Les chamboulements provoqués par la guerre de Gaza
Alors que le cessez-le-feu de 42 jours entre Israël et le Hamas est entré en vigueur, dimanche 19 janvier 2025, et espérons qu’il se poursuive au-delà et qu’il devienne définitif, l’heure est à la lecture de ce que la guerre qui a duré pendant plus de 15 longs mois a changé dans le rapport de force israélo-palestinien, l’architecture géopolitique du Moyen-Orient et l’impact sur l’image d’Israël de par le monde.
Imed Bahri
La guerre de Gaza a tué plus de personnes que tout autre conflit depuis la Seconde Guerre mondiale et c’est l’un des conflits les plus cruels. C’est par ces mots que l’éditorialiste du quotidien britannique The I paper Patrick Cockburn a commencé son analyse. Toutes les guerres conduisent à davantage de haine mais la guerre à Gaza, malgré la petite superficie du territoire palestinien, entraînera la plus grande somme de haine générée par un conflit depuis 1945, a- t-il ajouté.
En dépit de l’accord de cessez-le-feu entré en vigueur dimanche 19 janvier 2025, la guerre de 15 mois a injecté une telle dose de haine toxique dans les relations entre Israël et les Palestiniens qu’elle garantit presque un avenir défini par la violence, estime l’éditorialiste, ajoutant que le cessez-le-feu reste fragile et qu’il est peu probable qu’il soit pleinement mis en œuvre sans un soutien américain significatif.
La brutalité du conflit a été horrible et l’est restée jusqu’au tout dernier moment, avec 101 personnes tuées à Gaza dont 27 enfants et 31 femmes, et 264 autres blessées dans des frappes israéliennes depuis l’annonce de l’accord mercredi dernier, selon les chiffres avancés par la défense civile à Gaza.
La guerre a commencé le massacre commis par le Hamas en Israël et s’est poursuivie avec des massacres israéliens au cours des mois suivants tuant plus de 46 000 personnes, rappelle l’éditorialiste.
La guerre alimente la haine dont elle s’alimente en retour
Les politiciens et les commentateurs occidentaux discutent désormais de la possibilité de mettre en œuvre les deuxième et troisième phases de l’accord. Même si cet accord se maintenait, il serait instable sur le sable taché de sang. Le grand poète anglais John Milton a clairement exprimé cet impératif dans Le Paradis perdu il y a 350 ans. Il a écrit que la haine intense que suscite la guerre rend l’espoir d’une réconciliation irréaliste. «Car la véritable réconciliation ne grandira jamais / Là où les blessures mortelles de la haine sont profondément creusées.»
John Milton qui a vécu la guerre civile anglaise comprenait ce fait mieux que Joe Biden et ses hauts fonctionnaires. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a récemment donné une interview auto-congratulative déclarant que l’administration avait largement atteint ses objectifs consistant à empêcher une nouvelle attaque contre Israël comme celle du 7 octobre, à mettre fin à une guerre régionale et à protéger les civils à Gaza.
Cockburn considère la naïveté de Biden comme dangereuse. En refusant d’utiliser l’influence dont il disposait sur Israël pour contrôler le flux d’armes vers ce pays, son administration a permis à la machine de guerre israélienne d’avoir l’effet dévastateur qu’elle souhaite.
Le cessez-le-feu aurait pu être obtenu il y a huit mois
Il s’agit de la guerre la plus brutale qui soit et elle compromettra les chances d’une véritable paix. Biden et Blinken semblaient déconnectés de la réalité lorsqu’ils ont prononcé leurs discours d’adieu. Loin d’empêcher de futures atrocités, comme celles du 7 octobre, elles les ont rendues plus probables. La capacité de Biden d’arrêter la guerre à tout moment est confirmée par le fait que le cessez-le-feu d’aujourd’hui est le même que celui qu’il avait proposé en mai dernier et qui avait été rejeté par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Mais une fois qu’il a obtenu le soutien ferme du président élu Donald Trump, qui a prononcé des mots vagues mais durs, et a envoyé son propre envoyé auquel Netanyahu n’a pas pu s’opposer, les objections israéliennes ont cessé d’être un obstacle.
