Espérance. Un mot qui résonne particulièrement en Tunisie. Au temps de l’espoir a succédé le temps de l’espérance. Espérance rime avec tempérance. Le mot «espoir» a un impact sonore plus violent, plus bref, comme la soudaineté révolutionnaire. Les espoirs de la révolution, l’espérance d’une issue à la situation difficile actuelle du pays prédomine dans les esprits.
Jean-Guillaume Lozato, à Paris *
Pour demeurer dans le pragmatisme, les Tunisiens devront d’urgence analyser la situation aussi bien à partir d’une focalisation interne que d’un point de vue plus externe. Et ce samedi 25 janvier 2025, Paris a été une fois de plus le lieu de convergence de débatteurs issus de la diaspora. Après les habituelles initiatives de l’Atuge (Association des Tunisiens des grandes écoles), c’est au tour cette fois-ci d’un groupe plus hétéroclite composé de politiciens, commerçants, ouvriers, intellectuels, d’ébaucher le débat.
Vers où se dirige la Tunisie ?
La révolution dite du Jasmin a éclaté, s’était propagée tel l’éclair. Elle avait agi en thuriféraire de la contestation formée dans la rue arabe. Une contre-culture s’est mise en place. Puis une culture à part entière par l’intermédiaire de la scène médiatique ou musicale. Avec la notion de dégagisme générateur de changement. Puis d’impatience.
Quatorze ans après, la ligne politique et institutionnelle présente un encéphalogramme plat tandis que l’électrocardiogramme populaire a voyagé l’euphorie à l’insatisfaction grandissante.
Oui, à l’origine la Tunisie qui était apparue réformiste, progressiste et en avance grâce à des résultats plus qu’encourageants en matière d’alphabétisation sous l’impulsion du courant bourguibiste. Sous la gouvernance Ben Ali, l’étendue de son appareil sécuritaire et l’efficience de ses services secrets étaient apparues au grand jour en sachant répondre sur le champ aux intimidations terroristes. Avec le revers de la médaille de la violence policière. Puis l’accord de privilèges exagérés et répétés à une caste minoritaire composée de personnes très proches des acteurs du régime. Aussi, lorsqu’eut lieu un fléchissement du niveau de vie et une diminution de l’accès au crédit sur lesquels le président Ben Ali reposait sa légitimité pour calmer les esprits locaux comme internationaux, l’impensable se produisit suite à l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi.
Depuis ce mois de janvier 2011, des nouveaux partis politiques se sont créés. Des dirigeants se sont succédé. L’actuel président de la République Kaïs Saïed n’est ni politologue ni encore moins politicien de formation. Une chose, qui le différencie, pourrait néanmoins l’avantager et sauver le pays : en tant que constitutionnaliste réputé, cet universitaire de formation détient les capacités pour proposer une accélération des méthodes bureaucratiques marquées tantôt par l’immobilisme, tantôt par la complication menant à la subdivision arbitraire disharmonieuses des tâches puis à la division entre partenaires. Pour qu’après le gouvernement et les économistes aient tout le temps de mettre en œuvre des stratégies destinées à autre chose qu’à simplement limiter la casse.
Les opportunités offertes par le pays
La nation tunisienne compte parmi les destinations touristiques classiques. Un ensoleillement qui n’est pas à démontrer, des plages belles et variées, des étendues désertiques. Sans compter les possibilités de randonnée pédestre. Attention, le pays ne doit pas se résumer uniquement à l’image de cette Tunisie estivale et festive qui attend les nouveaux arrivants débarqués à l’aéroport et en route pour les clubs de Djerba, Hammamet ou Monastir. D’autant plus qu’elle dispose de sites moins mis en valeur à faire découvrir, qui redynamiserait l’image commerciale adaptée à un public en quête de nouveautés autres que le prélassement en bord de mer.
La superficie du territoire, alliée à un nombre peu élevé d’habitants, en fait un lieu plus facile à analyser et plus propice à une étude de marché pour les investisseurs étrangers. Les acteurs économiques et politiques tunisiens doivent prendre l’initiative d’informer tout en se faisant informer. De savoir se vendre comme l’on dit chez les commerciaux ou les publicitaires. Et pour qu’il y ait symbiose, il faut que s’opère une synergie des forces en présence.
Certes, le sol n’offre pas d’immenses richesses hydrocarbures. Et puis une population atteignant péniblement 13 millions d’habitants à la masse salariale peu élevée ne représente pas un marché de consommation à courtiser en priorité étant donné l’attentisme ambiant régissant l’import-export dont les acteurs sont conscients de l’importance de l’économie informelle.
