Les potins du cardiologue: influence par omission !
L’angioplastie coronaire n’est pas une discipline statique, et c’est heureux. Elle n’a progressé que par digressions, d’abord par rapport à la chirurgie coronaire, le gold standard qui avait pour elle l’avance des études réalisées. L’une des dernières limites de la chirurgie coronaire non encore franchie est constituée par la sténose de la distalité du tronc commun de la coronaire gauche.
Dr Mounir Hanablia *
En l’état actuel des connaissances médicales, c’est logique: la mise en place d’une prothèse du tronc commun par où passe 75% du débit coronaire rend le ventricule gauche, autrement dit la part la plus importante du muscle cardiaque, tributaire d’un risque de thrombose (caillot) fatale que seul l’usage des anti-agrégants plaquettaires prévient; pour peu que le stent soit parfaitement déployé et que le patient ne fasse pas partie du groupe présentant une résistance à ces médicaments.
Ainsi, à l’époque actuelle, l’angioplastie du tronc commun demeure réservée uniquement, mis à part les infarctus associés qui constituent des urgences, aux patients chez qui la chirurgie cardiaque est contre-indiquée (âge, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire, etc.).
Cette réflexion m’est venue suite au cas clinique dont j’avais parlé quelques semaines auparavant, au cours duquel le chirurgien, l’urologue, épaulé par le réanimateur, dans un contexte de syndrome coronarien aigu antérieur, post opératoire d’une tumeur maligne, avait refusé à son patient la coronarographie qui s’imposait, en invoquant la hantise du Plavix. Bref sous Héparine et Aspégic, le patient avait eu de la chance, il s’en était sorti sans trop de dégâts sur le plan cardiaque. Cependant la coronarographie avait en définitive fini par être pratiquée à froid par un autre collègue, un sage de la profession, révélant une sténose hyperserrée (90%) à l’origine de l’artère interventriculaire antérieure. On verra plus loin dans quelle catégorie une telle lésion s’insère.
On n’essaie que lorsqu’on est sûr
Néanmoins, eu égard à ce qui a déjà été avancé, la chirurgie de pontage, à cœur battant dans le cas présent, aurait dû constituer d’autant plus l’indication, que le patient, risquant d’être mis sous chimiothérapie, ou d’être repris pour chirurgie suite à une complication éventuelle, ou une métastase, poserait un risque sérieux en se voyant arrêter le Plavix avec un stent dans le tronc commun. Mais le patient récusant la chirurgie, sans doute pas en connaissance de cause, d’aucuns ont eu beau jeu de se soumettre en apparence à sa volonté en acceptant de lui pratiquer l’angioplastie, par cette expression énigmatique: «On va essayer !», qui n’a pas manqué de susciter quelques frayeurs.
En matière d’angioplastie justement, on n’essaie que lorsqu’on est sûr; sinon on s’abstient. Or ce chef n’a pas semblé très sûr de son fait en décidant de se lancer dans une procédure complexe qui n’obéit pas aux données de la littérature scientifique, et qui outre les problèmes techniques qu’elle suscite (forte probabilité de placer deux stents sur des segments d’artères parfaitement sains, inflation en kissing, importance du territoire en jeu), soumet dans un contexte de cancer évolutif en soi thrombogène (générateur de caillots) à l’obligation de ne pas interrompre le Plavix.
Il y a déjà un problème éthique et médico-légal que le soit disant accord du patient impose. Celui-ci accepte d’assumer les risques normaux inhérents à une procédure, pas d’en choisir une au détriment de l’autre. Là est la teneur de son consentement éclairé. Mais lorsque le choix se porte sur une procédure nettement plus risquée qu’une autre, il est du devoir du praticien de s’y opposer, parce que le patient ne dispose ni de la formation ni de l’expérience nécessaires pour une évaluation appropriée de sa situation clinique.
