Planter des oliviers ou construire des hôtels?
Le but d’une économie c’est de créer plus de valeur et de richesse. Malheureusement, depuis la révolution de 2011, le secteur du tourisme en Tunisie ne crée plus vraiment de valeur et de richesse, à tel point qu’il ne parvient plus, aujourd’hui, à réaliser ses recettes en devises nominales des années 2006-2010.** En revanche, l’exportation de l’huile d’olive et des dattes a rapporté à notre pays en 2023/2024, bien plus que le tourisme à la même période!
Habib Glenza *
En promouvant le secteur touristique durant les années 60, l’Etat tunisien a dépensé une fortune, au détriment d’un secteur agricole qui n’était probablement pas rentable à cette époque, et c’est sans doute ce manque de rentabilité qui a poussé nos décideurs à chercher une alternative à ce secteur qui ne créait pas de richesse.
Aujourd’hui, c’est le contraire qui est en train de se passer dans le monde : les produits agricoles et agroalimentaires gagnent de l’importance. En effet, le prix de l’huile d’olive est passé en moins d’un an de 3 euros le litre en vrac à 8 euros!! L’année 2024/2025 s’annonce exceptionnelle pour l’huile d’olive en dépit des difficultés que rencontre ce secteur en matière de stockage, pour éviter la chute des prix de ce qui est désormais appelé «l’or vert». Ce qui nous pousse à nous interroger s’il valait mieux continuer à planter des oliviers et des palmiers ou à construire des hôtels.
L’apport des exportations d’huile d’olive
Grâce à l’exportation des produits agricoles et agroalimentaires, notamment l’huile d’olive, les agrumes, les produits de la pêche et les dattes, la balance commerciale alimentaire de la Tunisie a enregistré un excédent de 1 834,7 millions de dinars (MDT) à la fin juin 2024, contre un déficit de 536,6 MDT au cours de la même période 2023, soit un taux de couverture de 154,5% en juin 2024, contre 86,7% l’an dernier à la même période. C’est ce qui ressort des données publiées, mercredi 24 juillet dernier, par l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri).
Selon la même source, les prix à l’exportation ont enregistré, cette année, une importante hausse de 67,9% pour l’huile d’olive, 23,2% pour les agrumes, 14,5% pour les produits de la pêche, 4,3% pour les dattes et 0,2% pour les tomates, et ce par rapport à la même période de l’année précédente.
Par conséquent, le déficit commercial de la Tunisie s’est allégé, passant de 12 191,7 MDT durant les 8 premiers mois de 2023 contre 11 924,1 MDT, en 2024, à la même période. De ce fait, le taux de couverture de la balance commerciale a gagné 0,8% point par rapport à la même période de 2023, pour se stabiliser à 77,7%. C’est ce qui ressort des mêmes données publiées par l’Onagri.
Suite à ces résultats encourageants, il est donc impératif que les décideurs réagissent pour soutenir davantage le secteur agricole et agroalimentaire, même dans un contexte de stress hydrique du ai changement climatique, ne fut-ce que pour réaliser l’autosuffisance alimentaire et réduire notre dépendance des importations agricoles.
Tourisme et/ou agriculture ? That is the question.
Les principaux paramètres qui caractérisent la bonne santé d’un secteur économique sont le montant des recettes des exportations en devises et le taux de couverture du déficit de la balance commerciale.
Les exportations de l’huile d’olive tunisiennedurant la campagne 2023/2024 ont atteint 195 368 tonnes pour une valeur de 1330 millions d’euros, soit 1491,9 MDT, auxquelles il faut ajouter 35 309 tonnes d’huile d’olive biologique d’une valeur de 290 millions d’euros, soit environ 954,6 MDT.
Au total les recettes de l’huile d’olive s’élèvent à la valeur de 1 620 millions d’euros, l’équivalent de 5 346,5 MDT (chiffres publiés par l’Onagri). Et ce qu’il faut savoir à ce propos, c’est que sur les 195 368 tonnes d’huile d’olive exportées, seulement 28 600 tonnes le sont en bouteilles, soit 15%!
