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‘‘De Saint-Cyr au peloton d’exécution’’: Le curieux destin d’un opposant atypique

Ce livre, le tome 1 d’une autobiographie de Moncef El Materi, apporte une lumière crue sur le complot dit de Lazhar Chraïti contre Bourguiba en 1962, par l’auteur, directement impliqué.

Dr Mounir Hanablia *

Il a d’abord l’immense mérite de révéler le côté obscur et hideux du régime, son système carcéral inhumain dans la continuité d’une justice expéditive dont les avocats (Maître Slaheddine Caid Essebsi) bien avant ceux de Ceausescu, s’excusent de devoir défendre «de tels criminels» (!!!). On ne peut éprouver que de la compassion envers tous ceux qui en ont subi les redoutables effets, qui ont été exécutés à la suite de procès dont l’équité demeure contestable et contestée, et qui ont été enterrés dans des fosses communes anonymes sans possibilité pour les familles d’accomplir leur deuil et de d’honorer leurs morts.

Comment tout cela a-t-il été possible? On relèvera évidemment la présence de Béji Caïd Essebsi visitant le bagne de Ghar El Melh dans l’exercice de ses responsabilités au ministère de l’Intérieur, et les représailles qui en ont résulté contre les détenus lorsque quelques-uns parmi eux lui ont demandé une amélioration de leurs conditions de détention. Il n’en sera pas pour autant en tant que sauveur de la Nation, élu à la Présidence de la République plus de 50 ans plus tard. Les voies du Peuple Tunisien, tout comme celles du Seigneur, sont ainsi souvent impénétrables.

Amateurisme et naïveté des conjurés

On ne peut cependant pour en revenir au complot lui-même s’empêcher de relever l’amateurisme et la naïveté des conjurés, autant civils que militaires, ainsi que leur organisation défectueuse.

Pourtant, en dépit de certains avertissements émanant de quelques militants destouriens, les services de sécurité, en particulier Driss Guiga, pour qui «Zarg Layoun voit des complots partout» (sic) selon une annotation de sa main d’un rapport des renseignements, n’y avaient vu que du feu. Seule une dénonciation émanant d’un officier participant au complot a fait avorter le projet. Et c’est Bahi Ladgham, le ministre de la Défense faisant fonction de premier ministre, qui a mené lui-même l’interrogatoire des militaires impliqués, apparaissant ainsi, lui un transfuge ex-Yousséfiste d’apparence plutôt effacée, comme un fidèle pilier du régime de Bourguiba. C’était sans doute ce qu’on avait exigé de lui, en tant qu’ex-adversaire, de témoigner de sa fidélité, et il s’en était acquitté. L’auteur l’avait néanmoins taxé d’acharnement injustifié et de menaces gratuites. Cela doit être relativisé du moment qu’il n’eut recours ni à la torture physique ni à l’humiliation contre les suspects.

Quant à Taïeb Mhiri, qui en tant que ministre de l’Intérieur s’est également impliqué dans l’enquête, le livre suggère qu’il en savait beaucoup plus qu’on veut bien le dire, en particulier par le biais du résistant Bouyahya. Tout comme d’ailleurs Mongi Slim, que quelques-uns des conjurés avaient proposé comme futur président après l’élimination de Bourguiba. Mais quelles étaient les motivations du complot?

Un homme comme Ahmed Rahmouni, accusé à tort de Yousséfisme par les petits chefs du Parti Destourien à Thala, et déjà incarcéré pour cela durant deux années, s’était retrouvé dépouillé de son statut prestigieux de Zeitounien et éloigné de son terroir pour devenir un simple professeur salarié d’un collège de Tunis enseignant l’éducation civique, de peu d’importance aux yeux des élèves.

Ainsi, à côté des motivations personnelles des conjurés, d’anciens résistants lésés ou frustrés par le collectivisme de Ben Salah, ou des Yousséfistes ayant subi les rigueurs de la répression, tout un pan traditionnel de la population tunisienne avait été heurté par le comportement provocateur et la volonté de Bourguiba de marginaliser selon eux la langue arabe et l’Islam dans la Tunisie nouvelle.

On peut comprendre que des militaires issus du Machreq dont quelques-uns avaient même participé à la guerre de Palestine, hostiles de principe à la langue française, ou de l’ancienne armée beylicale, y aient été sensibles. C’est néanmoins la participation des Saint Cyriens, censés adopter les normes modernes, qui a semé la panique et perturbé le pouvoir tunisien.

Mais la lecture du livre n’éclaire pas sur les motivations profondes de l’auteur, un membre de la bourgeoisie tunisoise aisée, condamné à mort dont la peine au dernier moment a été commuée en détention à vie, pour des raisons qu’il prétend ignorer.