Dans le cas présent, nous sommes loin d’une telle attitude; à preuve, le compte rendu adressé à la caisse des prestations sociales dans la demande de prise en charge. Celui-ci évoque «un tronc commun normal» (???), «une artère interventriculaire antérieure perméable, arrive à la pointe qu’elle contourne…».
On croirait jusque là que tout est normal, mais c’est presque incidemment que la suite vient nous détromper; «…elle est le siège d’une sténose serrée ostéo (sic) proximale arrivant jusqu’à la première diagonale qui est normale…».
En principe, une sténose est évaluée en divisant le diamètre du pertuis par lequel passe le produit de contraste par le diamètre total de l’artère, et dans ce dossier elle fait au bas mot 90%. Si on a omis de le mentionner, c’est qu’il y a une raison, la même qui dans le rapport a fait précéder la sténose par l’artère perméable: un souci de dédramatiser, de banaliser, de ne pas attirer l’attention, de dire qu’il s’agit d’une sténose comme on en voit tous les jours, qui ne pose pas problème. Or les troncs communs ne représentent déjà pas plus de 4% des lésions coronaires. Quant à cette diagonale, une branche certes dont on ne précise pas l’importance, on omet de mentionner son importance, sans doute pour ne pas dire que c’est là aussi une seconde lésion de bifurcation.
Une manière édulcorée d’exposer les réalités
Enfin, la conclusion du rapport, qui devrait préciser l’indication thérapeutique proposée, chirurgie, angioplastie, ou traitement médical, est sans appel; elle se borne à énoncer ce qui a été visualisé, «sténose ostéo (sic) proximale». On n’y précise ni le terrain très particulier (cancéreux), ni le nombre de stents dont la collectivité doit assumer le coût, qui peut s’élever à deux, et même plus si on comptabilise une bifurcation de la diagonale.
Naturellement, cette manière édulcorée d’exposer les réalités obéit à un objectif, obtenir la prise en charge de la caisse. En effet, il est douteux que «angioplastie coronaire complexe d’une sténose de 90% de la bifurcation du tronc commun de type E située sur l’ostium de l’IVA» (classification utilisée par Eric Topol dans son Textbook of Interventional Cardiology; third edition) ainsi énoncée n’eût pas logiquement orienté le choix du médecin contrôleur ou de l’expert en faveur de la chirurgie.
Seulement voilà, c’est toujours la même histoire; qui pourrait récuser l’indication d’un collègue qui a obtenu de sa profession tous les honneurs? Tout cela ne se terminera pas forcément par une catastrophe. En l’absence d’occlusion aiguë liée à une manipulation intempestive toujours possible quel que soit le titre académique dont on puisse se prévaloir, même si elle est rare, la procédure complexe peut se dérouler favorablement, c’est d’ailleurs heureusement le plus souvent le cas, sans l’IVUS (écho-endo-coronaire) en principe de rigueur, et le patient quitter la clinique pleinement satisfait.
Mais en matière d’angioplastie, quitter la clinique vivant et en bonne santé apparente n’est pas un gage absolu de succès. Les thromboses de stents peuvent survenir quelques jours, semaines, ou mois plus tard, avant ou après la chimiothérapie. Cela ne sera jamais mis que sur le compte du destin dans un pays musulman, de la non observance du traitement (!!!), ou bien du cancer, ou de la crise cardiaque, ce fourre-tout qui exprime une chose et son contraire. Et en cas de complication, le cancérologue refusera le plus souvent de réopérer un patient chez qui le Plavix ne sera pas interrompu, pour cause de stent dans le tronc commun; avec toutes les conséquences. Le problème ne se poserait pas avec un pont mammaire sur la coronaire. Cela n’empêchera certes pas le monde de tourner. Néanmoins il est peut être nécessaire, si cela relève du possible, que les dossiers médicaux en instance de prise en charge ne mentionnent désormais plus le médecin demandeur, tout en incluant toute autre pathologie éventuelle; afin que les décisions du Conseil attribuant l’accord préalable soient prises sans influence, et en toute connaissance de cause.
* Médecin de libre pratique.
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