Toutefois, des alternatives existent et l’intensification de la diversification est possible. L’économie est affaire d’argent mais aussi de vitesse de l’information. D’où la nécessité de repenser le rapport au temps par rapport à la productivité. D’où la nécessité de mieux diffuser les éléments contribuant à une meilleure connaissance du marché tunisien et de l’offre des exportateurs (par exemple le secteur de la bonneterie demeuré quasiment confidentiel avec l’Italie). Puis repenser la compétitivité s’impose. Le potentiel culturel intervient aussi pour compléter ce listing non exhaustif.
C’est ça la Tunisie. Un territoire non dénué de nationalisme, tout en étant ouvert vers l’international, en lui proposant des produits locaux variés, un artisanat de premier plan y compris dans des domaines réservés comme la sparterie. Un aperçu qui donne à voir plusieurs facettes en terre tunisienne. Une déclinaison qui a tout pour inciter les politiciens ou simples citoyens à repenser l’aménagement du territoire, non plus en fonction de la région du Sahel trop longtemps privilégiée, mais à partir de Tunis. La capitale aura par la suite le devoir d’indiquer la marche à suivre. Mais ses décideurs devront se montrer conscients de l’importance de toutes les wilayas, même si les directives seront lancées depuis la première ville du pays. L’occasion de décongestionner le centre-ville en délocalisant certaines missions. Puis de transposer cette échelle de raisonnement à tout le pays en contrôlant plus précisément les municipalités. Un monde marqué par le flou dans le recensement des intermédiaires ainsi que par des lourdeurs administratives justifiées ou non. Une réalité développée et dénoncée par les intervenants, ainsi que l’assistance, lors d’une récente réunion parisienne, samedi 25 janvier 2025.
Des opportunités avec la diaspora
Grâce à l’organisation déployée par Fouad Hammadi, Kamel Lourimi, Mokhtar Chaïbi et la collaboration de Najet-Najwa Guezzani, l’Assemblée du Peuple s’est vue représentée par le député Badreddine Gammoudi, secondé par quelques collaborateurs installés en France ou venus de Tunisie pour l’occasion. Allocutions et séance de questions/réponses autour du rôle des Tunisiens de l’étranger ont rapidement introduit des réclamations à propos des tarifs exorbitants pour les transferts d’argent, les billets vendus par l’avionneur Tunisair, la corruption nocive tant pour les immigrés que pour les résidents permanents. Une ambiance d’assemblée plénière s’y est substituée au fur et à mesure, tombant à la fin dans un capharnaüm démocratique à l’image des tâtonnements de l’espace politicien national apparu immédiatement après la fuite de Ben Ali.
En faisant abstraction de ce samedi parisien, on peut penser que c’est par l’entremise de ses représentants à l’étranger que le rebond est envisageable pour la Tunisie. Une éventualité forte reposant sur le triptyque suivant : des actifs tunisiens, une matière grise en mouvement, un regard pouvant passer de double à périphérique de la part des travailleurs installés en France, en Belgique, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Canada, aux Etats-Unis, en Arabie Saoudite…
Le Tunisien standard a pour particularité un certain ethnocentrisme auquel il tient comme un banquier tient à une valeur refuge. En parallèle, il sait faire preuve de curiosité, d’ouverture en partie grâce au contact avec les touristes, à la moyenne d’instruction des citoyens, au commerce ancestral.
Prenons le cas d’une localité comme Kairouan. Ville historique, elle s’est spécialisée dans la confection et la vente de tapis renommés. On peut la définir comme un exemple alliant traditionalisme, conservatisme mais aussi faculté d’échange en raison du talent de ses artisans et de son emplacement à l’intérieur des terres sans non plus se situer trop vers l’ouest si souvent délaissé du territoire national, c’est-à-dire dans une position éloignée du littoral mais pas exagérément non plus.
Le travailleur tunisien, salarié ou auto-entrepreneur, officiant à l’extérieur des frontières reprend ces codes. D’une époque où la plupart des expatriés travaillaient dans le secteur primaire ou dans le bâtiment, nous sommes passés à un moment-clé où le Tunisien émigré peut se présenter aussi bien comme chef d’entreprise, que comme restaurateur ou comme informaticien.
Désormais, les natifs du Grand Tunis, celui du Kef, de Bizerte, de Sousse, de Gafsa, de Gabès ou de Ghomrassen peuvent se croiser aussi bien à la City qu’à Wall Street ou Bruxelles. Paris ou Nice n’en ont plus l’exclusivité. La raison d’un tel phénomène est à chercher auprès de l’extension des compétences comprenant le savoir en économie, en finance, en gestion de patrimoine et en high-tech. Sans compter que le flux de Tunisiens partis travailler à l’étranger comprend plus de femmes qu’auparavant.
