Essais nucléaires français dans le Sahara : un contentieux de plus entre Alger et Paris
Ce ne sont pas les dossiers qui empoisonnent les relations entre la France et l’Algérie qui manquent ces derniers mois. Le dernier en date qui surgit du fond d’un douloureux passé colonial? Celui de la décontamination des sites algériens ayant servi lors des essais nucléaires français.
Décidément, le contentieux mémoriel ne cesse de hanter les relations houleuses entre Alger et Paris. Ainsi, selon la ministre algérienne de l’Environnement et de la Qualité de la vie, Nadjiba Djilali, l’armée française, qui aura effectué entre 1960 et 1966, pas moins de dix-sept essais nucléaires dans le Sahara algérien, est sommée d’« assumer pleinement ses responsabilités historiques, morales et juridiques dans l’élimination de ces déchets radioactifs et reconnaître l’énorme préjudice causé à notre pays et aux populations d’Adrar, de Reggane, d’In Ekker et d’autres régions », a-t-elle déclaré vendredi 24 janvier. Et ce, après l’adoption par le Conseil de la nation de la loi sur la gestion, le contrôle et l’élimination des déchets.
Terribles révélations
En effet, des documents déclassifiés en 2013 révéleront des retombées radioactives importantes consécutives aux essais nucléaires français au cœur du Sahara algérienne. « Cancers, malformations congénitales, fausses couches, stérilité : la liste est loin d’être exhaustive et les maladies liées à la radioactivité sont transmises en héritage, génération après génération. De même que tant que la région est polluée, le danger persistera », révèle Abderahmane Toumi, président d’une organisation d’entraide aux victimes.
Lire aussi : Crise diplomatique entre Alger et Paris : est-ce le point de non-retour?
Indemnisations
La voix de la ministre algérienne s’ajoute à celle de l’ex-ministre algérien des Anciens combattants, Tayeb Zitouni. En effet, celui-ci a accusé la France de « refuser de remettre les cartes topographiques qui permettent de déterminer les lieux d’enfouissement des déchets polluants, radioactifs ou chimiques non découverts à ce jour ».
« La partie française n’a mené techniquement aucune initiative en vue de dépolluer les sites. Et la France n’a fait aucun acte humanitaire en vue de dédommager les victimes », a-t-il accusé dans un entretien accordé à l’agence de presse officielle algérienne APS.
Pour sa part, le chef d’état-major algérien, Saïd Chengriha, avait demandé en avril dernier à son homologue français de l’époque, le général François Lecointre, son soutien « pour la prise en charge définitive des opérations de réhabilitation des sites de Reggane et d’In Ekker ».
Le général Chengriha a également sollicité son assistance pour lui fournir les cartes topographiques. La remise des cartes est « un droit que l’État algérien revendique fortement, sans oublier la question de l’indemnisation des victimes algériennes des essais », a-t-il martelé.
« Nous ne sommes pas un peuple mendiant »
Mais, altier et droit dans ses bottes, le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait totalement écarté toute négociation d’ordre financier : « Nous respectons tellement nos morts que la compensation financière serait un rabaissement. Nous ne sommes pas un peuple mendiant », avait-il affirmé sur les colonnes de l’hebdomadaire français Le Point.
« Vous êtes devenus une puissance nucléaire et vous nous avez laissé des maladies. Venez nettoyer, venez nettoyer Oued Namous où vous aviez développé vos armes chimiques, et jusqu’à présent nos moutons, nos chameaux meurent après avoir mangé de l’herbe contaminée », a-t-il poursuivi avant d’affirmer que l’Algérie « n’a que faire de votre argent. Je ne laisserai pas tomber la mémoire, je ne demande rien, ni euro ni dollars, mais la dignité de nos ancêtres et de nos citoyens ».
Lire également : Où vont les relations algéro-françaises après le discours de Tebboune?
Rappelons à cet égard qu’entre 1960 et 1966, l’ancienne puissance coloniale a procédé à ces essais atomiques dont onze souterrains dans le Sahara algérien. Et ce, avant les accords d’Évian de 1962 qui furent négociés à l’époque entre les représentants du gouvernement de la République française et du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et qui mirent fin à 132 années de colonisation française et à sept années et cinq mois de guerre.
Deux poids, deux mesures
Or, 60 ans après le premier essai nucléaire français en Algérie, la France est soupçonnée de ne reconnaitre ni sa responsabilité ni d’avoir présenté ses excuses au peuple algérien.
Pourtant, convient-il de signaler, le président français Emmanuel Macron reconnut, lors d’un déplacement à Papeete en 2021 « une dette » de la France suite aux conséquences pour la population des essais nucléaires menés en Polynésie de 1966 à 1996.
Rappelons enfin qu’en janvier 2010, la France s’est dotée d’une loi – la loi Morin – qui prévoit une procédure d’indemnisation pour « les personnes atteintes de maladies résultant d’une exposition aux rayonnements des essais nucléaires réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie entre 1960 et 1998 ».
Une loi restée lettre morte puisque sur cinquante Algériens ayant réussi à monter un dossier en dix ans, une seule personne a pu obtenir réparation, un militaire d’Alger qui avait travaillé à l’époque sur les sites au moment de leur fermeture.
Morale de l’histoire : la reconnaissance d’une « dette » française envers l’Algérie n’est pas pour demain.
L’article Essais nucléaires français dans le Sahara : un contentieux de plus entre Alger et Paris est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.