Le phénomène Trump : analyse psychanalytique des fractures contemporaines
Le discours d’investiture de Donald Trump, retransmis aux quatre coins du monde, résonne comme une manifestation troublante de l’inconscient collectif. Une rhétorique simpliste, opposant les «bons» aux «méchants», a enflammé une foule avide de certitudes, cherchant refuge dans un récit manichéen.
Manel Albouchi *
Ce moment, bien qu’inscrit dans une réalité spécifique, dépasse les limites d’un territoire pour révéler des mécanismes psychiques et symboliques profondément enracinés dans l’humanité.
Sous les acclamations et l’ardeur manifeste, se cache une aspiration universelle à donner du sens au chaos, un appel archaïque à rétablir un ordre rassurant dans un monde perçu comme menaçant.
Ce qui frappe ici, ce n’est pas uniquement la figure du leader populiste, mais l’engouement massif pour un discours qui semble tout droit sorti des méandres de l’histoire médiévale. Une telle ferveur, à première vue incompréhensible, s’enracine dans des mécanismes psychiques archaïques.
Le clivage, cette défense primitive qui oppose le «tout bon» au «tout mauvais», réactive une régression collective dans laquelle la complexité est effacée au profit de la polarisation. Cette dynamique traduit une peur profonde de l’incertitude, exacerbée par l’effondrement des structures éducatives et culturelles, qui auraient dû offrir les outils nécessaires pour penser avec nuance et gérer l’ambiguïté.
L’effacement progressif des figures intellectuelles au profit des icônes de la Silicon Valley témoigne d’un appauvrissement alarmant de l’inconscient collectif.
Récits réducteurs et idéologies vides
Les géants de la pensée et de la création, autrefois capables de révéler et d’explorer la profondeur et la complexité de l’âme humaine, se voient désormais éclipsés par des récits réducteurs et des idéologies vides, laissant un vide symbolique que les algorithmes peinent à combler. Leur disparition symbolique laisse un vide immense, un espace que des figures populistes, avec leurs promesses grandiloquentes et leur rejet de l’autre, viennent occuper.
Ce vide révèle un abandon de la quête de sens au profit d’une frénésie consumériste, où l’être humain n’est plus qu’un rouage aliéné, coupé de ses racines symboliques.
En tant que psychanalyste, il est impossible d’ignorer les traumatismes collectifs qui hantent une société et se répercutent sur les individus. Les blessures historiques, qu’il s’agisse d’esclavage, de colonisation ou de révolutions avortées, laissent des marques profondes dans l’inconscient collectif. Lorsque ces blessures ne sont pas reconnues ni travaillées, elles se reproduisent sous forme de cycles de violence psychique et de crises sociales.
Le racisme systémique, l’adhésion aux théories du complot ou encore la montée de mouvements extrêmes traduisent cette souffrance diffuse, inavouée, qui cherche un exutoire à travers des figures de rejet et des récits clivants.
Sauveur ou destructeur
Dans ce contexte, la figure du leader populiste, qu’il soit perçu comme sauveur ou destructeur, devient le réceptacle des projections collectives. Il incarne une autorité ambivalente, à la fois protectrice et excluante. Cette dynamique, où le leader prend la place d’un parent idéalisé ou persécuteur, reflète une quête désespérée d’ordre et de stabilité. Mais cette autorité repose sur une transmission symbolique défaillante, un affaiblissement de ce que Lacan appelle la «fonction paternelle» : la capacité à structurer et à transmettre des valeurs qui permettent de dépasser les oppositions binaires. Là où cette transmission échoue, l’autorité devient brute, non élaborée, et souvent violente.
Face à ce constat, il devient impératif de réinvestir les espaces de création, de pensée et de transmission symbolique. Les penseurs et les artistes jouent ici un rôle crucial. L’art, dans sa capacité à capter et à sublimer les tensions humaines, est un outil thérapeutique collectif. Il permet de réintroduire la nuance, d’embrasser la complexité, et de réconcilier les oppositions apparentes. Il nous rappelle que l’humanité ne se réduit pas à des slogans, mais qu’elle est une danse infinie entre l’ombre et la lumière, entre l’un et l’autre.
Le salut par l’art, la création, la pensée
Dans un monde où les visages disparaissent derrière des écrans, où les récits se réduisent à des algorithmes et des données, il est essentiel de redonner une place centrale à l’éducation, à l’art et à la mémoire collective. Une éducation qui enseigne le discernement et la pensée critique est la meilleure arme contre les manipulations populistes. Une société qui soigne ses blessures historiques, qui reconnaît ses ombres, peut transcender ses traumas et éviter de les reproduire.
Enfin, il faut rappeler que ce qui fait de nous des êtres humains, c’est notre capacité à rêver, à créer et à transmettre des récits porteurs de sens. Là où les discours populistes prospèrent, c’est l’absence de ces récits qui se fait sentir. Mais là où l’art, la pensée et la transmission symbolique renaissent, les ombres du passé peuvent enfin s’intégrer, et les sociétés peuvent commencer à se reconstruire sur des bases plus saines et plus lumineuses.
* Psychologue, psychanalyste.
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