La tragédie est que cela aurait pu se produire il y a huit mois voire un an et que des dizaines de milliers de personnes auraient pu avoir la vie sauve.
Cockburn estime que nous sommes revenus à une politique américaine connue par le passé lorsque Ronald Reagan en 1982 avait fermement ordonné à Menahem Begin d’arrêter la guerre au Liban.
Les experts et les analystes vont désormais dresser la liste des gagnants et des perdants de cette guerre même si ce conflit israélo-palestinien n’est jamais terminé car il y aura toujours un autre round étant donné qu’après ce cessez-le-feu il y aura toujours sept millions de Palestiniens et sept millions de Juifs israéliens vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée et même si le Hamas disparaîtra demain, ce qui n’aura pas lieu, rien ne changera dans le fond du conflit.
Israël a démontré sa puissance militaire à Gaza, au Liban, en Syrie, en Iran et au Yémen mais comme par le passé, il a du mal à transformer une victoire militaire en gains politiques durables.
Éliminer le Hamas était un objectif irréalisable pour l’Etat hébreu dans cette guerre et pourtant il vient d’accepter un cessez-le-feu avec cette même organisation.
L’auteur estime que l’attaque menée par le Hamas en 2023 visait à mettre la question palestinienne au premier plan et à empêcher les processus de normalisation menés par l’administration Biden entre Israël et les pays arabes en premier lieu desquels l’Arabie saoudite. L’attaque a démenti l’hypothèse de Netanyahu, qui domine la politique israélienne depuis plus d’un quart de siècle, selon laquelle Israël n’a pas besoin de compromis avec les Palestiniens pour obtenir sa sécurité.
Gaza a été un désastre politique pour Israël
Le Premier ministre israélien a longtemps prétendu avoir fait d’Israël la plus grande puissance du Moyen-Orient, avant même la défaite du Hezbollah au Liban et la chute de Bachar Al-Assad en Syrie. Certes, le paysage politique dans la région a changé en faveur d’Israël et des Etats-Unis et en défaveur de l’Iran et de la Russie mais Israël n’est pas la nouvelle puissance régionale car il s’est appuyé sur le soutien américain total et sans précédent pour ses succès militaires. Sous la direction d’un Trump changeant, opposé à la guerre et n’ayant déclenché aucune guerre au cours de son premier mandat, la position américaine pourrait changer.
Au Moyen-Orient, nous voyons une force militaire israélienne aux côtés d’un vide de pouvoir en Syrie et au Liban qu’Israël ne peut combler. La région est devenue beaucoup plus dangereuse en terme d’instabilité qu’elle ne l’était lorsque Biden a pris ses fonctions. Trump pourrait vouloir conclure un accord de sécurité entre les États-Unis, l’Arabie saoudite et Israël mais les gouvernements autoritaires de la région protégés par leurs forces de police secrètes impitoyables doivent parfois encore prêter attention à l’opinion publique surtout concernant une question aussi sensible.
Ces derniers mois, les Arabes, les musulmans et le reste du monde ont passé leur temps à regarder sur leurs écrans les corps d’enfants palestiniens extraits des décombres de Gaza. Aucun accord de sécurité au Moyen-Orient parrainé par Trump ne réussira sans concessions israéliennes aux Palestiniens. Le bain de sang prolongé à Gaza a eu un effet toxique sur les attitudes envers Israël partout dans le monde. Un sondage YouGov réalisé en juillet dernier a montré que seulement 8 à 14% des Européens de l’Ouest estiment qu’Israël n’a pas commis de crimes de guerre à Gaza et qu’environ 54% des Britanniques estiment que la Cour pénale internationale devrait émettre un mandat d’arrêt contre Netanyahu. Aux États-Unis, un récent sondage YouGov a révélé que 29% des 19 millions de personnes qui ont voté pour Biden en 2020 ne l’ont pas fait pour Kamala Harris en 2024 et ont cité Gaza comme la principale raison pour laquelle elles ne la soutiendraient pas.
Pour Israël, sa campagne à Gaza n’était pas seulement une opération militaire mais un désastre politique qu’il a lui-même provoqué.
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