai ensuite effectuĂ© un autre stage de six mois au Maroc, dans un cabinet de ressources humaines spĂ©cialisĂ© dans le coaching professionnel, aussi bien pour les cadres exĂ©cutifs que pour les Ă©quipes de production.
Câest ainsi que jâai progressivement intĂ©grĂ© le monde professionnel. Puis, en septembre 2017, lors dâun workshop en ligne, jâai fait la connaissance de mon associĂ© actuel, Alexander Borodich. Il mâa parlĂ© de son projet de dĂ©veloppement de Universa et nous avons rapidement accrochĂ©. Nous avons Ă©changĂ© sur la maniĂšre dont je pouvais contribuer Ă son expansion en Afrique, un marchĂ© souvent nĂ©gligĂ©. Nous avons alors convenu de lâinviter en Tunisie, et il est venu Ă lâoccasion de Bizerte Smart Cities, une confĂ©rence dĂ©diĂ©e aux villes intelligentes.
Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser dans la blockchain ?
En 2011, lors de mes annĂ©es dâĂ©tudes Ă Boston, jâai Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© quelques jours par un ami qui poursuivait un master en dĂ©veloppement technologique. Il mâa parlĂ© du Bitcoin. Ă lâĂ©poque, il avait un Mac, mais aussi un PC sous Windows, car il Ă©tait alors impossible dâaccĂ©der au Bitcoin depuis un Mac. La communautĂ© Ă©tudiante en parlait dĂ©jĂ , et il mâa montrĂ© comment lâutiliser. Curieux, jâai voulu comprendre son fonctionnement. Ă ce moment-lĂ , le Bitcoin nâavait pas de valeur monĂ©taire ; il sâapparentait plutĂŽt Ă des tokens, comme des points de fidĂ©litĂ©. Ce qui mâintĂ©ressait avant tout, câĂ©tait son aspect technique.
De retour en Tunisie pour les vacances, jâen ai parlĂ© Ă mon pĂšre. Je lui ai expliquĂ© quâil sâagissait dâun jeton Ă©lectronique basĂ© sur la cryptographie. Quant Ă la blockchain, je la comparais Ă une recette de cuisine, comme une ojja, une chakchouka ou une paella : chacune a son histoire et sa propre maniĂšre dâĂȘtre prĂ©parĂ©e.
La blockchain repose sur une combinaison de deux technologies fondamentales : la cryptographie asymĂ©trique et les systĂšmes distribuĂ©s. Ainsi, les informations sont Ă la fois partout et nulle part, infalsifiables et non falsifiĂ©es. Pour y accĂ©der, lâutilisateur doit possĂ©der une clĂ© spĂ©cifique qui lui permet de les consulter ou de les modifier. Mon pĂšre a trouvĂ© cela intĂ©ressant et mâa encouragĂ© Ă approfondir le sujet. Puis est venu lâessor de la blockchain en 2017. Ce qui me fascine dans cette technologie, câest sa capacitĂ© Ă crĂ©er des entitĂ©s numĂ©riques uniques et Ă ouvrir la voie Ă des usages avancĂ©s, notamment dans la certification numĂ©rique.
Lorsque jâai recroisĂ© mon ami au moment de cette effervescence, mon intĂ©rĂȘt pour la blockchain sâĂ©tait dĂ©jĂ solidement ancrĂ©.
Quels sont les principaux services que vous proposez ?
Nous proposons une technologie blockchain brevetĂ©e, dĂ©veloppĂ©e en interne, et mise Ă la disposition des entreprises ainsi que des institutions publiques. Lâobjectif est de leur permettre de crĂ©er leur propre rĂ©seau et dây intĂ©grer leurs services spĂ©cifiques.
Nous offrons également des services B2C destinés directement aux clients finaux, tels que My Document, une solution de signature électronique, ainsi que Uni Paiement, une solution de paiement électronique.
Ainsi, nous nous positionnons à la fois comme fournisseur de services et éditeur de solutions technologiques basées sur la blockchain.
Par ailleurs, nous développons des applications directement destinées aux clients, en exploitant pleinement le potentiel de cette technologie.
Comment la blockchain peut-elle contribuer au développement économique en Tunisie ?
A ce stade, cette question est aussi intĂ©ressante que complexe. La Tunisie ne dispose pas de grandes ressources miniĂšres ni tertiaires, et elle manque Ă©galement dâinfrastructures et de flux dâĂ©changes commerciaux dynamiques. Nous produisons trĂšs peu et, surtout, nous ne fabriquons pas de produits hautement compĂ©titifs Ă lâĂ©chelle rĂ©gionale ou internationale.
Par ailleurs, nous faisons face Ă de nombreuses contraintes, notamment en matiĂšre dâinfrastructures et de politique monĂ©taire, puisque les Ă©changes doivent se faire en devises Ă©trangĂšres, ce qui complique encore davantage les transactions internationales. Nous sommes souvent dĂ©valorisĂ©s et contraints de brader nos prix pour vendre Ă lâĂ©tranger.