Une bataille sans objet et ne servant que les intérêts égoïstes de Bourguiba

On ne peut pas considérer que les divergences entre son oncle Mahmoud El Materi et Bourguiba n’y aient pas été pour quelque chose, dans cette condamnation, du moins jusqu’à un certain point. Néanmoins la motivation principale semble avoir été la bataille de Bizerte pour laquelle l’auteur avait quitté le contingent stationné au Congo, qui a coûté la vie à au moins 5000 Tunisiens dont plusieurs militaires, à commencer par un ami de l’auteur, et saint-cyrien comme lui, le commandant Mohamed Béjaoui, tombé au champ d’honneur.

Selon le livre, cette bataille fut sans objet et ne servit que les intérêts égoïstes de Bourguiba, une thèse soutenue par Salah Ben Youssef. On peut comprendre que des jeunes frais émoulus de l’académie militaire eussent pu le penser face au déséquilibre des forces en présence et l’ampleur des pertes subies. Mais plus de 60 années après les faits, que l’on puisse encore en être convaincu appelle certaines précisions.

L’honneur de l’armée tunisienne

L’affaire de Bizerte a commencé pour deux raisons: le refus de la France de fixer une date à son évacuation de la ville et de la base aéronavale, et les travaux entrepris par l’armée française pour prolonger les pistes d’atterrissage en empiétant sur le territoire tunisien afin d’accueillir les nouveaux avions de chasse supersoniques, démontrant ainsi une volonté de ne pas quitter les lieux de sitôt. Dans les circonstances de l’époque, cela ne pouvait s’apparenter qu’à une provocation française.

Or, l’État tunisien, tout comme tout autre État dans le monde, est à tout moment en droit d’étendre sa souveraineté sur son territoire, en recourant pour y parvenir aux moyens de son choix. Et il est à cet égard paradoxal que les maximalistes de l’indépendance, à commencer par Salah Ben Youssef, qui jusque-là l’accusaient de collusion avec la France, l’aient critiqué sur cela. Une telle argumentation est donc dénuée de bonne foi.

Quant à l’honneur de l’armée tunisienne qui aurait été terni par la défaite et les morts inutiles, même ses adversaires français ont reconnu son courage et sa bravoure malgré des pertes sévères et la disproportion des moyens. Quoiqu’on en dise, l’honneur du soldat partout dans le monde demeure de servir et d’obéir, si ce n’est pas de mourir. De surcroît, De Gaulle avait la volonté d’en découdre afin d’offrir une victoire à l’armée française après le putsch des généraux d’Alger de 1961 qui refusaient l’indépendance de l’Algérie.

Cet élément crucial de la tuerie a été totalement passé sous silence, et tout cela a été porté au passif du seul Bourguiba, coupable de surcroît, il faut bien en convenir, d’avoir fait abattre le secrétaire général du Néo Destour à Genève, dans le cadre de la sale guerre que les deux hommes n’avaient cessé de se livrer.

Il est non moins significatif que dans son discours de Janvier 1963,  justement qualifié de terrible selon le Docteur Slimane Ben Slimane, Bourguiba qui avait disculpé l’Egypte, ait lui aussi omis de mentionner Bizerte et De Gaulle, et ait au contraire choisi d’attaquer, outre ceux considérés comme les ennemis intérieurs du régime (haineux, fellaghas, yousséfistes, communistes), le président algérien Ben Bella «proche des Chinois (maoïstes) et de Che Guevara», et coupable de contrevenir aux normes diplomatiques internationales en appuyant le complot par le biais d’un citoyen algérien, Mostari Ben Saïd.

D’une manière étonnamment prémonitoire d’un futur changement de régime en Algérie, qui surviendra en 1965, le discours évoquait les désaccords entre Ben Bella et son ministre de la Défense, le colonel Boumediene. Il balayait  toute possibilité de démocratie et de multipartisme, renvoyée à un avenir où le peuple tunisien jouirait de la maturité et du patriotisme du peuple britannique, autrement dit aux calendes grecques.

Qu’il ait omis de mentionner que l’Armée d’un pays aussi enraciné dans la démocratie que la France avait tenté de renverser et d’assassiner son président élu explique certes la référence par cet adepte convaincu de la francophonie au seul cas britannique, puisque le peuple français s’était révélé aussi immature que le sien tunisien.

Ce discours allait tout de même malgré certaines incohérences constituer le programme cadre par lequel le Destour allait verrouiller toute possibilité de pluralisme politique et de partage du pouvoir qui se prolongerait jusqu’au départ de Ben Ali, en 2011, soit durant 50 ans, auquel tous les opposants, à commencer par l’auteur, opposeront plus tard à partir des années 70 l’expérience sénégalaise du président Senghor.

C’est oublier que dans les pays d’Afrique, le système représentatif est inné à la société, par le biais des assemblées des villages ou des anciens, épargnées par le colonisateur dont elles propageaient l’influence, ce dont les organisations sociales des pays du Maghreb sont dépourvues, elles dont les élites traditionnelles dépossédées et passées souvent à la résistance armée ont été laminées par le colonialisme et remplacées par une administration aux ordres.

D’autre part, la démocratie a-t-elle un sens lorsque la monnaie, en l’occurrence le Franc CFA, est imposée par l’ancienne puissance coloniale, détentrice des réserves de devises dont le pays où elle occupe toujours des bases militaires ne peut lui-même librement disposer?

