ââIl reste encore demainââ | Les contrĂ©es profondes de la nature humaine
Le film italien ââIl reste encore demainââ est une comĂ©die dramatique italienne rĂ©alisĂ©e par Paola Cortellesi, une rĂ©alisatrice peu connue du grand public. A sa sortie en 2023, il a rencontrĂ© un immense succĂšs, en Italie, en attirant prĂšs de cinq millions de spectateurs, dĂ©passant ainsi au box-office national ââOppenheimerââ et le navet amĂ©ricain ââBarbieââ.
Mohamed Sadok Lejri

Jâai Ă©tĂ© impressionnĂ© par la qualitĂ© de ce film qui embrasse la cause fĂ©ministe. Il sâagit dâun fĂ©minisme qui sâattache Ă sa mission premiĂšre, un fĂ©minisme enracinĂ© dans le quotidien et qui tient compte de la situation dâoppression que vivent beaucoup de femmes de par le monde au sein de leur foyer et, par extension, de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble. ââIl reste encore demainââ nâa strictement rien Ă voir avec le nĂ©o-fĂ©minisme dĂ©lirant et hystĂ©rique qui sĂ©vit dans certains pays.
InspirĂ©, belle rĂ©alisation et magnifiquement interprĂ©tĂ©, ce film est un vĂ©ritable coup de gĂ©nie. Il nous plonge dans lâItalie populaire de lâaprĂšs-guerre, plus prĂ©cisĂ©ment dans le quotidien dâune famille vivant dans un quartier pittoresque de Rome au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et dĂ©crit avec un rĂ©alisme dĂ©concertant la condition de la femme italienne de cette Ă©poque.
Une femme prisonniĂšre de son destin
Câest lâhistoire dâune mĂšre de famille, Delia, qui est Ă pied dâĆuvre dĂšs les premiĂšres lueurs du jour. Son quotidien ressemble Ă un chemin de croix. Câest une femme prisonniĂšre de son destin. Victime de la tyrannie conjugale, dĂ©vouĂ©e Ă ses deux fils turbulents, elle est Ă©galement aux petits soins avec son beau-pĂšre, un grabataire abject, retors et despotique. Et ce nâest pas fini : elle jongle entre plusieurs emplois mal rĂ©munĂ©rĂ©s et prĂ©pare les fiançailles imminentes de sa fille Marcella qui sâapprĂȘte Ă Ă©pouser Giulio, le fils des Moretti, un couple de nouveaux riches qui sâest bien sucrĂ© durant la guerre.
Bref, Paola Cortellesi met Ă lâhonneur une mĂšre de famille dĂ©vouĂ©e qui se dĂ©mĂšne en cumulant plusieurs petits boulots sous-payĂ©s pour le bien-ĂȘtre de sa famille. MalgrĂ© son abnĂ©gation, elle subit la violence de son mari dans une sociĂ©tĂ© oĂč lâon intime encore aux femmes maltraitĂ©es de se taire. Dâailleurs, le film sâouvre sur une gifle magistrale administrĂ©e du revers de la main par le mari Ivano Ă son Ă©pouse Delia qui est la protagoniste du film.
Le sujet du film est intemporel, universel et, manifestement, inĂ©puisable. En effet, lâon remarque en regardant ce long-mĂ©trage que ce thĂšme archi-rebattu peut ĂȘtre abordĂ© sous de diffĂ©rents angles et dĂ©clinaisons et, comme câest le cas ici, dans un style esthĂ©tiquement intĂ©ressant et rĂ©ussi.
Lâhistoire de cette mĂšre qui mĂšne une existence de labeur, de brimades, qui tente de survivre sous les coups de son mari, tout en essayant de mener Ă bien un projet secret, ne peut laisser le public indiffĂ©rent quand elle est bien construite et admirablement mise en scĂšne.
MĂȘme si ââIl reste encore demainââ traite dâun sujet triste et douloureux, mĂȘme si la violence machiste ordinaire plane tout au long du film, Paola Cortellesi nous immerge dans cette atmosphĂšre tendue sans jamais verser dans le pathos.
Un goût aigre-doux
Dâailleurs, les scĂšnes de passages Ă tabac sont prĂ©sentĂ©es sous forme de chorĂ©graphies et de pas de danse qui font Ă©cran Ă lâhorreur indicible du rĂ©el. Les scĂšnes dures sont saupoudrĂ©es dâhumour et accompagnĂ©es de belles chansons italiennes pour dĂ©samorcer la tension et faire passer la violence de certaines sĂ©quences en leur donnant un goĂ»t aigre-doux. La rĂ©alisatrice ne voulait pas draper la protagoniste Delia dans une posture victimaire et a prĂ©fĂ©rĂ© Ă©viter le ton mĂ©lodramatique et larmoyant.
