Recul de l’inflation en Tunisie : réalité ou illusion ?
Le taux d’inflation sur toute l’année 2024 s’est établit à 7%, contre 9,3 % en 2023, celui du mois de décembre 2024 a été de 6,2%. Devons nous, nous en réjouir ? Et plus que tout, quel impact a eu cette baisse sur le pouvoir d’achat du Tunisien moyen ?
L’INS explique le recul de l’inflation par le fléchissement observé au niveau du rythme annuel d’augmentation des prix du groupe « produits alimentaires » lesquels, en glissement annuel, ont augmenté de 7,2% avec une hausse des prix des viandes ovines de 21,3%, des volailles de 19,7%, des fruits secs de 14,8%, des légumes frais de 14,2%, des poissons frais de 12,8% et des viandes bovines de 9,2%.
Si nous considérons que l’inflation désigne un processus de hausse généralisée, durable et cumulative des prix, le fait qu’elle recule de 1 ou 2 points ne doit pas nous rassurer pour autant. Car s’agissant de la Tunisie, ces reculs tout relatifs n’ont eu aucun impact probant sur le panier de la ménagère, les prix des produits de première nécessité n’ayant pas réellement reculé.
Pire, on oublie souvent dans notre pays que lorsque l’inflation est élevée, les entreprises dépensent plus dans l’acquisition des matières premières et leur transformation en produits finis. Les frais relatifs au transport et à l’exploitation des commerces de détail augmentent ce qui peut faire monter encore plus les prix à la consommation.
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- “Non seulement l’inflation est loin d’être maîtrisée mais le coût engendré pour entretenir l’illusion de la maîtrise -à défaut de stabilité- des prix est exorbitant” – Hechmi Alaya
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La lutte contre l’inflation doit-elle se faire uniquement à travers le maintien du TMM à 8% et l’adoption d’une politique économique encourageant la consommation ou par la production et l’investissement ? La réduction des impôts sur les émoluments de ceux qui perçoivent moins de 3.000 dinars par mois pour revaloriser les salaires pourrait-elle œuvrer à l’amélioration du pouvoir d’achat ?
L’inflation se produit lorsque la demande en biens dépasse l’offre de biens, n’est-il pas plus logique de s’attaquer à la source d’une grande part des problèmes de la Tunisie ? Panne des investissement, recul de la production et pénurie des produits de consommation de première nécessité ?
N’aurait-il pas été plus logique de réparer les torts portés à des secteurs d’activité importants dont ceux avicole, céréalier, et énergétique dont la chute a réduit la capacité de notre économie à fournir des biens à des prix accessibles ?
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- Lorsque l’inflation est élevée, les entreprises dépensent plus, ce qui peut faire monter encore plus les prix à la consommation.
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Pour l’économiste Hechmi Alaya : “Non seulement l’inflation est loin d’être maîtrisée mais le coût engendré pour entretenir l’illusion de la maîtrise -à défaut de stabilité- des prix est exorbitant. L’inflation tunisienne reste encore sur un plateau élevé et le processus de désinflation est très lent”.
Et pour cause, “au mois de décembre 2024, le taux d’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie) demeure stable à 6,3%. Les prix des produits libres (non encadrés) augmentent de 6,9% sur un an, tandis que les prix des produits encadrés augmentent quant à eux de 3,8%. Les produits alimentaires libres ont connu une hausse de 8,1% contre 1,3% pour les produits alimentaires à prix encadrés”.
Ce qui veut dire que même avec l’intervention de l’État pour réduire les prix des biens de première nécessité, il y a un dérapage inflationniste sans oublier les différentes pénuries qui touchent les produits dont les prix sont administrés par l’État !
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- La réponse à l’inflation ne doit pas être uniquement monétaire, mais aussi économique en remettant le moteur de l’investissement en marche.
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La politique économique d’une Tunisie voulant agir sur les prix sans agir sur l’augmentation de l’offre, les coûts de production et l’absence de mesures effectives pour plus de croissance économique ne pourraient pas avoir un résultat probant sur l’inflation.
Il faut oser espérer que le maintien de la valeur du dinar à ce jour persistera et que la quantité de monnaie en circulation ne sera pas plus importante que la croissance économique, ce qui arrive lorsque les banques centrales impriment de l’argent pour financer des déficits budgétaires engendrant à l’évidence l’augmentation des prix. C’est un peu ce qu’illustres la célèbre maxime : le serpent qui se mord la queue.
Chafik Ben Rouine, économiste décrétait déjà en 2018, dans une étude de l’observatoire de l’Économie, bien avant la pandémie Covid19 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine que l’inflation en Tunisie n’est pas monétaire, mais qu’elle est issue directement des politiques imposées par le FMI.
Il atteste que l’augmentation des taux d’intérêt sont en train d’étouffer financièrement les ménages et les entreprises en Tunisie et qu’il devient urgent de redéfinir la mission de la BCT en l’adaptant aux besoin de l’économie tunisienne (chômage, croissance, investissement) plutôt que de se soumettre à l’idéologie du FMI.
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- Recrudescence des pressions inflationnistes, l’aggravation du déficit courant, le ralentissement des investissements privés, le manque de productivité, la forte dépréciation du dinar après 2011- ITCEQ
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En juin 2019, l’Institut Tunisien de la Compétitivité et des Études Quantitatives (ITCEQ) publiait une étude où il souligne “la recrudescence des pressions inflationnistes, l’aggravation du déficit courant, le ralentissement des investissements privés, le manque de productivité, la forte dépréciation du dinar après 2011. Selon l’Institut, le taux d’inflation a été relativement maitrisé au cours de la période 2000-2010 ne dépassant pas la barre de 3,3% en moyenne par an pour évoluer dans la période post révolution, à la hausse avec une nette accélération en 2017 et 2018 pour s’établir à 5,3% et 7,5% respectivement contre 3,5% en 2011″.
La réponse à l’inflation ne doit pas être uniquement monétaire en réponse à des facteurs exogènes (Pandémie Covid19 et Guerre russo-ukrainienne) mais aussi économique en remettant le moteur de l’investissement en marche pour plus de production et plus de croissance.
Considérer que l’inflation est importée ou uniquement le fait de la spéculation et ne pas entreprendre de véritables mesures économiques de relance, loin des politiques populistes lesquelles, à très courts termes, pourraient creuser la tombe et de l’économie et du pouvoir d’achat, peut être dangereux. La fuite en avant ne sauvera pas la donne sauf si on fuit dans le bon sens, ce qui ne semble pas être le cas selon la formule consacrée : un serpent qui se mord la queue.
Amel Belhadj Ali
En bref ——————————————
Inflation en Tunisie en 2024
- Taux d’inflation : 7% en 2024 contre 9,3% en 2023 ; 6,2% en décembre 2024.
- Produits alimentaires : +7,2% sur un an. Hausse marquée pour les viandes ovines (+21,3%), volailles (+19,7%) et fruits secs (+14,8%).
- Impact : Baisse limitée sans réel effet sur le pouvoir d’achat ; produits essentiels toujours onéreux.
- Citation clé : “L’inflation tunisienne reste sur un plateau élevé” – Hechmi Alaya.
- Enjeux : Panne des investissements, pénuries, et politiques monétaires inadaptées.
- Recommandations : Encourager la production, relancer les secteurs clés, et privilégier la croissance économique pour maîtriser durablement l’inflation.