Pour tout dire Bourguiba a bien tiré profit du complot de 1962 pour verrouiller à son profit le système politique. Il ne faut pas oublier qu’en 1958, Tahar Mahdaoui, agissant sur instructions de Salah Ben Youssef, n’avait pas eu le courage de l’abattre en plein théâtre de Tunis lorsque, armé d’un fusil, il s’était trouvé à quelques mètres de lui.

Cependant, prétendre que les conjurés ne méritaient pour autant pas plus de cinq années d’emprisonnement parce que le complot n’était pas passé à sa phase exécutoire demeure une spéculation fortuite, qui n’est que renforcée par la nature du régime politique qu’ils projetaient d’instaurer, ou pis, sur laquelle ils n’étaient pas encore arrivés à se mettre d’accord. Mais  il apparaît que l’auteur du livre se soit fait un point d’honneur non seulement à ne pas dénoncer ceux qui avaient participé au complot et qui n’ont pas été arrêtés, et il y en a, mais également à défendre la mémoire de ses camarades de cellule, d’abord son ami Hamadi Ben Guiza, plus tard tourmenté par les services de sécurité du «démocrate» Mohamed Mzali à la recherche d’un complot de Kadhafi ou de Wassila, ensuite Ezzedine Chérif, l’un des chefs du commando armé de la ville de Gafsa pris et exécuté en 1980.

Evidemment cet épisode demeuré mystérieux sort ainsi quelque peu de l’ombre. Les membres du commando venus d’Algérie se cachent trois semaines avant l’attaque dans la ville dont ils essaieront de prendre le contrôle. Lâchés par les Libyens et les Algériens qui semblent leur avoir fait de fausses promesses, et déçus par la population qui refuse de collaborer et de prendre les armes qu’ils leur apportent, ceux qui prétendaient soulever la population des villes «oubliées» de l’Ouest du pays, dont on ignore toujours le nombre, quand ils ne succombent pas dans les combats, sont pris et exécutés sommairement ou après jugement.

Selon l’auteur, c’est le séjour durant trois années au bagne de Ghar El Melh qui a radicalisé Ezzedine Chérif et en a fait un adversaire implacable du régime.

Néanmoins cette affaire est située dans le cadre des luttes de clans faisant rage, et une collusion entre Wassila Bourguiba, Boumediene, et Kadhafi, y est implicitement suggérée, il est vrai en citant Amor Chédli, afin d’écarter Hédi Nouira du pouvoir. Il s’avère qu’un certain Azzedine Azzouz avait  prévenu le ministre de l’Intérieur Othman Kechrid de contacts avec les Algériens, mais confié à Ben Ali, alors directeur de la sûreté pour interrogatoire, celui-ci l’avait simplement placé en cellule jusqu’à l’attaque. Or des témoignages rapportés par un journaliste tunisien à Beyrouth ainsi qu’un officier concordent pour confirmer que l’armée tunisienne était au courant que quelque chose se tramait trois semaines avant les faits et qu’elle avait pris certaines dispositions.

Naturellement, on ne s’étonne pas de la volonté de l’auteur de disculper ainsi le futur gendre de son fils Sakhr de toute responsabilité, d’ailleurs sans grand résultat; Ben Ali en charge d’un témoin important n’en a pas tiré les renseignements disponibles à temps. Si ses ennemis tels Driss Guiga et Wassila y ont trouvé un alibi pour l’écarter, il ne le doit qu’à son impéritie. 

L’intervention de l’armée française dans les combats? Peut être, et c’est encore un argument utilisé par ses détracteurs pour prouver que Bourguiba était à la solde des Français contre son propre peuple, mais les Saoudiens n’avaient pas hésité à utiliser le GIGN français dans l’enceinte de la mosquée de la Mecque. Tout État a donc le droit d’utiliser tous les moyens disponibles contre la subversion.

Ultime ironie du destin

Quoiqu’il en soit, sous le régime de Bourguiba, l’auteur a eu toute latitude de devenir un homme d’affaires prospère et de voyager, malgré la surveillance à laquelle il a été constamment soumis, même si de temps à autre il fut privé de son passeport, en particulier après des rencontres imprudentes à l’étranger avec des opposants.

Néanmoins, ultime ironie du destin, c’est paradoxalement avec l’avènement de la liberté en Tunisie en 2011 pour laquelle il considère avoir lutté et sacrifié dix années de sa vie, que Moncef El Materi, réfugié à l’étranger, verra ses biens gelés, fera l’objet d’une demande d’extradition et paiera le prix de ses liens matrimoniaux avec les familles Ben Ali et Trabelsi, quand son ancien geôlier tortionnaire deviendra président de la République. Peut être cela explique-t-il sa réticence à publier le Tome 2 de ces mémoires.

C’est dommage !     

* Médecin de libre pratique.

‘‘De Saint-Cyr au peloton d’exécution de Bourguiba (Tome 1)’’, de Moncef El Materi Arabesques Editions, Tunis, 1er mars 2014.

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