Le poème du dimanche | ‘‘De cœur à cœur autour d’un monde qui refuse notre résidence’’ de Abdallah Zrika
Né en 1953 à Casablanca, Abdallah Zrika (عبد الله زربقة) est poète, romancier, nouvelliste, critique et dramaturge marocain.
Il publie son premier recueil La danse de la tête et de la rose, en 1977 avant d’être emprisonné à la fin de ses études sociologiques, en 1978.
Sa poésie, dans la mêlée sociale et politique, en sera marquée. Elle évolue cependant, peu à peu, vers des questionnements existentiels, soufis et universels.
Recueils traduits en français : Rires de l’arbre à palabre, l’Harmattan, trad. par Abdellatif Laâbi ; Bougies noires, La Différence ; Ivresse de l’effacement, Méridianes, trad. par James Sacré et l’auteur, (dessins de Rachid Koraïchi): Mon corps est ce qui reste de l’écriture, Approche, trad. par l’auteur.
Tahar Bekri

Comme nous avons de petits yeux sur une terre où la mer tremble à ses pieds où
que nous allions nous disons qu’il n’y a pas de limite à cette terre
Et bien que nos petits corps aient honte des rochers fracassés par le temps
Et du fait que le combat laisse derrière lui de petits fayots épineux
Nous continuons à dire : nous ne nous arrêterons pas jusqu’à ce que le monde
s’arrête
C’est vrai nos paroles sont étranges
Mais bonnes gens
Le monde est très beau
Cette terre il n’y a de plus belle qu’elle que les jardins dans le rêve
quelques légendes que nous créons pour dormir ne serait-ce qu’un peu
Nous voulons vivre nous autres
Et éclore comme des plantes sur la terre
Nous voulons vivre
Il nous fait très mal que certains hommes montent sur la lune
Et nous sur terre nous n’avons pas le droit de marcher de nuit
Ni rendre visite aux proches
Ecrire des poèmes
Mourir sans fouiller nos vêtements
Il est très douloureux
Que nous écrivions comme ces poèmes à la fin du siècle
Douloureux de voir la terre rire au printemps
Se dénuder comme elle veut l’automne
Se dévergonder l’été
Et toi tu te mets debout pour un homme sans nom
Qui fouille ton corps et tes sous-vêtements
C’esr très douloureux
Mais nous disons
Comme il n’y a pas de limite à nos douleurs
Il n’y a pas de limite à nos rêves
Nous nous mettons debout avec nos tailles en dépit de leur petit volume
Elles sont droites
Elles ont honte de s’incliner
En direction de la majesté des arbres
Où les oiseaux possèdent la liberté du ciel
Nous disons que nous avons honte
Nous avons encore notre dignité
Et malgré ceux qui nous ont condamnés à la nuit
Nous insistons pour sortir de jour
Pour vous faire lire nos poèmes
Malgré le mauvais temps
Et nos têtes qui ne valent dans ce monde
Qu’un long gourdin
Nous, nous voulons vivre
C’est pourquoi nous venons à votre rencontre
Poètes qui n’ont de domicile fixe que la prison
Où ils façonnent leurs poèmes en secret
O bonnes gens dites
Nous n’avons pas de secrets comme ceux des gardiens de nuit
Nous, nous connaissons le soleil quand il se lève
Brille clairement
Que l’opacité est nulle
Alors que nous voulons
Toucher les doigts de nos mères
Reposer nos yeux dans la vastitude de la mer
Nous en sommes empêchés
Ainsi tourne le monde aujourd’hui
Horrible d’imaginer
Qu’ils ne sont pas montés sur la lune pour nous
Mais pour enlever à l’un un pain d’illusion
A l’autre une résidence de poètes
Horrible d’imaginer le monde renversé
Malgré l’attraction et les lois
Ils continuent à mentir
Tuent la vérité
Même dans le ventre des mères
Quand ils enfantent mille femmes
Horrible
De ne pouvoir les imaginer
Avec les enfants
Et les plantes qu’ils aiment
Dites-moi
Combien de lettres d’amour s’envoient maintenant dans le monde
Moi je dis
Pas une n’est sincère
Tant que nos pères et nos sœurs
Passent la fleur de leur âge en prison
Les anciens disent vrai
Il n’y a pas d’âme dans les poèmes des poètes d’aujourd’hui
Car le monde est horrible
Où les chansons d’amour
Sont pour cacher les meurtres
Et avorter les enfants des régions chaudes
Ils ont tout tué
Au point où il est devenu obligatoire
D’apporter une nouvelle langue
Malgré cela
Je vous l’ai dit malgré cela
Et malgré les douleurs sans limite
Et ceci est vraiment étrange
Malgré notre solitude meurtrière
Le froid dur
La longue nuit
Et l’immensité des dangers
Le prix du sang que nous payons
Ce qui nous est demandé
Est de transformer le monde !
Traduit de l’arabe par Tahar Bekri
Zouhour hajariya (Fleurs de pierre) Ed. Hiwar, 1986, 1ère édition en 1983.
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