Les expatriés mais aussi les descendants des premiers Tunisiens installés en Occident forment un vivier utile dont il faut sonder les avis et les aspirations afin de les coordonner avec les idées et les attentes de leurs compatriotes restés dans la mère patrie.
Une autre catégorie à laquelle peu de spécialistes font référence intéresserait les chercheurs, politiciens, hommes d’affaires tunisiens .Ce sont les membres de la communauté euromaghrébine qui sont de parfaits intermédiaires entre Européens de souche et populations arabo-musulmanes. Ces derniers matérialisent un moyen d’effectuer des transversalités en matière de compréhension des autres pays arabes, de leur façon de s’insérer dans l’interface méditerranéenne.
En rentrant encore plus dans le détail, l’observateur s’aperçoit que le Grand Maghreb revêt une importance stratégique peu exploitée commercialement entre ses membres.
Un partenariat avec le Maroc
Entretemps, le Maroc s’est affirmé comme la révélation arabe et africaine de cette décennie. Et ceci a fait partie des sujets de discussion lancés en cette soirée pluvieuse.
L’ex-Empire Chérifien est passé d’un poste émergent à une position de confirmation. Dans l’image et dans les faits. Y compris dans des domaines jugés plus légers comme le divertissement, le sport comme l’ont démontré les Lions de l’Atlas à Qatar 2022 et actuellement son équipe de football féminine.
Ce pays arabo-berbère dont l’étymologie-même de sa désignation le rapproche directement du Grand Maghreb a su attirer des acteurs économiques de premier plan comme le constructeur automobile Renault, et leur permettre de faire fructifier leurs affaires. La recette? Une stabilité politique, un espace de vie nettement mieux sécurisé qu’il y a une vingtaine d’années, une autocritique sereine alliée à l’objectivité et dans le même temps à la fierté nationale comme lors du dernier séisme qui secoua la patrie de Mohammed VI.
Ce pays placé à l’extrémité occidentale de l’aire arabophone a le point commun, avec le pays du jasmin, de se baser sur une économie non centrée sur la rente pétrolière. Sans vraiment être concurrents, Maroc et Tunisie se présenteraient davantage comme complémentaires donc comme partenaires. Des différences (l’un est gouverné selon le système d’une royauté, tandis que l’autre suit le système républicain) se voient compensés par des similitudes ou au moins intérêts communs comme l’avantage de fournir des denrées agrumicoles de qualité, de posséder des richesses halieutiques, de réserves de phosphates… Un partenariat plus poussé détient les capacités pour avantager les deux parties. Le Maroc verrait son aura internationale encore plus renforcée tout en consolidant ses bases arabes. La Tunisie aurait la possibilité de bénéficier du carnet d’adresse d’un Etat caractérisé par une ouverture atlantique non négligeable, à tel point que le groupe danois de transport maritime Maersk a décidé de faire de Tanger Med son étape principale, au lieu du port espagnol d’Algesiras, pour ses itinéraires entre Moyen-Orient et Etats-Unis.
Malchance peut rimer avec chance. Espérance rime avec persévérance. C’est ce que se doit de penser le Palais de Carthage en misant sur les avis experts des compatriotes installés à l’étranger. Kaïs Saied doit les prendre en compte en tant que conseillers et non simplement comme des contestataires vivant seulement pour la critique.
En 2022, le Palais de Carthage a eu la mésaventure de découvrir que le déficit commercial s’était élevé à 58%. En 2023, le taux de couverture des importations par les exportations a progressé de 7,9%, permettant au déficit de reculer à 32,4%. Mais nous nous plaçons ici dans l’ambivalence. Ces signes de reprise restent timides ou ciblés, obligeant le PIB à subir une contraction de 1,5%. Quelques consolations sont arrivées, avec une reprise de la fréquentation touristique dont le danger serait de faire croire que parier sur l’extérieur serait seulement parier sur les visiteurs étrangers. Alors qu’une diaspora de plus en plus titrée et influente se tient à l’écoute. Après les appels à la formation et à la prise en compte de la high-tech lancés par l’Atuge avant Noël, cette fois-ci ce fut le mot «rassemblement» qui a été scandé plusieurs fois par le député Badreddine Gammoudi et ses compagnons d’un soir.
L’ordre du jour s’apparente à une longue liste de perfectionnements ou de consolidations à souhaiter. En dehors des vigilances classiques prônées par les économistes, la Tunisie doit se concentrer sur les observations de sa diaspora, et tenter d’innover en développant une passerelle sous la forme d’une économie de niche, où le recours régulier à l’économétrie anticiperait mieux une demande coudée et ses conséquences .Tout en se renforçant diplomatiquement autour de cette nouvelle configuration qu’est la stratification sociale globalisée.
* Universitaire.
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