Je parlais hier Ă mes parents de cet exemple : une boĂźte de thon tunisienne coĂ»te moins cher en France que chez un Ă©picier tunisien. Les usines tunisiennes bradent leurs productions destinĂ©es Ă lâexportation pour obtenir des devises Ă©trangĂšres, car cela leur est plus avantageux, alors que les prix sur le marchĂ© local sont gonflĂ©s. Dans ce contexte, notre principal atout rĂ©side dans les services technologiques. Nous avons une population extrĂȘmement bien Ă©duquĂ©e, avec des avancĂ©es significatives dans le domaine de la technologie.
« Nous faisons face Ă de nombreuses contraintes, notamment en matiĂšre dâinfrastructures et de politique monĂ©taire, puisque les Ă©changes doivent se faire en devises Ă©trangĂšres, ce qui complique encore davantage les transactions internationales. Nous sommes souvent dĂ©valorisĂ©s et contraints de brader nos prix pour vendre Ă lâĂ©tranger ».
Dâailleurs, les trois plus grosses acquisitions de startups technologiques en Afrique concernent des entreprises tunisiennes : InstaDeep, Expensya et GoMyCode. Nous excellons dans la crĂ©ation de solutions de services et sommes des pionniers dans la technologie sur le continent.
Cependant, le Maroc nous a rĂ©cemment dĂ©passĂ©s, notamment grĂące Ă de meilleures infrastructures et Ă une vĂ©ritable volontĂ© nationale dâaller de lâavant. En Tunisie, malgrĂ© de nombreuses initiatives, nous assistons aujourdâhui Ă un ralentissement du secteur.
Mais nous avons dĂ©jĂ jetĂ© les bases dâun Ă©cosystĂšme technologique. LâidĂ©al serait de poursuivre dans cette voie en nous concentrant sur les services. La technologie est un levier puissant, car elle permet de crĂ©er de la valeur avec peu dâinfrastructures et un investissement initial rĂ©duit.
De plus, nous ne sommes pas un pays trĂšs peuplĂ©, ce qui limite notre force de travail industrielle, mais nous avons une main-dâĆuvre hautement qualifiĂ©e sur le plan intellectuel. Câest lĂ que la blockchain peut jouer un rĂŽle clĂ©. Nous pouvons devenir un vĂ©ritable hub technologique, notamment dans la blockchain, en dĂ©veloppant des services financiers, des solutions dâĂ©change et de communication, ainsi que des systĂšmes de stockage sĂ©curisĂ©s.
Il serait pertinent de lancer une initiative nationale pour intĂ©grer la blockchain dans les administrations publiques et crĂ©er des applications basĂ©es sur cette technologie. Investir dans la blockchain, plus largement dans les services technologiques et lâintelligence artificielle, permettrait de rĂ©duire notre dĂ©ficit commercial tout en proposant des services Ă forte valeur ajoutĂ©e, sans nĂ©cessiter dâindustries lourdes ou dâimportantes ressources initiales.
« Il serait pertinent de lancer une initiative nationale pour intégrer la blockchain dans les administrations publiques et créer des applications basées sur cette technologie ».
Je peux en tĂ©moigner par mon expĂ©rience personnelle : un investisseur Ă©tranger est venu en Tunisie avec lâobjectif de dĂ©ployer la blockchain en Afrique. Cela va crĂ©er des emplois, inspirer de nouveaux talents et favoriser lâĂ©mergence de solutions parallĂšles.
Un nouvel Ă©cosystĂšme peut se mettre en place, avec des entrepreneurs qui dĂ©velopperont leurs propres applications et solutions innovantes. La blockchain reprĂ©sente donc une opportunitĂ© majeure pour lâĂ©conomie tunisienne.
Comment la blockchain peut-elle contribuer au développement économique en Afrique ?
LâAfrique est le continent oĂč il y a le plus de transactions Blockchain au monde, chose que peu de gens connaissent. En effet, il y a un grand problĂšme monĂ©taire en Afrique. Il y a plusieurs rĂ©gions, plusieurs pays, il existe Banque centrale de lâAfrique de lâEst (BEAC) et une Banque centrale de lâAfrique de lâOuest (BCAO), il y a plusieurs monnaies dans de mĂȘmes zones monĂ©taires, etc.
Mais, il y a le Bitcoin. Tout le monde sâachĂšte, se distribue au tĂ©lĂ©phone. Il y a aussi le grand problĂšme du decashing et celui du cash. Tous les villages africains nâont pas de banques et donc pas de comptes et pas de cash qui coĂ»te dâailleurs extrĂȘmement cher en Afrique. Le Bitcoin remĂ©die Ă tout cela.
On a eu en Afrique un gros boom du mobile payment. On Ă©tait les leaders du mobiles payment. LâAfrique est le plus grand continent de transactions de cash. Avec 228 millions dâhabitants, le Nigeria est le pays oĂč il y a le plus de transactions blockchain au mondeâŠ
On peut crĂ©er notre blockchain puisque nous la consommons. Pourquoi ne pas baser nos monnaies africaines sur la blockchain et ĂȘtre plus compĂ©titifs, et au mĂȘme pied dâĂ©galitĂ© avec les autres monnaies internationales ? Pourquoi dĂ©pendre dâautres systĂšmes tels que le FMI, la Banque mondiale, etc. ? Du coup, on pourrait avoir une valorisation financiĂšre monĂ©taire avec les autres continents.