Il a beau sâagir dâun film fĂ©ministe, ââIl reste encore demainââ ne montre pas de solidaritĂ© entre les femmes, mais plutĂŽt une rĂ©signation sourde. En rĂ©alitĂ©, Delia accepte tout au long du film sa condition de femme soumise, câest quelque chose qui Ă©tait naturel pour la sociĂ©tĂ© de lâĂ©poque, jusquâau moment oĂč elle perçoit de la pitiĂ©, voire du mĂ©pris, dans les yeux de sa fille. En mĂȘme temps, cette derniĂšre sâapprĂȘte Ă sâengager dans un mariage vĂ©cu comme une sorte de promotion sociale. En revanche, lâĂ©lu de son cĆur ne tardera pas Ă manifester de lâagressivitĂ© Ă son encontre et une volontĂ© dâassujettissement. Marcella est-elle condamnĂ©e Ă subir le mĂȘme sort que sa mĂšre ? Câest la question que lâon est conduit Ă se poser en regardant le film.
ââIl reste encore demainââ est une vĂ©ritable rĂ©ussite sur le fond comme sur la forme. Tout est minutieusement orchestrĂ© pour que le public oscille entre profondeur et divertissement et pour quâil retrouve le cinĂ©ma italien qui a forcĂ© lâadmiration du monde entier par sa puissance et son gĂ©nie.
Des sensibilités hors du temps
En effet, ce film rappelle Ă notre bon souvenir le cinĂ©ma nĂ©o-rĂ©aliste et les tragi-comĂ©dies italiennes des annĂ©es 1960 et 1970. Les personnages sont excentriques et faussement archĂ©typaux, ils sâinscrivent dans la tradition classique des films italiens Ă lâhumour fĂ©roce et dĂ©jantĂ©, ils dĂ©voilent des sensibilitĂ©s hors du temps et nous emmĂšnent dans les contrĂ©es profondes de la nature humaine.
Cette Ćuvre rĂ©unit, sans prĂ©tention aucune, la poĂ©sie du cinĂ©ma italien et la puissance de lâengagement. Paola Cortellesi dresse son rĂ©quisitoire en finesse, sans aigreur, sans esprit vindicatif et avec le bon dosage des sentiments.
Le film sâachĂšve sur un coup de thĂ©Ăątre magistral et un message porteur dâespoir. Câest une scĂšne dans laquelle la mĂšre et sa fille se regardent fixement dans les yeux, sans parler, mais avec beaucoup de complicitĂ©. ââIl reste encore demainââ est un magnifique hommage aux gĂ©nĂ©rations de femmes qui ont luttĂ© en silence, avec dignitĂ©, discrĂ©tion et dĂ©termination, pour permettre Ă leurs filles et petites-filles dâĂȘtre plus libres.
Je persiste et signe : cette Ćuvre est digne des classiques italiens qui ont fait les beaux jours du cinĂ©ma. Ce petit bijou filmĂ© en noir et blanc donnera envie Ă toute femme qui le regarde de lever le poing Ă lâapparition du gĂ©nĂ©rique de fin. Câest une ode aux droits des femmes dont on sort tremblant dâĂ©motion.
A voir absolument !
P.-S. : đ¶đ đđđđ đđđŁđđđđĄ ĂȘđĄđđ đđđđđđĄĂ© đđđđ đđđ đđŠđĂ©đđ đđĄ đąđđđŁđđđ đđĄĂ©đ , đđđđ đđąđ đ đ đđđđ đđđ đđąđđđĄđđđđ đđđđąđđđđđđ . đđĂšđ đđđđđđđąđ đđ đ đđđđđĄ đđđ đđąđđđ đeđđđđ đđąđ đ âđđđđđĄđđđđđđđđĄ đđą đđđđ đđđđđđ đđ đ·đđđđ. đđąđ đđđąđ đđ đĄ, đđ đđđ đâđđđđđđ đąđ đđđą đđđ đđđđđđđđđ đđđđđđđđđ đđąđđ .̧đ đđđ đâđđđđđđ đąđ đđđą đđđ đđđđđđđđđ đđđđđđđđđ đđąđđ .
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