ECLAIRAGES – Repenser la politique monétaire … pour une prospérité partagée en Tunisie
Un État tunisien qui mettrait son système monétaire au service de ses citoyens et de ses entreprises verrait l’argent comme un instrument destiné à promouvoir leur prospérité. En l’absence de cette volonté, l’action publique devient inefficace ou se limite à servir une minorité, exacerbant les inégalités sociales. Cela peut mener, comme l’avait décrit Keynes, à une « pauvreté au milieu d’abondance » : des logements vacants mais inaccessibles à cause de l’insuffisance des moyens.
Aujourd’hui, en Tunisie, où le chômage reste élevé et le pouvoir d’achat s’effrite, l’État doit impérativement mobiliser ses ressources pour relancer l’économie et répondre aux attentes de la population.
Dans ce contexte, les déficits publics ne devraient pas être perçus comme un obstacle, mais comme un outil stratégique pour rétablir le meilleur emploi et soutenir la croissance. Cependant, il manque encore une volonté et un courage politiques pour adopter une gestion proactive de la dette, intégrant son rôle stabilisateur et moteur dans l’économie nationale.
Intégrer la fonction « lissante » de la dette en Tunisie
Les crises successives, notamment celle liées à la révolution du 14 janvier 2011, à la pandémie de COVID-19 et la crise inflationniste actuelle, ont mis en évidence les limites de la politique de régulation, où la dette est trop souvent diabolisée.
Pourtant, la dette, qu’elle soit publique ou privée, joue un rôle crucial en période d’instabilité. Les politiques économiques tunisiennes, dictées en partie par des contraintes internationales, négligent souvent les effets bénéfiques d’une dette bien gérée.
Actuellement, la Banque centrale de Tunisie (BCT) privilégie une gestion restrictive en s’appuyant sur des outils conventionnels comme le contrôle des taux d’intérêt. Or, ces politiques peinent à stimuler une croissance inclusive.
Les économistes et les décideurs tunisiens devraient intégrer davantage la variable du crédit et de la dette dans leurs analyses, en reconnaissant que ces instruments, lorsqu’ils sont bien utilisés, peuvent stabiliser la consommation, soutenir l’investissement et relancer la croissance.
Sans déficits publics, pas de relance économique
Dans une économie comme celle de la Tunisie, fortement dépendante des importations et des financements extérieurs, il est urgent de repenser la nature et l’utilisation de la dette. Comment répartir les charges entre dettes publiques, privées et d’entreprises? À quel moment une dette devient-elle excessive? Ces questions sont cruciales dans un pays où la dette publique dépasse 80 % du PIB, mais où les investissements productifs restent nettement insuffisants.
Les déficits publics, loin d’être un frein, pourraient permettre à l’État de financer des infrastructures, de soutenir les secteurs clés comme l’agriculture et le textile, ou encore de relancer le tourisme. Une gestion efficace de la dette publique pourrait offrir de la liquidité à l’économie, stimuler l’activité privée et réduire les incertitudes économiques, particulièrement dans le contexte actuel marqué par l’inflation et le ralentissement économique.
Sans dette, pas de progrès
La dette a historiquement permis aux nations de se développer, et la Tunisie ne fait pas exception. Les infrastructures modernes, les avancées technologiques et même l’accès à l’éducation et à la santé doivent beaucoup à la capacité de l’État à emprunter pour investir. Aujourd’hui encore, sans une utilisation stratégique de la dette, la Tunisie risque de rester piégée dans une spirale de sous-développement économique et social.
L’argent, un simple outil au service du développement
Un État souverain, comme la Tunisie, qui dispose de sa propre monnaie doit apprendre à utiliser ses déficits publics pour relancer la croissance et soutenir l’emploi. Certes, des contraintes liées à la balance des paiements limitent cette souveraineté, mais elles ne doivent pas paralyser l’action publique. L’argent n’est qu’un outil, un moyen au service de la mobilisation des ressources nationales pour répondre aux besoins de la population : créer des emplois, soutenir les entreprises en difficulté et assurer des services publics de qualité.
En définitive, une nouvelle approche de la gestion de la dette et des déficits publics est nécessaire en Tunisie. Il s’agit non pas de les considérer comme des fardeaux, mais comme des leviers pour transformer l’économie et bâtir un modèle de prospérité durable.
A suivre…
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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