Par conséquent, 85% de l’huile d’olive tunisienne exportée l’est en vrac vers l’Italie et l’Espagne. Et si les 195 368 tonnes d’huile d’olive étaient exportées totalement conditionnée, les recettes atteindraient deux voire trois plus leurs montants actuels. Pour réaliser ce bond salutaire, il est impératif de construire des réservoirs pour stocker l’huile d’olive afin d’aider les petits agriculteurs qui n’ont pas les moyens de le faire, d’autant plus que la saison 2024/25 s’annonce comme une saison record pour l’exportation de l’huile d’olive tunisienne.
Hamed Dali, PDG de l’Office de l’huile, vient d’annoncer que la Tunisie prévoit des exportations d’huile d’olive atteignant plus de 300 000 tonnes sur une production estimée à 340 000 tonnes, soit 50% de plus que la saison 2023/2025. Les recettes pourront atteindre les 3 000 millions d’euros soit environ 9 900 MDT, deux fois plus que les recettes touristiques de 2023/2024)
Stagnation des recettes touristiques
Les recettes du secteur du tourisme tunisienentre le 1er janvier et le 10 septembre 2024 s’élèvent à 1 550 millions d’euros, soit environ 5 100 MDT, selon les indicateurs monétaires publiés le 23 septembre par la BCT, ce qui représente une augmentation de 7,2% par rapport à la saison 2023. Cependant, les recettes des saisons 2006 à 2010 dépassent les 2 400 millions de dollars et surtout des taux de couvertures du déficit de la balance commerciale qui varient de 50 à 75%, alors qu’actuellement ce taux est de 29%. Ce qui donne à réfléchir sur l’avenir d’un secteur qui n’avance pas mais régresse. Et là, une conclusion s’impose : l’Etat tunisien doit impérativement soutenir davantage l’agriculture, qui est en train de créer plus de valeur et plus de profit pour le pays, contrairement au secteur touristique qui profite plutôt aux agences de voyage et aux transporteurs aériens… étrangers.
Pour cela, il faut planter des oliviers dans les zones semi-arides de Sidi Bouzid à Gafsa et des palmiers dattiers à Gafsa et dans la région saharienne. En plus des gains espérés en termes de recettes d’exportation, l’exploitation de ces terres aidera à stopper la désertification du sud et du centre du pays.
Cependant, il faut creuser des puits, construire des barrages là où cela est possible, et puiser l’eau dans la nappe phréatique souterraine***, laquelle est d’ailleurs très fortement exploitée par nos voisins : la Libye et l’Algérie.
Il faut aussi que l’Etat investisse dans la recherche agricole pour mieux se préparer aux changements climatiques qui s’accélèrent.
Soutenir l’agriculture ne veut pas dire abandonner le tourisme à son sort, mais ne plus construire d’hôtels et bien gérer la capacité d’hébergement déjà existante qui est passée de 240 000 à 180 000 lits, en raison de la fermeture de nombreux établissements devenus peu rentables. L’Etat doit absolument aider les hôteliers, qui sont en difficulté économique ou qui doivent fermer, pour préserver les emplois.
* Conseiller à l’exportation basé en Pologne.
** Comme le démontre clairement l’excellente étude rétrospective présentée lors du Forum Ibn Khaldoun pour le développement, en 2020 et complétée en 2022. Cette étude a été élaborée par l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), la Banque centrale de Tunisie (BCT) et l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), ce qui signifie que les chiffres qu’elle a avancés sont conformes à la réalité.
*** La nappe de l’Albien, également appelée Système aquifère du Sahara septentrional, est la plus grande nappe d’eau souterraine au monde. Elle est à cheval sur trois pays, l’Algérie, la Libye et la Tunisie.
L’article Planter des oliviers ou construire des hôtels? est apparu en premier sur Kapitalis.