Vous avez signĂ© un partenariat avec lâAgence Tunisienne dâInternet (ATI) en 2020. Quels ont Ă©tĂ© les rĂ©sultats concrets de cette collaboration ?
Nous avons signĂ© cette collaboration juste avant le dĂ©but de la pandĂ©mie de Covid-19, ce qui nous a obligĂ©s Ă nous rĂ©adapter et Ă nous organiser diffĂ©remment. Nous avons mis en place mydocument.tn, une solution de signature Ă©lectronique basĂ©e sur la blockchain, en collaboration avec lâAgence nationale de certification Ă©lectronique (ANCE) et Tuntrust. Cette initiative a permis de dĂ©velopper et de crĂ©er la signature Ă©lectronique en Tunisie.
Nous avons Ă©galement lancĂ© lâesquisse et lâinitiative du rĂ©seau national blockchain. Ce projet consiste Ă crĂ©er un rĂ©seau tunisien de blockchain, permettant aux intervenants (les stakeholders) et contributeurs de souscrire Ă un nĆud, de sâintĂ©grer au rĂ©seau et de crĂ©er leurs propres applications. Cela permet des Ă©changes sĂ©curisĂ©s, tant entre institutions publiques et privĂ©es quâavec leurs utilisateurs finaux, tout en garantissant une plus grande fluiditĂ© et sĂ©curitĂ© grĂące Ă la blockchain.
Quels sont les projets futurs de Universa Hub Africa pour développer la blockchain sur le continent ?
Câest le genre de question Ă un million de dollars dans nos entreprises ! Les projets futurs de Universa Hub Africa pour dĂ©velopper la blockchain sur le continent se concentrent principalement sur la recherche et le dĂ©veloppement. Câest un domaine trĂšs compĂ©titif, donc nous ne pouvons pas trop en dire davantage pour le moment. Cependant, je peux vous donner un aperçu : nous nous focalisons sur lâintĂ©gration de lâintelligence artificielle avec la blockchain pour offrir des services de qualitĂ© et une meilleure expĂ©rience client. En dâautres termes, dĂ©velopper la blockchain en Afrique, câest aussi tirer parti du potentiel de lâintelligence artificielle pour rĂ©pondre aux besoins Ă©mergents du marchĂ©.
Vous partagez souvent cette citation sur vos rĂ©seaux sociaux : la nature est la source de toute vraie connaissance. Elle a sa propre logique, ses propres lois ; elle nâa pas dâeffet sans cause ni invention sans nĂ©cessitĂ©. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Cette phrase de LĂ©onard de Vinci incarne parfaitement ce quâest lâinnovation. Elle rĂ©sume, Ă mes yeux, la conception de lâinnovation par un grand maĂźtre de la Renaissance, pionnier en la matiĂšre. Dâailleurs, de nombreuses Ćuvres de LĂ©onard de Vinci demeurent encore incomprises et non assimilĂ©es Ă ce jour.
Le principe mĂȘme de lâinnovation consiste Ă prendre quelque chose dâexistant, Ă lâamĂ©liorer et Ă lâapprofondir davantage. Cette dĂ©finition de lâinnovation me semble Ă la fois juste et pertinente. Et tout cela au XVIIe siĂšcle, ce qui nâest guĂšre anodin. Ă nous de nous mettre sur cette voie.
« Le principe mĂȘme de lâinnovation consiste Ă prendre quelque chose dâexistant, Ă lâamĂ©liorer et Ă lâapprofondir davantage. Cette dĂ©finition de lâinnovation me semble Ă la fois juste et pertinente ».
Quels sont les conseils que vous pourriez donner aux jeunes entrepreneurs passionnés du monde de la technologie ?
Allez-y ! Foncez ! Faites ce quâil faut ! Utilisez lâIA ! Organisez-vous ! Utilisez des outils pertinents ! Faites des nuits blanches ! Ăa vaut la peine dâinvestir. Vous aurez de lâavance sur les gens qui viendront demain. Allez-y ! Câest exponentiel. Si nous, on est comme ça par rapport Ă nos parents, quâest ce que nos enfants auraient des outils encore plus poussĂ©s, encore plus avancĂ©s dâici quelques dizaines dâannĂ©es. Faites le nĂ©cessaire pour apprendre au maximum. Nous avons maintenant accĂšs Ă lâinformation.
Avant on avait besoin dâĂȘtre aisĂ©, dâavoir fait les grandes Ă©coles, de faire un cursus Ă©conomique, aller Ă la librairie au risque de ne pas trouver le livre. Maintenant, vous avez accĂšs Ă lâinformation et vous avez des assistants qui vous remettent toutes les informations nĂ©cessaires. Formez-vous beaucoup, mĂȘme en ligne oĂč de gens qui nâont pas de crĂ©dibilitĂ© Ă©conomique existent pour vous former, mais une crĂ©dibilitĂ© dâexpĂ©rience pour vous former ! ExpĂ©rimentez-vous et formez-vous !
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