Paix et proximité dans le couple
L’harmonie dans un couple, comme dans une société, ne se limite pas à l’absence de conflit ou à une quête illusoire d’unité parfaite. Elle se construit dans une dynamique vivante, faite de tensions, d’équilibres et de résolutions.
Manel Albouchi *
Chaque couple devient ainsi une microsociété, un espace intime où les besoins individuels rencontrent le besoin d’unité, reflétant en cela des enjeux bien plus larges.
Le couple, selon une approche systémique, est une entité en perpétuel mouvement, où chaque individu conserve son autonomie tout en participant à un tout. Cette tension entre autonomie et interdépendance rappelle le principe d’équilibre dans un contrat social : comment préserver sa souveraineté individuelle tout en s’engageant pleinement dans une relation commune?
Les théories de l’attachement, développées par Bowlby, soulignent ce besoin universel de proximité et de sécurité affective. Mais cet attachement doit coexister avec la liberté individuelle, un équilibre fragile à cultiver constamment.
Transformer les tensions en opportunités
Dans la psychodynamique de la relation, la paix n’est jamais l’absence de conflit. Elle réside dans la capacité du couple à transformer les tensions en opportunités de croissance. Freud soulignait que les conflits intrapsychiques, entre le Ça, le Moi et le Surmoi, étaient les moteurs du développement personnel. Appliqué au couple, cela signifie que les désaccords, loin d’être des échecs, peuvent devenir des leviers d’évolution lorsque la communication et l’écoute remplacent la domination ou l’évitement.
Les conflits dans le couple rappellent ceux d’une société : ils révèlent des différences d’aspirations, des luttes pour le pouvoir ou des incompréhensions culturelles. Pourtant, en favorisant des mécanismes comme la négociation ou la sublimation des frustrations, un couple peut instaurer une forme de paix active et résiliente.
Au cœur d’une relation épanouissante se trouve un principe fondamental : le sens de la justice. Cela implique une générosité émotionnelle, un souci d’équité et une reconnaissance des besoins de l’autre. Ce principe puise ses racines dans deux grandes traditions : l’héritage spirituel, qui valorise l’amour et la générosité envers autrui, et l’héritage rationnel, qui met en avant la mesure et la raison. Dans un couple, cela se traduit par un effort constant pour maintenir un équilibre relationnel : ni domination ni sacrifice excessif.
Loin d’une simple logique d’échange, cette justice relationnelle est un véritable art de vivre ensemble, fondé sur l’écoute active et le respect mutuel.
Le couple est bien plus qu’un espace privé. Il reflète des dynamiques politiques plus larges, devenant un microcosme de la société. La recherche d’équité et de respect dans la relation rappelle les idéaux démocratiques, où les libertés individuelles coexistent avec le bien commun.
Les mécanismes de gouvernance relationnelle
À l’inverse, des dysfonctionnements comme l’abus de pouvoir ou la manipulation évoquent les dérives autoritaires. Ainsi, le couple devient un laboratoire où se testent les mécanismes de gouvernance relationnelle : peut-on trouver un équilibre entre les aspirations personnelles et l’harmonie collective? Ces questions, posées dans l’intimité, résonnent avec celles qui traversent nos sociétés. Aimer, dans un monde souvent marqué par l’individualisme, est un acte de résistance. Choisir la proximité, valoriser la vulnérabilité et œuvrer pour une paix intérieure dans le couple, c’est refuser les logiques de performance et d’isolement qui dominent notre époque.
Comme le souligne Hannah Arendt, l’amour est une rupture avec la désolation : il est un acte de foi dans l’altérité, une affirmation que l’autre, dans sa différence, mérite attention et engagement. La paix dans le couple n’est jamais acquise; elle est une construction continue, un processus fait de justice, de reconnaissance mutuelle et d’engagement actif. En comprenant le couple à travers le prisme de la psychologie, tout en y ajoutant une réflexion phénoménologique, il apparaît clairement que la relation conjugale est un espace où se rejouent des enjeux humains universels : pouvoir, justice, altérité et amour. Cultiver cette paix conjugale, c’est apprendre à vivre dans un équilibre fécond entre soi et l’autre, entre liberté et union. C’est aussi, peut-être, une façon d’œuvrer à une société plus juste, car comme le couple, le monde ne trouve sa force que dans la reconnaissance de ses différences et dans l’effort constant pour en faire une richesse commune.
* Psychologue, psychanalyste.
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