Le poème du dimanche : ‘‘Les déracinés’’ de Salma Al-Jayussi
Née en 1926 à Acra, en Palestine, de père palestinien et de mère libanaise, Salma Al-Jayussi, est poète, critique littéraire, historienne.
Après des études d’arabe et d’anglais à Jérusalem, Beyrouth et Londres, elle enseigne à Alger, Kharthoum, Constantine, puis aux Etats-Unis.
Auteure de nombreux travaux littéraires; notamment, des anthologies sur la littérature palestinienne et arabe.
Son premier recueil de poésie en arabe, Retour d’une source Rêveuse, date de 1960; My Jerusalem, Essays, Reminiscences, Poems, 2004. Elle décède en Jordanie, en 2023.
Tahar Bekri
Fuyant le bruit,
Mais écoutant sans cesse la voix triste qui me dit :
« Tends ton oreille vers l’Est,
Tous tes oncles sont devenus des réfugiés»,
J’ai longuement soupiré, j’ai pleuré sur eux,
Puis je leur ai envoyé quelques vêtements destinés aux pauvres ;
Et des raisins secs que nous n’avions pas mangés,
Et quelques piastres salies et usées,
Et des larmes, et des larmes et des soupirs,
Depuis ce jour-là, je ne donnais plus mes piastres aux mendiants
Car mes cousins sont devenus des réfugiés,
Mon oncle a faim, et nous avons pleuré sa faim,
Et pendant un mois, nous avons apaisé sa faim,
Et nous avons calmé l’aiguillon de notre conscience ;
Puis nous l’avons livré au vaste monde,
Et nous nous sommes plongés dans notre petit monde.
Mais vient parfois l’alouette qui chante à l’aube
Et ramène le souvenir, et fait couler nos larmes
Pour apaiser l’aiguillon de la conscience,
Les belles juments, qui les a chassées et dispersées ?
Qui a fait tomber les cavaliers de dessus leurs montures ?
Qui, de leur seule faim, les nourrit ?
Et les collines vertes, qui les connait ?
Un peuple cher les a habitées
Puis s’est dispersé.
Et nous nous sommes rencontrés : mon cousin et moi,
J’ai crié : O mon cousin, prunelle de mes yeux,
O le plus cher de tous,
Je suis toujours fidèle au souvenir,
Comme nous nous sommes aimés petits !
Et que de fois nous avons couru tous deux après l’école la plus proche,
Combien nous avons erré dans les champs verts, les prairies fécondes,
(Nous ne savions pas qu’elles étaient fécondes)
Et nous nous sommes attristés devant le soleil couchant,
Avant d’avoir terminé nos propos,
Dans mon âme tu étais le parfum du figuier qui nous donnait son ombre
Traduit de l’arabe par Simon Jargy
Salah Stétié; « Du monde arabe; la poésie », Revue Vagabondages n° 31, 1981.
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