En croisant cinéma, réflexion culturelle et engagement local, CinéRif Doc Days s’impose comme un événement cinématographique à la fois artistique et militant, portant haut la voix de la résistance culturelle face à l’oubli et à la marginalisation.
La 4e édition du festival CinéRif Doc Days, fondé et organisé par l’association Art à Meknassy, a ouvert ses portes avec une programmation dense et profondément engagée. Cet événement cinématographique n’est pas qu’un simple rendez-vous de projections, mais un véritable espace de réflexion et d’échange autour de : «La réalité, la résistance et les horizons».
Les deux premières journées ont été marquées par une programmation variée. Chaque matin, les enfants sont à l’honneur avec des projections qui leur sont spécialement dédiées, accompagnées d’activités d’animation et de films en réalité virtuelle, leur offrant une expérience immersive unique. Cette démarche vise à initier les plus jeunes à l’art cinématographique de manière ludique et interactive. L’après-midi, place à un public adulte avec des projections de films documentaires suivies de débats enrichissants, favorisant un véritable dialogue entre les réalisateurs, les invités et le public.
Chaque œuvre projetée a apporté un éclairage unique sur des luttes sociales, des mémoires collectives et des récits de résistance, en résonance avec des contextes historiques et contemporains puissants.
Le festival a débuté avec la projection de «Silent Protest» de Mahassen Nassereddine, un documentaire poignant qui revient sur une page méconnue de l’histoire des luttes féminines au Liban. À travers des archives et des témoignages, la réalisatrice met en lumière les manifestations silencieuses menées par des femmes libanaises durant la guerre civile, rappelant que les luttes sociales et politiques ne se limitent pas aux conflits armés. Le film interroge la manière dont la mémoire collective féminine est souvent occultée dans les récits officiels et soulève la question fondamentale de la visibilité des femmes dans les mouvements de résistance. Ce même jour, «My Memory is Full of Ghosts» de Anas Zwahri a plongé le public dans un univers introspectif et sensoriel. Le réalisateur explore la mémoire intime marquée par des traumatismes et des nondits familiaux, tissant un récit à la frontière entre le documentaire et l’essai poétique. Par des images abstraites et un montage immersif, le film révèle comment les blessures du passé continuent de hanter le présent, faisant écho à la thématique de la mémoire collective mais sous un angle profondément personnel.
Le 3 janvier, la sélection a poursuivi cette exploration de la résistance avec «The Guardians of Margoum» de Akrem Moncer, un film profondément enraciné dans la préservation des savoir-faire traditionnels. Le documentaire s’intéresse aux artisans du margoum, un tapis tunisien ancestral dont la fabrication est un véritable art transmis de génération en génération. À travers les portraits d’artisans passionnés, le réalisateur questionne la survie des traditions culturelles face à la modernisation et la mondialisation, soulignant que la sauvegarde du patrimoine est elle-même une forme de résistance face à l’effacement des identités locales. Ce film rappelle que la culture, lorsqu’elle est valorisée et soutenue, peut être un levier de développement économique et de fierté collective.
Le point culminant de cette journée a été la projection de «Les Chemins Bloqués» de Atef Dhokar, un documentaire engagé qui aborde l’affaire de Kamour en Tunisie, un épisode emblématique des luttes sociales post-révolutionnaires. Ce film revient sur le soulèvement de jeunes habitants de la région de Tataouine, dans le sud tunisien, qui ont mené une occupation pacifique du site pétrolier de Kamour en 2017 pour réclamer leur droit à l’emploi et à une redistribution plus équitable des richesses du pays. À travers des témoignages poignants et des images saisissantes du blocage, le réalisateur met en lumière la marginalisation persistante des régions intérieures tunisiennes, victimes d’injustices économiques depuis des décennies. Plus qu’un simple récit de protestation, «Les Chemins Bloqués» interroge les mécanismes de pouvoir, les promesses non tenues et l’endurance d’une jeunesse qui refuse de rester silencieuse face à l’injustice. Chaque projection a été suivie de débats riches et intenses, offrant au public un espace de dialogue direct avec les réalisateurs. Ces discussions ont permis d’approfondir les thématiques abordées, en tissant des liens entre les récits cinématographiques et les réalités locales de Meknassy, une ville elle-même confrontée à des défis économiques et sociaux. Le festival, en donnant la parole à des œuvres engagées et souvent militantes, encourage une réflexion critique sur des questions universelles telles que la mémoire, la justice sociale et la résistance culturelle.
En mettant en avant des films ancrés dans des contextes locaux forts, le CinéRif Doc Days rappelle que le cinéma documentaire peut être un outil de transformation sociale et un vecteur de prise de conscience collective. Les deux premières journées de cette édition ont démontré avec force que l’art, en explorant la mémoire et la résistance, peut devenir un moyen de lutte pacifique et un appel à un futur plus juste.
Au-delà de la richesse cinématographique, CinéRif Doc Days se démarque par son engagement dans la valorisation du patrimoine local et le développement culturel. L’équipe du festival a organisé des visites guidées pour les invités, permettant de découvrir les richesses historiques et culturelles de Meknassy. Ces visites ne sont pas de simples excursions touristiques : elles sont pensées comme des moments de réflexion sur l’avenir de la ville et les possibilités d’investissement culturel.
En effet, la ville de Meknassy, comme beaucoup de régions intérieures, souffre d’une marginalisation persistante malgré son potentiel culturel et humain. Le festival, par son approche, contribue à rappeler que la culture peut être un levier de développement économique durable, en mettant en lumière les talents locaux et en attirant l’attention sur la nécessité d’investir dans ce secteur.
L’édition actuelle de CinéRif Doc Days ne se limite pas à la projection de films. Elle offre une plateforme de discussion non seulement sur les œuvres présentées, mais aussi sur des questions sociétales profondes : l’identité, la mémoire, la justice sociale et l’avenir des régions marginalisées.
En croisant cinéma, réflexion culturelle et engagement local, CinéRif Doc Days s’impose comme un événement cinématographique à la fois artistique et militant, portant haut la voix de la résistance culturelle face à l’oubli et à la marginalisation. L’édition 2024 a été riche en de nombreux moments forts et ce jusqu’à sa clôture hier dimanche 5 janvier, poursuivant sa mission de faire du cinéma un outil de changement et d’éveil collectif.
Chaïma LABIDI
L’article Festival CinéRif Doc Days : La parole donnée aux œuvres engagées est apparu en premier sur La Presse de Tunisie.